Publié le 30 Jul 2024 - 12:19
MOR NDAO, PROFESSEUR TITULAIRE DES UNIVERSITÉS,  HISTORIEN MILITAIRE, DIRECTEUR DE L’ÉCOLE DOCTORALE ÉTUDES SUR L'HOMME ET LA SOCIÉTÉ DE L’UCAD SUR LE MASSACRE DE THIAROYE 1944

‘’Je pense que c’est un fardeau pour la France’’

 

L’enseignant-chercheur en histoire soutient qu’il est nécessaire de mener un travail de mémoire pour aboutir à la vérité historique sur le massacre de Thiaroye 44. Toutefois, cette initiative de la France de reconnaître "morts pour la France" des tirailleurs tués lors de cet événement, alors qu’aucun travail mémoriel n'a été fait par des historiens français et africains, crée un malaise au sein des sociétés civiles africaines qui réclament toujours à la France de reconnaître sa responsabilité dans le massacre de Thiaroye. 

 

Professeur, où en sont les recherches sur les sépultures des tirailleurs abattus et du nombre de victimes exact concernant ce massacre ? 

Les sépultures constituent une question très problématique et sujette à beaucoup d’interrogations. Les statistiques autour des tirailleurs expatriés constituent un nœud qu’il faut dénouer, car même avant leur arrivée à Dakar, la question s’est posée. En novembre 1944, ils étaient 1 950 à devoir embarquer pour Dakar depuis le port de Morlaix, mais 300 ont refusé d’embarquer pour Dakar. Ils seront emprisonnés pendant deux mois en France. Et pour les 1 600 tirailleurs qui avaient embarqué pour Dakar, 300 tirailleurs ont été laissés en rade à Casablanca.

Donc, le nombre exact de tirailleurs qui ont rejoint Dakar peut être estimé à 1 300 soldats. Concernant leur lieu d’inhumation, il y a trois versions qui s’affrontent pour situer avec exactitude les lieux d’enterrement. La première version vient des populations de Thiaroye Hakham avec le chef de quartier El Hadj Ibrahima Ngom qui affirme que les tirailleurs exécutés ont été enterrés dans la bordure de l’ancien cimetière des soldats indigènes à Thiaroye.  Malgré une sécurisation des lieux, ils ont pu voir les tirailleurs enterrés dans deux fosses recouvertes de branchages et de plantes.

La deuxième version nous vient de M. et  Mme Koffi, des agents de Poste de Thiaroye qui parlent plutôt des enterrements dans des tombes individuelles au cimetière de Thiaroye. La troisième version parle d’un enterrement dans des fosses communes derrière les baraquements à Thiaroye.

De mon point de vue, toutes ces versions méritent des approfondissements et des croisements ainsi que des fouilles archéologiques pour enfin faire toute la lumière sur cette affaire. 

Concernant le nombre exact de victimes, le président François Hollande avait reconnu 70 morts en 2014. Cette question reste toujours problématique aussi et constitue un nœud qu’il faut dénouer. Si l’on parcourt le rapport Carbillet qui donne des indications sur ce massacre, 508 cartouches ont été tirées sur des hommes désarmés et encerclés.  Au vu de ce rapport, on peut se faire une idée du nombre de victimes. Avec 100 tirs de sommation, on peut parler de centaines de victimes lors de cette tuerie.

À travers cette mesure, la France ne cherche-t-elle pas à couper l’herbe sous le pied des intellectuels qui demandent à Paris de reconnaître sa responsabilité sur Thiaroye 44 ?

Le travail mémoriel est fait au Sénégal depuis plusieurs années.   Des travaux menés par la professeure Armelle Mabon et Marcel Martin Mourre et des chercheurs sénégalais comme Cheikh Faty Faye, Mbaye Guèye, Samba Diop, Abdou Sow et Ousseynou Faye devront permettre d’éclairer sur la situation à Thiaroye en 1944. Je pense que c’est un fardeau pour la France et l'État colonial français.

La décision prise, c’est une avancée, si l’on voit l’évolution du dossier. En 1944, on parlait de rébellion armée, d’incitation à la violence et attente à la sûreté de l’État. Les rescapés de cette tuerie ont survécu et ont été condamnés par un tribunal le 5 mars 1945. Trente-cinq tirailleurs rescapés ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 35 ans de prison en 1947. Ils ont été amnistiés par le président Vincent Auriol. Mais cette amnistie n’absout pas juridiquement leur culpabilité. D’après le tribunal, ils sont toujours coupables. De mon point de vue, Il y a une évolution dans le traitement du dossier de Thiaroye 44 et la question dépasse le cadre colonial.  Le président Senghor a consacré à ce massacre des poèmes et avant les indépendances, on demandait la reconnaissance du massacre de Thiaroye et la culpabilité de la France.

Désormais, il est admis par tout le monde que c’est une tuerie et un massacre. Et le gouvernement français a tardé à le reconnaître et il y a un mouvement qui s’est créé en France pour rechercher la vérité. Dans ce sens, il faut louer le travail de notre collègue Armelle Mabon et des fils de tirailleurs qui ont porté la question devant les tribunaux français.

Ce qui est gênant, c’est qu’on ait pris six tirailleurs sur 70. Ainsi, il en reste 64. Cette question doit être vue dans une autre perspective. C’est une histoire partagée entre la France et les pays d’Afrique de l’Ouest. De ce fait, ces décisions ne peuvent être unilatérales, car ça dépasse le cadre du gouvernement sénégalais et concerne toute l’Afrique de l’Ouest (Dahomey, Soudan, Niger, Guinée, Burkina Faso).

La France refuse-t-elle ce travail de mémoire pour éviter de payer des réparations, comme ce fut le cas pour l’Allemagne à la suite de la reconnaissance du génocide des Hereros et des Namas en Namibie, entre 1904 et 1908 ?

La France refuse ce travail de mémoire, mais c'est une question sensible et qui nécessite un travail de construction et une déconstruction en termes de traitement du dossier.  Il faut reconstruire sur la base d’une réécriture pour éclairer les citoyens. La France doit prendre ses responsabilités.

Du côté de l’Algérie, il y a des avancées significatives dans le travail mémoriel de la colonisation française. Il doit en être de même pour Thiaroye 44 et que la France reconnaisse ses responsabilités, qu’on réécrive l’histoire. On peut réviser le procès des tirailleurs rescapés accusés de rébellion et de mutinerie. C’est un travail de mémoire qui doit être fait et qui doit impliquer les populations. Il nous faut mener le combat contre l’oubli.

Est-ce que les historiens sénégalais ont accès à toutes les archives de l’armée française ?

Les historiens sénégalais n’ont pas accès à toutes les archives. Celles en contentieux sous les tribunaux et la clause des 100 ans et même les archives qu’on a apportées ici, on les traite depuis plusieurs années et ce n’est pas disponible pour les chercheurs. Les archives rapportées par François Hollande ont été orientées vers les Archives nationales pour le classement et le traitement des données. Mais j’avoue que jusqu’à présent, on ne dispose pas encore des archives. Le rôle des historiens africains est de se battre pour disposer des archives et mettre des équipes de recherche pour faire des enquêtes de terrain en France et confronter ces archives avec d’autres. Beaucoup ne savent pas que les Américains et les Britanniques étaient à Dakar à cette époque.

Donc, il serait intéressant de confronter leur vision sur ces événements de Thiaroye 44, dans le but d’aller  vers la vérité historique. 

 Mamadou Makhfouse NGOM 

Section: 
5e ÉDITION DU CARNAVAL DE DAKAR : Le patrimoine et la transmission culturels mis à l’honneur
COMITÉ SÉNÉGALAIS DES DROITS DE L’HOMME - PLANIFICATION STRATÉGIQUE : Les défis qui attendent Amsatou Sow Sidibé
UN FILM DOCUMENTAIRE CAPTIVANT PROJETÉ AU CINÉMA LE PATHÉ : "1776 : Thierno Souleymane Baal et la révolution du Fouta" à l’écran
ACCUSATIONS RÉPÉTITIVES DE SONKO CONTRE LA PRESSE : Ni alliée ni ennemie d’aucun politicien
AMARA BREWAH, PRÉSIDENT DU COMITÉ EXÉCUTIF DE L’ARTAO ET DG DE LA NATCA DE LA SIERRA LEONE : ‘’Nous travaillons ensemble pour combler la fracture numérique’’
CAMPAGNE DE SENSIBILISATION AU SÉNÉGAL : OMG et SAF sensibilisent sur l’avortement clandestin
CULTURE : Réformes dans le secteur audiovisuel sénégalais
SERIGNE ALIOUNE DIOUF LAMBAYE (DISCIPLE DE SERIGNE TOUBA) : Son rôle dans l’extension du mouridisme dans le Baol
SUR LES ÉCRANS DE DENVER : Un festival pour la diaspora africaine
OFFENSIVE PATRONAT DE PRESSE : Le Cdeps dénonce les manipulations du gouvernement
Me Moussa Boucar Thiam dénonce la gestion des médias
PROMOTION ÉCONOMIE, SOCIALE ET SOLIDAIRE : Keur Massar va accueillir un forum international
ZOOM ORCHESTRE JIGEEN ÑI : Des amazones à la conquête de la scène
L’OSCAR DES TALENTS 2024 À MBOUMBA : La culture au service de l'agriculture
APRÈS LA JOURNÉE SANS PRESSE : Réactions et médiations tous azimuts
LE SÉNÉGAL EN SILENCE : La journée sans presse résonne jusqu'à l'international
ATTAQUES DU SUDES CONTRE LE RECTEUR DE L’UCAD : La réplique du Saes
JOURNÉE SANS PRESSE AU SÉNÉGAL : Un signal fort face à la crise des médias
LANCEMENT SCÈNE AFRICAINE : La plateforme qui réinvente la promotion de l’art
DJIBRIL DIAW (INITIATEUR D’IMAGE DU FLEUVE, À BOGHÉ, RÉALISATEUR DES FILMS ‘’1989’’ ET ‘’SANS FRONTIÈRES’’ : ‘’J’ai relancé le festival dans l’espoir de faire revivre la ville’’