Publié le 15 Feb 2012 - 15:20
LUTTEURS DANS L’ARÈNE (POLITIQUE) ÉLECTORALE

Gardes du corps ou nervis ?

Moustapha Guèye, ancien lutteur

 

Des lutteurs au secours (ou à la disposition) des politiciens, cela ne date pas d'aujourd'hui. Toubabou Dior a toujours été le garde du corps d'Ousmane Tanor Dieng, candidat du Ps. C'est aussi le cas pour Mor Fadam qui est dans le staff sécurité de Moustapha Niasse. Mais depuis un certain temps, un nouveau phénomène est apparu au grand jour: des lutteurs sont engagés par les politiciens qui les transforment en nervis. L’objectif n’est plus seulement de défendre son politicien, mais aussi d’attaquer pour lui en cas de besoin. Moustapha Guèye, ancien Tigre de Fass, qui a fait les beaux jours de la lutte, dénonce ce virage vers la violence. ''A chaque fois qu'il y a bagarre dans les grands rassemblements, on indexe toujours les lutteurs''. En outre, il explique à sa manière ce qui peut bien pousser les lutteurs à accepter de jouer ces rôles qui n’honorent pas leur profession. ''Ils s'entraînent jour et nuit sans avoir de combat, donc pas de cachet pour survivre. Ce qui fait qu'ils acceptent parfois des cachets allant de 2 000 à 3 000 francs Cfa par jour pour faire la sale besogne des politiciens'', indique le célèbre Fassois. Et pour lui, ces maigres sommes ne valent pas la peine de recevoir des coups et des pierres, en cas d'émeutes, à la place des politiciens.

 

Sur les 6 000 lutteurs licenciés, seule une centaine parvient à trouver des combats avec des cachets raisonnables. Alors, pour Moustapha Guèye, être garde du corps est un métier comme un autre, mais ''ils doivent conserver leur personnalité, ne pas frapper ou insulter; ils peuvent protéger les politiciens sans blesser les populations'', pense l'ancien Tigre de Fass. Et l'actuel directeur technique de Fass a tenu enfin à fustiger l'attitude de certains hommes politiques à l'égard de ses confrères lutteurs: ''Ils les utilisent comme des mouchoirs, et dès qu'ils terminent la campagne, ils oublient même jusqu'à leur nom. Les lutteurs n'arrivent même pas à leur serrer la main'', dit-il avec un regret bien perceptible. Il leur demande donc ''de prendre les lutteurs comme gardes du corps en respectant les normes, c'est-à-dire en leur faisant des contrats, avec de bons salaires et un droit à la retraite comme tout travailleur''. Moustapha Guèye a néanmoins tenu à rappeler que sans jamais avoir été garde du corps d'un quelconque politicien, il est arrivé que des hommes politiques l'aient sollicité pour leur trouver des body-guards parmi les lutteurs qu'il encadre à l'écurie Fass.

 

 

Lansar dit ''non'' !

 

Les lutteurs semblent avoir pris conscience de cette réalité qui ne les honore pas. Il n'est pas question pour eux de servir de garde du corps ou de nervis aux politiciens durant la campagne électorale qui vient de boucler sa première semaine. Pour cette période par exemple, l'écurie Lansar ne fera pas partie des écuries qui offrent des services de garde du corps aux politiciens. Cette assurance est de Max Mbargane, encadreur de cette entité qui se trouve dans la banlieue. Le technicien qui reconnaît que cette pratique date de longtemps, dénonce à son tour l'utilisation faite de la force musculaire et physique des lutteurs. ''Avant, c'était un travail noble, mais pas question de violence, de tuerie ou de banditisme, dit-il. Ce n'est même pas le rôle d'un sportif de faire des choses aussi basses''.

 

Aujourd'hui, il est difficile de trouver un lutteur qui s'exprime sur la question, surtout depuis la mort de Ndiaga Diouf, lutteur devenu nervis au service du Parti démocratique sénégalais et déclaré mort le 22 décembre 2011 au cours d'une ''fusillade'' survenue devant la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur. Le seul qui ait accepté d'en parler parmi ceux qui ont été accusés d'avoir joué le rôle de nervis le 23 juin 2011 lors du vote avorté de la loi sur le ticket présidentiel, c'est ''Brise de mer'' de l'écurie Ndakaaru. Un peu gêné, le lutteur explique : ''Je suis engagé dans le Claf de Gaston Mbengue, donc je ne me consacre qu'à mes entraînements. Et d'ailleurs, Yékini (roi des arènes et chef de file de l'écurie en question, NDLR) m'a interdit de tremper dans ce genre d'histoires''. Avec le recul, Brise de mer dit avoir compris au moins une chose : ''Les politiciens ont des enfants qu'ils protègent et qu'ils laissent à la maison, souligne-t-il avec une certaine lucidité. Ils mettent plutôt en danger la vie des lutteurs qu'ils chargent d'exécuter les sales besognes. Mais moi, je dis stop, et je conseille aux autres lutteurs de faire de même, de ne pas perdre leur vie pour des gens qui n'en valent pas la peine''.

 

KHADY FAYE

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