Publié le 26 Jun 2018 - 13:13
MALGRE LA FEMINISATION DE L’ESPACE UNIVERSITAIRE

Les étudiantes encore victimes de préjugés sociaux

 

Le nombre d’étudiantes à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ne cesse de grimper. Celles-ci sont cependant plus attirées par certaines filières au détriment d’autres. Leur cycle d’études est relativement plus court, comparé à celui des garçons. Plusieurs raisons d’ordre social, économique et culturel expliquent cet état de fait. Décryptage !

 

La cité Claudel de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar refuse du monde. Le grand portail vert est le théâtre d’un interminable ballet d’entrées et de sorties à toutes les heures de la journée. Selon le vigile, c’est tout le temps pareil, Claudel ne désemplit jamais, et c’est une indication du nombre d’étudiantes qui croît d’année en année. A chacune son style vestimentaire. Dans ce lot, il saute à l’œil que le nombre de jeunes filles voilées augmente lui aussi. Un constat que confirment le vigile et des membres du personnel de restauration.

La cité compte quatre bâtiments B1, B2, B3, B4 ainsi que plusieurs pavillons (de A à L). La première chambre du bâtiment B2, en ce début d’après-midi, est sens dessus dessous. Des lits défaits, des vêtements entassés dans une petite armoire débordent au point qu’elle ne peut se fermer. Un petit espace de la chambre abrite des ustensiles de cuisine. Ce sont au total 15 étudiantes qui logent ici. ‘‘Dans la chambre que j’occupais l’année dernière, nous étions six. Cette année, c’est vraiment difficile parce que des fois, tu n’as même pas où te coucher, si tu es parmi les dernières à rentrer le soir’’, explique Aminata Guèye, étudiante en 2e année des sciences de la vie et de la terre à la faculté des Sciences et techniques (Fst) dans cette pièce à deux lits.

Selon Mme Thiam, Directrice du service d’hébergement de la cité Claudel, le nombre de filles augmente chaque année, mais la capacité d’accueil de la cité n’a pas varié sur les dix dernières années. En 2012, néanmoins, deux pavillons ont été construits au campus social. Un bâtiment qui abrite 56 chambres de deux lits, une chambre à trois lits et un autre pavillon de 94 chambres pour trois étudiantes chacune. Cependant, ces pavillons sont en très mauvais état, à cause du surnombre d’étudiantes. La plupart des pensionnaires de la cité étudient dans les filières littéraires, notamment à la faculté des Lettres et sciences humaines. Si l’on peut rencontrer dans les amphis des étudiants d’un certain âge (plus de 40 ans), la tranche d’âge de leurs camarades de sexe féminin est comprise entre  20 et 30 ans. Les étudiantes, tous âges confondus, affirment qu’au-delà de 25 ans, la famille commence à s’interroger sur leur avenir de femme, leur devenir social.

Un handicap social pesant…

En effet, les parents ont tendance à plus se préoccuper d’un mariage qui, pour eux, est un signe de réussite sociale plutôt que de l’évolution des études de leur fille. Car, selon eux, l’université ne forme que des chômeurs. Aminata Sow est étudiante en Licence de sociologie. Sous son voile noire, elle explique : ‘‘Au début de mes études universitaires, mon père ne voulait pas entendre parler de longues études, de même que ma mère qui n’a pas fait les bancs. Chez nous, la réussite d’une femme se limite à faire des enfants, savoir faire la cuisine et bien tenir une maison. Moi, je ne voulais pas de cette vie, j’ai donc fait un choix.’’ Aminata, écœurée de voir toutes ces femmes battues, leur dépendance financière face à leur mari, sans oublier la mortalité maternelle, a décidé de se donner corps et âme à ses études. Heureusement, son témoignage n’est pas une exception. Ces jeunes filles qui, comme elle, ont fait ce choix, dégagent dans le récit de leurs parcours cette volonté de réussir, d’inverser la tendance et surtout de gagner le respect de leur famille et des hommes vivant dans leur entourage.

Cette mentalité sociétale érigeant le mariage au sommet de la réussite d’une femme n’est pas propre aux zones rurales. Elle règne jusque dans les foyers des intellectuels, de la masse d’hommes et de femmes instruits.

L’université compte à ce jour 27 855 étudiantes. Un chiffre émanant des statistiques de la cellule de communication de l’Ucad. L’augmentation des jeunes filles à l’université est donc une réalité. Et selon le docteur Yacine Diagne, Directrice de la Communication de l’Ucad, des politiques nationales ou celles émanant d’organismes internationaux ont été mises en place dans les années 1990, pour favoriser l’entrée des jeunes Sénégalaises à l’université. ‘‘Cela a réussi parce que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il y a eu un éveil général tant au niveau des filles que des parents. Celles qui ont réussi leurs études et ont occupé des postes de responsabilité ont fait rêver les plus jeunes’’. Un sursaut qui, selon elle, laisse encore des traces aujourd’hui, même si la lutte est loin d’être gagnée. ‘‘Parfois, le regard d’une société qui juge ne permet pas l’éclosion intellectuelle de cette tranche de la population. Etudier demande du temps et des sacrifices, et c’est encore plus difficile quand l’adversité nait de votre famille. Lorsque vos cousines, sœurs ou amies se marient, l’on vous regarde de travers. C’est à croire que c’est anormal qu’une femme préfère ses études au mariage’’. Ce poids social bien présent est la cause principale de l’abandon en cours de route pour beaucoup d’étudiantes. Les jeunes filles sont dans un état de fragilité. La rivalité est très profonde entre femmes.

En effet, conscientes de ce qui les attend, de l’espoir de leurs familles, elles vont jusqu’à limiter leurs ambitions académiques et professionnelles. Le plus important, c’est de finir le plus tôt possible et de répondre à l’appel de leur famille, soit pour le mariage, soit pour être un soutien financier.

Cependant, pour le Dr Diagne, l’heure n’est pas aux lamentations. ‘‘Il faut se battre. C’est à nous d’agir, parce nous sommes aussi intelligentes que les hommes. Il faut que les femmes s’arment de beaucoup de courage, d’un mental en acier pour affronter le regard d’une société qui tape dur’’.

Selon des témoignages, de nos jours, ces femmes-là ayant priorisé leurs études se retrouvent sans mari, ni enfants. Pour ces dernières, le premier venu est une aubaine, parce que, visiblement, les hommes en ont peur.

Des capacités intellectuelles et une ténacité face aux difficultés relevées chez les filles

Pour Mohamed Diop, les filles ont leur place à l’université et c’est à leurs géniteurs de les pousser vers l’avant, car selon lui, une femme qui réussit élève toute une famille. Le jeune homme est l’ainé d’une famille de cinq enfants dont il est le seul garçon. Pour ses parents, le débat ne se pose guère : les études avant tout, qu’on soit fille ou garçon. En clair, après le Baccalauréat, beaucoup plus de filles ont le courage avec, le soutien ou non de leur famille, de se lancer dans des études supérieures. Le constat parle de lui-même. Le nombre d’étudiantes a presque triplé en une décennie. De 8 235 pour l’année académique 2001-2002, elles sont passées à 22 860  pour 2010-2011, selon les statistiques de la Direction de l’Enseignement supérieur et de la Réforme du rectorat, avec 8 637 étudiantes à la faculté des Lettres. Ce chiffre a doublé au milieu de la décennie, en 2005. Si, aujourd’hui, elles sont plus nombreuses à la Flsh, à cette période, elles l’étaient encore plus à la faculté des Sciences juridiques et politiques. Les étudiantes avaient aussi investi la faculté de Médecine et la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg). Aujourd’hui encore, elles sont moins représentées à la faculté des Sciences et techniques de même que dans les écoles et instituts de l’Ucad.

Les enseignants, pour leur part, militent pour une plus grande présence des filles à l’Ucad, surtout après la Licence. ‘‘Les filles ont toutes les chances de leur côté parce qu’elles y mettent beaucoup plus de sérieux que les garçons. Au Département de sociologie ou de lettres modernes, elles sont en tête de liste, lors des résultats d’examens. Donc, le potentiel est là, mais malheureusement elles sont plus sensibles et vulnérables à beaucoup d’aspects extérieurs. La famille, leur lieu d’évolution et leurs relations amoureuses’’. Des propos de M. Coly, Professeur au Département de lettres modernes.

Au premier cycle, les étudiantes sont nombreuses. Cependant, une grande partie n’arrive pas au Master, d’autres n’atteignent même pas la Licence. Les raisons sont diverses : c’est soit un manque de ressources financières, soit une pression familiale due à un mariage imminent. ‘‘Très peu de filles font le Master. Les contraintes du foyer ou même le découragement face à une certaine précarité financière’’, affirme Hélène Faye en première année de thèse en droit. A 32 ans, elle est célibataire, sans enfant, et pour elle, c’est un combat quotidien contre ses propres parents, mais aussi contre ses camarades de promotion, des hommes qui développent une certaine rivalité. Selon Mme Sall, chef du Département de presse écrite au Centre d’études des sciences et techniques de l’information, ‘‘autant elles viennent étudier en masse, autant beaucoup d’entre elles abandonnent très vite’’.

La seule fille présidente d’amicale à l’Université Cheikh Anta Diop est issue de la faculté de Médecine. Aïda Thiaw ne prône qu’une seule chose : ‘‘C’est à nous femmes de nous battre, de faire même plus que  les hommes, de travailler deux fois plus que les hommes pour éradiquer tous ces clichés. Il y a une véritable prise de conscience chez les filles, elles osent de plus en plus briser les barrières, mais les obstacles sont toujours présents.’’

Du côté des parents, les choses bougent aussi. Pa Amdy, père de cinq filles et de trois garçons, affirme que ‘‘l’éducation est bénéfique à tout le monde. Il n’y a pas de différence de sexes. Moi, j’encourage mes filles à faire de longues études, avoir des diplômes afin d’être indépendantes demain. Une femme qui réussit, c’est toute une famille qui réussit’’. Une nouvelle façon de voir, propre à beaucoup de parents, aujourd’hui.

Elles avancent malgré des conditions de vie et d’études contraignantes

Selon les sociologues, le pic du taux de filles présentes dans les facultés littéraires n’est pas fortuit. Ces dernières choisissent ces filières qui, pour elles, sont plus faciles et ne requiert pas un temps large dans l’apprentissage. Elles ont une certaine appréhension de la science qu’elles n’osent pas dépasser. Ils rappellent aussi qu’au lycée déjà, elles sont plus nombreuses dans les séries littéraires. Les concernées, pour la plupart, reconnaissent cette crainte des matières scientifiques. Fatou Sow, étudiante en physique-chimie, révèle : ‘‘Beaucoup de mes cousines et amies me disent que je suis assez courageuse en raison de la filière que j’ai choisie.

Ce n’est pas faux, car il faut beaucoup de concentration, de longues heures d’exercices. Il m’arrive de finir tard le soir un cours de travaux pratiques ou de travaux dirigés. Des fois, je renonce à des fêtes, des rencontres familiales, des sorties à cause d’un cours ou d’un travail à rendre. Des sacrifices difficiles à faire pour la jeune fille sénégalaise.’’ Elle ajoute que de par son accoutrement moins soigné que celui d’une étudiante en lettres ou en droit, elle est souvent la cause de remarques désagréables de la part de son entourage. Les filles de la faculté des Sciences et techniques sont réputées, en ce sens, être adeptes d’un style appelé ‘’garçon manqué’’. Le temps, pour ces dernières, est méthodiquement reparti.

Le parcours universitaire s’avère être plus dur pour les étudiantes issues des zones rurales. Parfois, la bourse fait défaut ou encore les parents restés au village s’impatientent et se demandent ce qu’elles peuvent bien faire en trois ou quatre ans à Dakar.

Pour Fatou, jeune Thiessoise, certains parents se saignent pour la réussite de leurs filles. Elle en est la preuve vivante : son père a quitté le domicile familial, il y a cinq ans et toutes les charges scolaires pèsent sur les épaules de sa mère commerçante. Mais cette dernière ne compte pas abréger les études de ses trois filles pour des raisons financières. ‘‘Ma mère souhaite que nous fassions plus que ce qu’elle a fait. Elle rêve de nous voir diplômées, une chance qu’elle n’a pas eu dans sa jeunesse’’, explique-t-elle.

Le savoir n’a pas de sexe, dit-on, mais au sein de l’Université Cheikh Anta Diop, lorsqu’une fille excelle, l’admiration et le respect pour sa personne sont démultipliés. Pour beaucoup d’étudiants estimés à plus de 46 000, une fille qui réussit à surmonter tous les obstacles évoqués plus haut a du mérite. Certains reconnaissent préférer le compagnonnage ou l’amitié de ce genre de fille, parce qu’elles ont une tête pleine et peuvent discuter de sujets intéressants.

Abdoulaye Cissé est en Master 2 de droit public. ‘‘En général, au fond de nous, on se demande comment elles font pour avancer, malgré tout. Certes, elles ne sont pas nombreuses à faire de longues études, mais celles qui y arrivent retiennent notre attention’’, explique-t-il. Sept étudiantes sur dix affirment se doter d’une nouvelle carapace, d’un nouveau caractère pour faire face à pas mal de désagréments venant de leurs camarades hommes. Selon elles, il ne s’agit pas d’être arrogantes, mais de filtrer ses relations, de ne pas être légères afin de mériter le respect des hommes au sein de l’espace universitaire. ‘‘Certains étudiants profitent des travaux de groupe ou de la naïveté de certaines filles pour tisser des liens plus qu’amicaux. Ils les détournent consciencieusement de leur objectif, souvent par jalousie’’, révèle Maïmouna Guèye, en deuxième année d’anglais. Une assertion que réfutent les étudiants en parlant plutôt d’un consentement mutuel.

Pour l’heure, le fameux ‘‘Couloir de la mort’’ est le témoin d’un ballet incessant d’étudiantes. Si, pour certains, les filles prennent conscience de leurs potentialités, pour d’autres, beaucoup reste à faire.

Emmanuella Marame Faye (Stagiaire)

 

Section: 
LE RECOUVREMENT DES AMENDES JUDICIAIRES POSE UN PROBLÈME À KOLDA : Le nouveau procureur compte mettre en place un bureau d’exécution des peines
DÉTOURNEMENT DE PRÊT ET FAUX RENSEIGNEMENTS : Djibril Guèye traduit en justice par Coris Bank  
LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE DROGUE ET LA CRIMINALITÉ : À Kolda, l’armée détruit des hectares de champs de chanvre indien
RAPPORT OMS SUR LES MUTILATIONS GÉNITALES FÉMININES DANS LE MONDE : Plus de 230 millions victimes dénombrées
Opération de sécurisation
ARRESTATION ARNAQUEURS RÉSEAU QNET : Près d’une soixantaine de victimes dénombrées
49e PROMOTION DES ÉLÈVES AGENTS DE POLICE : Deux élèves emportés par la grande faucheuse
SAINT-LOUIS : POUR DÉFAUT DE CARNET SANITAIRE : La bande de Darou condamnée à un mois ferme
AFFAIRE DES POMMADES CLANDESTINES : Alima Fall et Cie risquent des peines de prison fermes
MIGRATION CIRCULAIRE SÉNÉGAL-ESPAGNE : Une opportunité pour les jeunes ou une fuite des cerveaux ?
Déminage en Casamance
Utilisation des brouilleurs et répéteurs de signaux
Migrants Niger
SAINT-LOUIS : PROJET DE RELÈVEMENT D’URGENCE ET DE RÉSILIENCE (SERRP) : Les parties prenantes harmonisent leurs actions
MATAM : Le Sutsas lève son mot d’ordre
KOLDA - DÉFICIT DE PROFS, PLÉTHORE D'ABRIS PROVISOIRES… : Le nouvel inspecteur d’académie face aux défis à relever
CANCER AU SÉNÉGAL : 11 841 nouveaux cas de cancer en 2022, pour 8 134 décès associés
BLOQUÉS AU NIGER DEPUIS PLUSIEURS MOIS : Trente-trois Sénégalais rapatriés, 44 encore retenus dans des centres
Accident
Chanvre indien