Publié le 28 Jan 2020 - 05:56
MADZOO, ARTISTE GRAFFEUR

‘’Nous ne voulons plus de la France à nos tables de décision’’

 

Auteur d’une fresque murale qu’il appelle le ‘’Mur d'indignation’’, en octobre 2018 - une véritable œuvre d’art qui attire les flashs des touristes - dénonçant la domination française sur le Sénégal, le collectif de graffeurs RBS (Radical Bomb Shot) fait dans l’art engagé. L’un des membres fondateurs, Madzoo (Serigne Mansour Fall) confie à ‘’EnQuête’’, sans langue de bois, les motivations d’une telle œuvre ainsi que la position de RBS quant à la Françafrique.

 

Plusieurs messages sont divulgués à travers vos graffitis, notamment l’emprise française sur l’économie sénégalaise. Qu’est-ce qui vous a poussés à réaliser de telles œuvres ?

Les peuples africains ont tous ressenti une indignation légitime face à l'oppression de l'Occident, de l'Arabie et d'autres peuples qui, à un moment donné, se sont crus supérieurs aux Noirs, aux Africains, pour justifier une sorte de domination. De grands bâtisseurs tels que Marcus Garvey ont senti le besoin d’accomplir une mission transcendante, celle de reconnecter les peuples africains. Et c'est dans cette dynamique qu'on a réalisé, en une journée, ce ‘’Mur d'indignation’’, de dénonciation, dans une partie de la capitale assez fréquentée, où il y a beaucoup d’embouteillages. Un mur d'insurrection artistique contre cette fausseté politique qu'on appelle la Françafrique. Personnellement, je suis entièrement et foncièrement contre les relations France-Afrique. Je l'assume. J’estime que ce sont des relations basées sur le mensonge, sur le pillage et sur toutes les manigances politiques qui sont destinées justes à appauvrir l'Afrique.

Il n'y a pas d'échange culturel dans ces relations. Il faudrait que les gens arrêtent de dormir sur des paroles qui n'ont aucun sens. La culture française nous a été imposée. La France s'est incrustée et elle a voulu s'éterniser, en organisant une sorte de génocide culturel. Elle s’est attelée à retirer tout notre ADN culturel pour imposer sa culture à travers la langue, la manière d'être et même la manière de penser. Elle a réussi à faire passer la langue française comme symbole d'excellence, ce qui est foncièrement faux. Autant de raisons qui nous ont poussés à faire ce mur. Le Sénégal étant à l'image du président Macky Sall, il a été symbolisé en train de plus nourrir la France que son propre peuple et c'est ce qui est dommage. On a eu ce besoin de montrer les manigances de l'Union européenne qui défend les intérêts de l'Europe. Pourquoi les peuples africains ne sont pas en mesure d'être dans cette même portée politique, défendre géopolitiquement leurs pays et arrêter de subir l'histoire ?

Ne jugez-vous pas votre position assez radicale ?

Dire que nous ne voulons plus de la France ne veut pas dire que nous ne voulons plus des Français, parce que nous avons un héritage culturel à préserver, à savoir la ‘’Teranga’’. Par contre, ‘’Teranga’’ ne signifie pas ''gnak fayda'' (se rabaisser) ou que tout le monde peut venir faire ce qu'il veut. Qu'ils comprennent, eux, en venant ici, qu'ils sont chez nous ; qu'ils ont à nous respecter comme un peuple libre. Nous ne voulons pas de la France à nos tables de décision. Nous ne voulons plus de la France dans tout ce qui constitue le bastion économique de notre pays. Nous ne sommes pas dans une position d'extrémisme, comme ils aiment nous étiqueter. Il y a malheureusement beaucoup de frères qui sont enfermés, parce qu'ils n'ont fait que se dresser contre une injustice.

Si le président incarne cette injustice, il doit être combattu, de même que tous ceux qui sont impliqués, que ce soient des hommes de loi, des marabouts ou des hommes de tenue. En fait, ce leurre doit être combattu. C'est cela le devoir de ce peuple par rapport à son héritage et que les gens comprennent qu'ils ont été placés à la tête de ce pays pour diriger dans la justice, l'équité, la vérité dans la transparence et dans le respect des droits des Sénégalais. C'est très important. On est arrivé à un niveau où le Sénégalais n'est pas respecté à l'extérieur. Au Maroc, des Sénégalais meurent chaque jour dans un silence total de notre gouvernement. Il faut couper ce lien et de manière radicale avec ces sortes de dirigeants. Et nous, en tant qu'artistes, on a à impulser la réflexion, à propulser les idéologies par rapport à cela. Nous devons organiser la lutte, en apportant notre pierre à l'édifice.

Pourquoi avoir choisi ce moyen d’expression ?

C’est un art populaire, accessible à tous, qui se fait dehors et n'est donc pas confiné dans une musique ou dans des galeries. Il n’est pas réservé à l'élite sociale, ni intellectuelle, c’est un art à la base révolutionnaire et rebelle. Les graffeurs n’approuvent pas la définition de l'art confiné et réservé à une certaine élite et à des soi-disant riches, mais veulent un art qui parle à tous. Cette vision, nous l’avons combinée à l'héritage de nos pères fondateurs Cheikh Anta Diop, Aline Sitoé Diatta, Mamadou Dia, Baye Niasse auteur de ‘’L’Afrique aux Africains’’, Malcom X. Nous appartenons à un mouvement panafricain artistique et international RBS (Radical Bomb Shot) au sein duquel plusieurs artistes de partout dans le monde se rejoignent pour promouvoir les idéologies panafricaines. Nous œuvrons également dans l’entrepreneuriat, dans le domaine artistique, la formation, la documentation et la création d'emplois pour les jeunes.

En somme, RBS s’intéresse à tout ce qui touche le façonnement d'une conscience patriotique africaine. C'est la mission du collectif à travers plusieurs pays, et la plupart des membres se trouvent au Sénégal. On compte le Cameroun, le Burkina Faso, le Mali, le Bénin, la France, les Etats-Unis, la Suisse et d'autres pays. RBS ne compte pas seulement des artistes, mais aussi ceux qui ont épousé la philosophie RBS et qui peuvent aider à diffuser cette émancipation artistique des peuples d'Afrique.

Quel a été l’impact de votre production artistique ?

Je dirais que l’impact est d’abord venu des passants. Des autorités, des hommes de tenue qui ont, pour la plupart, salué l’initiative. De leur point de vue, ces graffitis expriment le ras-le-bol de tout un peuple peiné d'avoir un président aussi suiviste, des gens corrompus aux affaires. Un peuple qui en a marre de subir la gabegie économique de notre gouvernement et de vivre dans des conditions précaires. Et le sentiment anti-français en est la conséquence logique. Il est légitime. Beaucoup de sites, de pages et de personnes ont partagé cette œuvre à travers le monde. On a même eu à faire une émission avec Pape Sidy Fall de la 2STV dans ‘’Li ci mbed’’, une émission censurée par la suite par le gouvernement. D’un autre côté, plusieurs parmi nous ont subi des pressions de la part des autorités, parce que montrer ce genre d'images frappantes et surtout en plein jour, ce n'était pas évident.

Vous indexez plus la France. Mais n’y a-t-il pas d’autres puissances ou d’autres facteurs qui entrent en jeu ?

Cette politique française en Afrique est le véritable frein à l'évolution de notre nation, de notre émancipation culturelle, économique, politique et j’en passe. Pour nous, en tant qu'artistes, il était important de sensibiliser aux urgences de l'heure, car étant jeunes nous sommes touchés par les réalités de l'heure. C’est ce que nous avions à donner comme contribution. On ne voulait pas trahir notre mission. Beaucoup de vies sont malheureusement tombées pour ces causes, dans cette Françafrique. Pourquoi la France n'arrive pas à se détacher de l'Afrique ? C’est parce que l'Afrique est le moteur économique de la France et elle le sait très bien.

Nous ne pouvons plus être ses béquilles économiques. Il faudrait que cela cesse. Ce qui est malheureux, c’est que toute cette manigance politique malsaine, toute cette domination, cette oppression économique et culturelle se fait en Afrique avec la complicité de nos gouvernements. Avec la complicité de cette élite intellectuelle africaine à deux balles et même au travers de cet élitisme artistique, voire religieux. Nos dirigeants sont tous complices des entreprises françaises implantées. Ces vampires économiques nous sucent, nous épuisent.

Le gouvernement français organise le pillage en Afrique pour acheminer nos ressources dans son pays et les entreprises concessionnaires reviennent pour nous les revendre en forme de rêve. Pour beaucoup de Sénégalais, faire le shopping à Auchan est une forme de prestige, parce que cela fait partie du processus d'acculturation, de lobotomisation culturelle. Ils arrivent à nous faire croire que c'est un symbole de réussite. Nous avons délaissé nos propres producteurs, nos propres cultivateurs, ceux qui sont à la base des industries, mais qui ont ce complexe, ce portrait culturel. Ici au Sénégal, je ne citerai pas de nom pour ne pas faire de publicité, nous gagnerions à favoriser l'entrepreneuriat local, la production locale et arrêter d'ouvrir notre marché aux internationaux qui, en plus d'être soumis à ce capitalisme libéral, dénaturent notre manière de vivre d'être, notre réflexion base sociale.

Tous les peuples sont néanmoins appelés à collaborer, d’une manière ou d’une autre…

Nous ne voulons plus de la France dans nos politiques intérieures et extérieures. Nous ne voulons plus de la France à travers ses troupes militaires qui ne sont là que pour superviser le pillage du Sénégal. Nous ne voulons pas de cette France et il y a des frères qui portent le combat. Respect à Guy Marius Sagna, respect aux autres qui se battent, car il n'y a pas que lui. C'est tout un mouvement. Donc, respect à tous ces braves gens de l'ombre qui sauront se reconnaître. Respects à tous ceux qui œuvrent pour le départ de cette France. Il est temps que cette France dégage, afin que le Sénégal soit ce qu'il veut être. C'est cela notre message et le peuple l'a perçu, de même que les autres peuples africains.

De quand date votre engagement artistique ?

J'ai commencé à dessiner à l'âge de 7 ans. Après le Bac, j’ai été orienté en philosophie à l’université Cheikh Anta Diop. Mais, au bout d’un certain temps, j’ai quitté à cause d’un système éducatif dans lequel je ne me reconnais pas. Tant au niveau de l'organisation interne que de ce qu'on y apprend. J’ai donc décidé de me concentrer sur mes activités artistiques, sur la recherche spirituelle quant aux anciennes croyances. J’ai créé ma propre bibliothèque chez moi où je recevais des jeunes qui voulait apprendre le graffiti. L’objectif était de leur faire comprendre qu'ils doivent cultiver une grande matière intellectuelle pour être en mesure de porter certains combats. C'est très important ce volet éducationnel. Il permet de leur expliquer comment être dans le processus artistique sans pervertir son âme artistique, mais faire les choses comme cela se doit. Voilà ce qui m'a poussé à m'engager dans la culture hip-hop comme conscience collective, un hip-hop comme une manière de vivre et d'être. Le hip-hop est, par essence, un ‘’knowledge movement’’, l'art qui nous interpelle de manière directe.

Quel appel lancez-vous à vos collègues artistes, aux jeunes, aux Sénégalais de manière générale ?

J’estime que la révolte ne peut pas se faire uniquement par les paroles. Il faut transcender les dires et les paroles pour entrer dans les actions, dans l'entrepreneuriat, par exemple. Il faut qu'on aide les jeunes et qu'on comprenne qu'ils sont eux-mêmes le potentiel auquel ils aspirent. Qu'ils marchent la tête haute et fiers, parce qu'ils auront des aînés sur qui compter. Notre rôle est de leur faire comprendre que ce sont eux le chemin qui prépare les générations à venir. Sur ce point de vue, nous sommes tous impliqués et on doit arriver à un niveau où on sort de nos conforts personnels pour comprendre la cause des intérêts communs. Le Sénégal nous appartient tous, c’est à nous de le préserver pour les générations à venir.  Qu'on s'indigne c'est bien, mais qu'on s'organise c'est mieux et qu'on aide ces jeunes à préparer une vie meilleure. Bien meilleure que la nôtre.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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