Publié le 11 Apr 2023 - 10:30
ME SAÏD LARIFOU (PRÉSIDENT DE L’ONG WARABA)

“Le 3e mandat est une insulte contre la dignité des peuples africains”

 

Avocat de profession et engagé en politique, Me Saïd Larifou est le président de l’ONG Waraba d’Afrique. Il est le leader du parti politique comorien Rassemblement pour une Initiative de développement avec une jeunesse avertie (RIDJA). Il a participé deux fois à l'élection présidentielle aux Comores et est arrivé deux fois au deuxième tour. Il devait également se présenter à la dernière élection anticipée du 24 mars 2019, mais il n'y a pas eu d'élection. Et depuis, il s’est exilé en France, pour avoir un reçu une balle en caoutchouc dans sa cuisse gauche. Dans cet entretien, le président de l’ONG Waraba parle, entre autres sujets, du prochain prix Nobel de la Paix, de la persistance de l’esclavage, du troisième mandat en Afrique.

 

Dans quel contexte l’ONG Waraba fut créée?

C'est une organisation qui regroupe une vingtaine d'associations de la diaspora africaine. Cette organisation a été créée, à la suite de la révolution provoquée par la jeunesse malienne. Qui, pour exprimer son refus par rapport au régime de Keita, s'est soulevée comme un seul homme, pour exiger le changement. Et cela s'est traduit par la prise de pouvoir par des militaires. Ce qui a été salué par les peuples d'Afrique. Waraba a pris naissance dans ce contexte-là. Et nous nous sommes déplacés sur place, à Bamako, pour soutenir, appuyer, et encourager le peuple malien dans ce combat pour sa souveraineté.

Nous avons pris sur place des initiatives que nous sommes en train de concrétiser à savoir la création d'un siège du panafricanisme à Bamako. Nous avons déjà acquis un terrain. Et nous sommes en train de voir dans quelles conditions nous pouvons construire. Il s’agit de faire en sorte que ce concept de panafricanisme qui est tant évoqué puisse disposer d'une structure permettant de réfléchir de ce que doit être notre continent de demain. Par ailleurs, nous avons été très présents dans le combat mené par les Guinéens contre le troisième mandat. Nous avons soutenu l'alternance démocratique en Côte d'ivoire. Nous avons pris position lors des élections locales ici, à Dakar. Nous avons appelé, soutenu et salué les conditions dans lesquelles les élections se sont déroulées. Et nous avons également soutenu les élections démocratiques en Tanzanie et au Kenya. De plus, nous avons pris position et mené des actions contre l'esclavage. En ce moment, nous faisons un travail de sensibilisation auprès des Chefs d'États africains pour qu'ils prennent des dispositions nécessaires pour que l'esclavage soit inscrit dans le manuel scolaire, afin de préserver et de protéger les futures générations d'africains, de ne pas reproduire ce phénomène qui est un crime contre l'humanité.

Y a-t-il vraiment de quoi avoir peur ?

C'est un crime contre l'humanité qui dure, qui résiste aux évolutions scientifiques et technologiques. Et donc, il y a différentes mesures qui ont été prises. Des législations ont été pondues et mises en application. Puis des condamnations ont été prononcées par différents tribunaux, dans différents pays. Et malgré cela, ce crime contre l'humanité persiste, comme si l'humanité n'a pas tiré de leçon de l'atrocité de sa propre histoire.

C'est pour cette raison qu'au sein de notre organisation, nous estimons qu'il est très important de préserver les futures générations d'Africains. Elles ne doivent pas reproduire ce crime qui est justifié par certains par rapport à la religion et par d'autres par rapport aux appartenances sociales et culturelles. Nous estimons qu'il s'agit d'une absurdité qu'il faudrait combattre, dès le plus jeune âge.

Pourquoi est-ce que vous plaidez pour que le Prix Nobel de la paix soit décerné à la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu?

Madame Samia, pour nous, est une femme exceptionnelle, courageuse, qui est en train d'inscrire son pays dans une dynamique respectueuse de l'Etat de droit, de tolérance et de paix dans son pays. Le 8 mars dernier, elle a pris part au Congrès du principal parti de l'opposition tanzanienne et a pris la parole pour prononcer un discours extrêmement important. Elle a fait appel à toutes les forces vives de son pays pour se rassembler. Madame Samia a libéré les prisonniers politiques et s'est déplacée à l'étranger pour rencontrer les exilés politiques de son pays. De principaux dirigeants de l'opposition ont été libérés.

Elle a exprimé le vœu de voir les élections prochaines de son pays se dérouler dans la transparence, la liberté, mais surtout sans la violence. Donc, nous estimons, chez Waraba, que cette démarche est extrêmement importante et exceptionnelle, puisqu'elle est de nature à enraciner l'esprit de tolérance dans le débat politique, d'enraciner la démocratie dans les actes et décisions politiques de son pays. Cette posture mérite d'être encouragée. C'est pour cette raison que nous menons actuellement une campagne en Afrique, mais aussi partout dans le monde, pour demander à ce que le prochain Prix Nobel de la paix lui soit attribué. Et montrer au monde qu'il n'y a pas que des dictateurs dans le continent.

A côtés des dictateurs, tenaces et méchants, il y a des hommes politiques clairvoyants. Des démocrates qui savent, par rapport aux circonstances, prendre les décisions appropriées, dans l'intérêt de la démocratie, des libertés et de la tolérance. Ceux qui font un bon boulot en Afrique méritent d'être encouragés. Ils méritent notre soutien, notre considération et notre reconnaissance d'où la demande que nous avons déjà envoyée au Comité de Nobel pour que le prochain prix soit attribué à cette grande dame africaine.

Et quel est votre avis sur la situation qui prévaut au Congo?

Au sujet du conflit qui existe à l'Est de la République démocratique du Congo, nous avons estimé qu'il était de notre devoir d'interpeller l'organisation internationale de la Francophonie. Nous avons constaté qu'il y a un silence inquiétant de notre organisation internationale, puisqu'elle est la seule, au niveau mondial, à pouvoir parler au nom de la Francophonie. Notre organisation internationale n'a pas pris position sur la tension qui oppose deux pays, à savoir, le plus grand pays francophone au monde (RD Congo) et le Rwanda. Donc, ce silence étonne. Ça soulève des interrogations. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là.

Nous avons écrit une lettre destinée à la secrétaire générale de la Francophonie pour demander à ce que cette organisation s'allie à la condamnation prononcée par les Nations Unies, par l'Union Africaine et les organisations régionales. Nous avons demandé à ce que la Francophonie, comme l'ont fait les autres organisations, condamne les Forces extérieures qui sont stationnées à l'est du Congo et celles qui soutiennent les terroristes du M23. Et qu'elle utilise les instruments diplomatiques, juridiques, et politiques pertinents qui sont à sa disposition pour contribuer à la recherche d'une solution pacifique à ce conflit qui a quand même fait des milliers et des milliers de morts. Un conflit qui a provoqué des crimes qui sont qualifiés par des organisations de droit de l'homme et par les Nations Unies comme étant des crimes contre l'humanité. Très prochainement, nous allons lancer une pétition pour demander à ce que ce pays frère puisse disposer de son indépendance, de sa souveraineté. Et que l'unité de son pays soit une réalité.

Quel est votre point de vue sur le troisième mandat en Afrique ?

Le troisième mandat en Afrique est une insulte contre la dignité des peuples africains. Parce que lorsqu'ils acceptent de voter une constitution c'est pour qu'elle soit respectée et non pas être interprétée à des fins étrangères. Lorsqu'on a un mandat, d'un ou de deux ans, c'est deux et non pas trois mandats. La Constitution est la pièce maîtresse des institutions dans un État de droit. Lorsqu'elle n'est pas respectée, cela veut dire qu'on est en train de provoquer un désordre, l'anarchie dans le pays concerné. Donc, le pouvoir n'appartient à personne. C'est un bail. Ceux avec qui vous avez souscrit le contrat vous donnent un contrat de cinq ou sept ans et pas plus. Si la Constitution prévoit dix mandats, il n'y a pas de problème. Mais lorsqu'elle la constitution limite les mandats, ceux qui tentent de faire plus dénient la dignité et la conscience politique de ceux qui leur ont donné le mandat.

Même aux Comores, on a ce problème avec l'actuel chef d'Etat qui s'est maintenu au pouvoir en interprétant la Constitution à sa façon. A la fin du mandat, il faut savoir partir et laisser les autres apporter leurs contributions. Le tripotage de la Constitution est source de conflit.  C'est une forme de soumission que les dirigeants africains veulent imposer absolument à leurs peuples. Nous savons qu'il y a des forces derrière. Ceux qui les poussent à tripoter leur Constitution ne le font pas chez eux. Il est temps qu'il ait une prise de conscience à ce niveau.

Et quel est votre avis sur la manière dont se déroulent les manifestations (souvent avec des casses) dans nos pays, à chaque fois que les jeunes sont en désaccord, sur certains points, avec le gouvernement ?

Si vous n'avez pas d'autres moyens pour exprimer votre colère, votre ras-le-bol, et que vous sentez que tout est verrouillé pour vous maintenir dans une situation de sous-développement… Il faut faire très attention, puisque la réaction, quelquefois, elle est violente, mais légitime. Parce que c'est une réaction contre la dictature, contre l'arbitraire, la corruption… Et les jeunes ne le font pas par plaisir. Ils le font par réflexe, parce qu'ils veulent être entendus, parce qu'en face, il y a des murs. Il y a des gens qui s'enrichissent ouvertement, en toute impunité et qui les larguent. Les jeunes n'acceptent pas aussi que leurs frères, cousins et amis pétrissent en Méditerranée, avec l'indifférence totale de nos dirigeants.

BABACAR SY SEYE

 

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