‘’Il y a certes un affaiblissement, mais…’’
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Chargé de projet au Centre de recherche ouest-africain (Warc), le docteur Mamadou Bodian apporte quelques éclairages sur les goulots qui étouffent la gauche, dans un contexte politique de plus en plus dominé par les libéraux.
Comment voyez-vous aujourd’hui la posture des partis de gauche sur l’échiquier politique ?
Les partis de gauche ont perdu du terrain, depuis l’avènement de la démocratie. Durant la période coloniale, et bien avant même la chute du Mur de Berlin, ces partis avaient su profiter d’un environnement international plus ou moins favorable, avec l’Union soviétique d’une part, mais aussi la Chine qui étaient très influentes auprès de certaines intelligentsias. C’est pourquoi, aussi bien au Sénégal qu’ailleurs en Afrique, la plupart des partis qui s’opposaient aux régimes incarnés par des partis uniques étaient d’obédience marxiste-léniniste ou nationaliste.
A partir des années 1970, plus exactement en 1976, avec la création des trois courants, c’est surtout ce qui a sonné le glas de la gauche. Senghor n’avait fait que créer une opposition loyale. Les autres étaient contraints de rester dans la clandestinité.
A partir des années 1980, avec l’ouverture intégrale, elle s’est davantage émiettée. Chacun voulait conquérir le pouvoir, alors que le contexte favorisait surtout le parti au pouvoir… D’autant plus que cette gauche a toujours eu un problème d’encrage social, compte tenu de l’image qui lui était collée à l’époque. Les gens se disaient que ce sont des athées qui combattent la religion. C’est le péché originel de la gauche, comme j’ai l’habitude de le dire. A un certain moment, certains, comme Dansokho, l’avaient compris et préconisaient des alliances avec certains leaders comme Abdoulaye Wade…
Malgré tout, les partis de gauche, même s’ils n’ont pas su entrainer l’adhésion massive de la population, ont quand même été des forces de proposition et d’influence. Est-ce que cette posture n’a pas tendance à s’éroder, particulièrement depuis 2012 ?
Les idéologies n’ont pas disparu, mais elles se sont affaiblies. Surtout dans un contexte où le libéralisme ou le néolibéralisme a une certaine ascendance sur le fonctionnement du monde. Du coup, on assiste à une certaine déliquescence de la gauche et c’est partout dans le monde.
De ce fait, dans les années 1970, dans les pays d’Amérique latine, certains religieux se sont appuyés sur des initiatives d’inspiration gauchiste, pour développer ce qu’on appelle les théologies de la libération. Mais dans nos pays, ces formes d’organisation n’ont pas pris forme. Parce que, dès le début, la gauche a été l’incarnation de l’archaïsme pur et dur. Du coup, les gens ne se retrouvaient pas dans son discours. Mais elle avait su combler son infériorité numérique par la force de l’organisation. C’est pourquoi tous les régimes qui se sont succédé ont eu à collaborer avec les forces de gauche. Même Diouf, à un moment, a dû faire face à cette capacité de nuisance. Ce sont des partis qui, sur le plan numérique, ne représentent rien, mais qui ont une capacité de nuisance telle, qu’on est obligé de composer avec eux.
C’est vrai que la gauche n’est plus cette force, mais cela a commencé avant même 2012. Cela a commencé dans les années 2000, quand la gauche a commencé à entrer dans les logiques d’alliance. On a commencé à entrer dans des logiques de conquête du pouvoir, en mettant en berne les idéologies. Ce fut une grosse erreur, à mon avis…
Nonobstant cette parenthèse des années 2000, on a vu le rôle joué par cette gauche durant le deuxième mandat de Wade, avec les Assises nationales et bien d’autres initiatives qui ont beaucoup contribué à la réalisation de la deuxième alternance. Que reste-t-il aujourd’hui de cette gauche qui mène des combats, qui promeut des principes ?
Je pense que la gauche a toujours été unie dans la contestation. A partir des années 2008, il y avait beaucoup de questions de gouvernance qui se posaient et avaient réussi à réunir aussi bien la gauche que d’autres formes sociales.
Aujourd’hui, certes, il y a un affaiblissement, mais les idées de gauche sont toujours là, même si elles ne se présentent pas sous forme de projets politiques portés par des appareils d’obédience gauchiste. Regardez un parti comme Pastef ; il y a beaucoup de gens de la gauche. Il y en a aussi des gens de gauche dans le camp du pouvoir comme dans le camp de l’opposition…
Pastef pourrait-il être l’incarnation de cette gauche de demain ?
Le constat est qu’une certaine gauche est autour de lui et il ne manque pas de développer beaucoup d’idées qui sont de la gauche, mais il y a aussi d’autres jeunes comme le docteur Babacar Diop (FDS) qui se réclame clairement de la gauche, de l’héritage de Mamadou Dia…
Il y a donc une certaine résurgence de la gauche. Il y a donc des occurrences d’idées de gauche… Mais au-delà, nous sommes dans un contexte où les jeunes sont de plus en plus politisés, mais ne sentent pas la nécessité de rallier les forces politiques. Il y a les mouvements sociaux, les organisations de la société civile qui sont plus attrayants pour la plupart de ces jeunes. La gauche n’est pas la seule à en souffrir.
Il a plusieurs fois été évoqué l’hypothèse d’une réunification, mais cela tarde à se concrétiser. Est-ce que la gauche ne souffre pas d’un manque de leader charismatique, capable de fédérer toutes ces forces ?
Il y a eu plusieurs tentatives. On a même eu les assises de la gauche, lors de laquelle l’idée de réunifier la grande famille de la gauche a été agitée. Il y a eu des rencontres, mais qui n’ont pas pu se concrétiser, parce que cette gauche était profondément divisée. Sur le plan doctrinal déjà, il y a beaucoup de différences. Il y a la gauche socialiste, la gauche nationaliste avec les disciples de Cheikh Anta, la gauche marxiste-léniniste avec les Landing et Cie.
C’était donc un peu difficile d’avoir un agenda cohérent et de constituer une alternative crédible. Les initiatives n’ont pas abouti à la mise en place d’unités organiques et d’action pour aller, ensemble, à la conquête du pouvoir. Cela continue toujours. Malgré les assises, les gens n’ont pas su se mettre ensemble.
M. AMAR