Publié le 22 Aug 2025 - 09:25
MATAM - AIDES HUMANITAIRES  

Juteux business ou actions inopérantes ? 

 

Aujourd’hui, il y a plus de 192 000 personnes en crise dans les départements de Matam et Kanel. Chaque année, la région de Matam se trouve sur la liste des zones en situation d’insécurité alimentaire, suscitant ainsi un décaissement urgent de fonds destinés aux populations vulnérables. Un rituel qui dure depuis plusieurs années, mais qui peine vraiment à porter ses fruits. Entre juin et août 2025, l’ONG ACF et le Fonds de solidarité nationale ont versé séparément et respectivement 115 000 F CFA et 135.000 F CFA aux familles vulnérables des départements de Matam et Kanel.

 

‘’L’année dernière (NDLR 2024), à cause des inondations, des récoltes ont été détruites, ce qui a entraîné une vulnérabilité des populations’’, déclarait le 30 juin dernier, Ibrahima Sory Baldé, le responsable chargé de la sécurité alimentaire à Action contre la faim (ACF) pour justifier l'aide apportée aux 750 familles ciblées des départements de Podor, Matam et Kanel. Pour ce geste de solidarité, l'ONG avait dit prévoir d’envoyer par transfert cash 115 000 F CFA à chaque bénéficiaire.

Seulement, M. Baldé avait ajouté : ‘’Nous n’avons pas encore identifié les bénéficiaires.’’  Ce qui signifiait que jusqu’à la fin du mois de juin, la sélection des ménages n'était pas encore faite. Mais elle était prévue au courant du mois de juillet, avait-il promis. ‘’Nous allons tenir des réunions avec les autorités administratives’’.

L'ONG travaillera finalement avec le bureau régional chargé de la sécurité alimentaire (BRSA) durant tout le processus de ciblage, sans impliquer le Service régional du développement communautaire de Matam. Une option assumée ou une malheureuse omission ?

Pour la répartition, le département de Podor se taillera la part du lion avec 300 ménages bénéficiaires, laissant les départements de Matam et Kanel se partager les 450 restants. Selon une source proche du dossier, les familles vulnérables sont choisies dans la population du Dandé Mayoo victimes des inondations de 2024. Sur les 10 communes du département de Matam, les bénéficiaires ont été choisis exclusivement dans les communes de Matam, Nabadji Civol et Nguidjilone.

Plus de la moitié de l’argent des secours est englouti par la mise en œuvre

Cette action humanitaire a mobilisé 200 000 000 F CFA pour secourir 750 ménages victimes des inondations de l’année dernière. Alors, si chaque ménage des 750 retenus reçoit 115 000 F CFA, le total fera 86 250 000 F CFA. Il restera un montant de 113 750 000 F CFA non utilisé ou utilisé à d’autres fins, probablement pour motiver les ressources humaines chargées d’exécuter l'action et assurer les frais de logistique, et cela peut constituer une manne financière.

Cependant, une vérité saute aux yeux : le montant destiné aux victimes pour qui l’argent est décaissé est largement inférieur à celui alloué pour la mise en œuvre de l’action. ‘’Ce n’est pas normal que plus de la moitié de l’argent qui doit revenir aux bénéficiaires soit utilisé pour la mise en œuvre. Au finish, il y a des individus qui tirent plus profit de ces aides que les ayants droit. Il est clair que si l’État ne réajuste pas la procédure, ces personnes vont continuer à se sucrer sur le dos des familles vulnérables’’, déplore un spécialiste de la question sous le couvert de l’anonymat.

En 2022, le Programme alimentaire mondial (Pam) avait aidé financièrement 225 000 personnes dans les trois départements de la région de Matam et le département de Goudiry à hauteur de 40 000 F CFA par individu. Cependant, des personnes enrôlées et détentrices de la carte de bénéficiaire avaient signalé ne pas avoir perçu leur argent dans la commune de Ourossogui. Des femmes des villages reculés de Ranérou n'ont jusqu’ici pas reçu l’argent promis. Selon les autorités de l'ONG, les impairs de l’opérateur et l'absence de réseau étaient la cause principale de cette situation. Les observateurs sont toujours dans l'attente du rapport détaillé pour connaître les véritables statistiques.

192 694 personnes en crise alimentaire à Matam et à Kanel

Selon les chiffres officiels, 102 350 personnes en situation de crise alimentaire dans le département de Matam et 90 344 dans le département de Kanel. Ainsi, l’État du Sénégal a décidé à son tour de venir en aide à cette couche de la population à travers le Fonds de solidarité nationale. Une enveloppe de 1 350 000 000 F CFA a été dégagée pour 10 000 ménages répertoriés dans le Registre national unique (RNU) de cinq départements. Pour ce qui concerne la région de Matam, ce sont encore les départements de Matam et de Kanel qui ont été ciblés pour un total de 4 184 bénéficiaires. Cette fois-ci, c’est une somme de 135 000 F CFA que chaque ménage devrait percevoir durant la laborieuse période de soudure.

Deux distributions de fonds dans un intervalle d’un mois aux ménages de deux départements de Kanel et Matam, n'y a-t-il pas risque de voir un ménage recevoir deux fois les aides ? Sare Diop, le directeur régional du Développement communautaire de Matam est dans l’impossibilité de donner une réponse claire. Il n'avait pas été saisi lors du processus de la première distribution.

Toutefois, il assure que les bénéficiaires de l’aide de l’État du Sénégal sont tirés du RNU.

Au sujet de l’argent de l’État qui doit être distribué, le bureau régional chargé de la sécurité alimentaire est sur la touche. Cette structure n'a, pour cette distribution d'aides, pas été impliquée. Une anomalie, si l’on sait que l’une des missions confiées au Conseil national de sécurité alimentaire (CNSA) est de coordonner la Stratégie nationale de sécurité alimentaire et de résilience (SNSAR) pour la période 2016-2035. Cette stratégie adoptée en 2016 par le Sénégal sert de référence à l’orientation et à la coordination des interventions en matière de sécurité alimentaire et de résilience.

‘’Parfois, ce sont des personnes de bonne situation qui reçoivent les aides au détriment des vrais bénéficiaires’’

À Ogo, village chef-lieu de commune, le chef de village, Salif Diallo a été mis au parfum de la distribution prochaine des 135 000 F CFA aux personnes vulnérables de sa bourgade. Une liste de bénéficiaires lui a été présentée, mais il n'a pas été en mesure de les identifier tous. Certainement qu'il y avait des personnes qui n'habitaient pas dans son village. Il aurait voulu pour ces transferts de cash que les chefs de village soient plus impliqués dans le processus de sélection, même si les bénéficiaires sont tirés du RNU.

À Nabadji Civol, l'une des trois communes choisies parmi les dix du département de Matam, la frustration est le sentiment le mieux partagé. Beaucoup de personnes ne sont pas contentes. Elles se disent laissées en rade.

En effet, souvent, les personnes qui captent ces aides dans les villages ne sont pas toujours les plus nécessiteuses, c'est ce qu'insinue une femme, veuve depuis plus d'une décennie. ‘’Les aides qui arrivent ne sont pas toujours destinées aux personnes les plus vulnérables, parfois ce sont des personnes qui sont bien à l’abri du besoin qui les reçoivent. On se connaît entre nous, on connaît la situation de chacun. Alors, si une personne de meilleure situation que toi reçoit à ta place, ça crée de la frustration. Et ça doit être corrigé. Mais les autorités de la mairie ferment les yeux ou parfois elles choisissent les personnes en fonction de leur coloration politique. Ce qui n’est pas normal. L’enquête doit être menée avec plus de rigueur si l’État souhaite que les aides arrivent aux bonnes personnes’’, fustige-t-elle.

À Nabadji, c’est 23 personnes qui ont été choisies, un nombre que le chef de village trouve minime par rapport à la taille de la localité. ‘’Je suis assailli par les populations. Beaucoup de personnes sont furieuses contre moi parce qu'elles pensent que c’est moi qui ai confectionné la liste, alors que je n’ai fait que communiquer la liste qui m'a été transmise’’, explique-t-il.

 L’absence de coordination des secours

La région de Matam cristallise beaucoup de capitaux en guise d’aides à cause de son état d’insécurité alimentaire chronique. Les fonds affluent, mais une absence de coordination entre les services déconcentrés de l’État et les ONG plombent les résultats escomptés. La cartographie des actions humanitaires reste toujours floue. Qui fait quoi ? Où ?  Quand ? Des questions sans réponses. Pourtant, en 2017, la Jica avait dégagé un fonds de deux milliards F CFA pour le projet de renforcement de capacités en matière de gouvernance de la sécurité alimentaire et de la résilience au Sénégal (RC/GSARS).

Un projet de quatre ans qui ambitionnait de renforcer la mise en œuvre et la coordination de la sécurité alimentaire et de la résilience au Sénégal. D’ailleurs, c'était à Matam même que la phase pilote du projet a été lancée. Un choix que Soukeyna Chimère Diaw Cissokho, coordonnatrice du projet, avait expliqué en révélant ‘’que Matam a été choisie parce que c’est une zone où il y a beaucoup de partenaires qui interviennent dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la résilience’’.

Aujourd’hui, huit ans plus tard, la coordination dans les actions humanitaires reste une équation sans solutions dans la région de Matam. Tous les ans, des projets axés sur la sécurité alimentaire et la résilience pullulent dans le nord-est du pays et les aides affluent, mais la situation des populations vulnérables continue de s'empirer.

Entre juin et août, c’est la rondelette somme de 616 millions F CFA qui a été injectée dans les deux départements de la région de Matam pour 4 634 personnes en situation d’insécurité alimentaire. Ces aides avec des sommes astronomiques n'impactent que faiblement sur les conditions sociales des déshérités, à cause d'une mise en œuvre infestée de parasites.

DJIBRIL BA (MATAM

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