Publié le 19 Mar 2015 - 09:04
MOTS CHOISIS : ‘’KARL MARX OU L’ESPRIT DU MONDE’’

De Jacques Attali – editions fayard – 598 Pages

 

De ses origines juives repérées vers le XVème siècle, aussi bien du côté de son père comme du côté de sa mère, on trouve des rabbins établis à Trèves et toujours en Rhénanie. La transformation de « Marc » en « Marx » ne tient qu’à des errements de graphie dans la rédaction de pièces d’état civil.

Trèves de l’époque est totalement catholique et si l’on en croit Goethe «  à l’intérieur de ses murs, elle est encombrée – non oppressée – par des églises, des chapelles, des cloitres, des collèges, des maisons d’ordre et de chevalerie ou des communautés assiégées – par des abbayes, des fondations religieuses, des chartreuses »

Le père de Marx, Herschel Marx Levy doit choisir entre sa profession et sa confession car certains métiers n’étaient pas autorisés aux juifs dans cette Prusse de 1815 au lendemain de Waterloo qui vit les acquis accordés à cette communauté mis entre parenthèse. Comme tous les autres juifs de l’Ancien Empire français, il doit choisir. Beaucoup de juifs rhénans confrontés au même dilemme optent pour la conversion. Ceci est d’autant plus facile pour lui qu’il ne croit pas à ce Dieu du judaïsme, mais à un Dieu abstrait qui parle plus aux savants qu’aux prêtres.

Après beaucoup d’hésitation et des mois de  galère avec une situation matérielle de plus en plus précaire parce que n’exerçant pas sa profession, et avec la mort de sa mère, il ne tient plus et finit par renoncer au judaïsme et troque le nom de Herschel Marx Levy pour celui de Heinrich Marx. On est en 1817

Le 5 Mai 1818, naquit à Trèves Karl Heinrich Mordechai. Karl Marx est né.

Déjà, à l’âge de 17 ans, il pose l’existence d’un conflit entre déterminations idéales et déterminations matérielles de la vie humaine.

Jaques Attali nous rappelle son héritage en ces termes :

« De ses origines, il hérite du judaïsme l’idée que la pauvreté est intolérable et que la vie ne vaut que si elle permet d’améliorer le sort de l’humanité.

Il hérite du christianisme le rêve d’un avenir libérateur où les hommes s’aimeront les uns et les autres.

Il hérite de la Renaissance, l’ambition de penser le monde rationnellement.

Il hérite de la Prusse la certitude que la philosophie est la première des sciences et que l’Etat est le cœur, menaçant de tout pouvoir.

Il hérite de la France la conviction que la Révolution est la condition de l’émancipation des peuples.

Il hérite de l’Angleterre la passion de la démocratie, de l’empirisme et de l’économie politique.

Enfin, il hérite de l’Europe, la passion de l’universel et de la liberté.

En définitive ce goût de liberté, Marx le tient de son père, cet homme aux trois cultures mêlées – juive, allemande, française – qui a su si bien transmettre à son fils le goût de liberté et d’universalisme. »

Il découvre Hegel, maître absolu de la philosophie allemande de l’époque pour qui, c’est la Raison qui gouverne le monde. Le sens profond et caché de la pensée de Hegel, c’est l’athéisme. Il faut d’abord libérer l’homme et l’Etat de l’emprise de la religion. A la différence de Hegel, son premier maître à penser, il entend donner une lecture globale du réel et ne voit le réel que dans l’histoire des hommes et non dans le règne de Dieu.

Aussi, découvre t-il Ludwig Feuerbach, ce jeune professeur chassé de l’université pour avoir fait scandale de son athéisme et sa critique de Hegel à qui il reproche d’avoir posé l’être comme une abstraction et d’avoir soutenu que les contradictions sont nécessaires à la naissance du neuf, tout en prétendant que l’Histoire s’achèvera par un système sans contradictions.

A la lecture de l’Essence du Christianisme de Feuerbach, pièce maîtresse de son œuvre où il soutient que pour permettre l’avènement d’une société vraiment humaine, la philosophie doit trouver son prolongement dans la politique, seule capable de libérer l’homme de ses aliénations par l’abolition de la propriété privée et donc du salariat. Il faut, poursuit-il, réunir l’humanité souffrante qui pense et l’humanité pensante qui est opprimée, autrement dit les manuels et les Intellectuels. Il faut transformer radicalement l’Etat, car il n’est pas comme le croyait Hegel, l’incarnation d’un absolu au dessus des classes, mais le reflet des rapports économiques, juridiques et sociaux d’une époque.

Dès lors, Marx cherche sa voie entre Hegel et Feuerbach

En survolant l’influence du marxisme au cours du siècle écoulé aussi bien en Russie avec  Lénine qu’en Chine, en passant par l’Europe de l’Ouest où certains se sont réclamés de cette idéologie y compris le PS Français à son congrès d’Epinay avec un certain François Mitterrand, Marx apparaît comme le grand penseur de notre siècle et son action est à la source de ce qui fait l’essentiel de notre présent : c’est dans l’une des institutions qu’il a fondées, l’Internationale, qu’est née la social-démocratie qui gouverne un peu partout dans le monde.

Passant au crible sa théorie économique avec la notion de la plus-value, Attali arrive à cette extraordinaire conclusion :

« La théorie de Marx retrouve tout son sens dans le cadre de la mondialisation d’aujourd’hui comme il l’avait prévue. Nous assistons à l’explosion du capitalisme, au bouleversement des sociétés traditionnelles, à la montée de l’individualisme, à la paupérisation absolue d’un tiers monde, à la concentration du capital, aux délocalisations, à la marchandisation, à la création de richesses par la seule industrie, à la prolifération de l’industrie financière visant à se prémunir contre les risques de la précarité.

…Demain – si la mondialisation n’est pas une nouvelle fois remise en cause – le maintien de la rentabilité du capital ne pourra pas passer par une socialisation mondiale des pertes, faute d’un Etat mondial ; il passera par la réduction du coût du travail, c'est-à-dire par des délocalisations, le démantèlement de la protection sociale et le remplacement accéléré de certains services par des produits industriels afin de réduire le coût de production de la force de travail. Autrement dit, l’automatisation des services de loisirs, de santé et d’éducation.

La tyrannie du neuf, le fétichisme de la consommation dont Marx a tant parlé, retarderont alors peut être à jamais – dans la fascination du spectacle indéfiniment renouvelé des marchandises – l’avènement de la révolution, elle-même devenue un spectacle donné par quelques terroristes au reste du monde.

Lorsqu’il aura épuisé la marchandisation des rapports sociaux et utilisé toutes ses ressources, le capitalisme, s’il n’a pas détruit l’humanité, pourrait aussi ouvrir à un socialisme mondial et le marché, laisser la place à la fraternité, une transition dans l’esprit du monde, cette « évolution révolutionnaire » si chère à Marx. »

Jacques Attali nous rappelle encore que les générations à venir se souviendront du proscrit Karl Marx qui, dans sa misère londonienne, pleurant ses enfants morts, rêvait d’une humanité meilleure. Elles reviendront alors vers l’esprit du monde et son message principal : l’homme mérite qu’on espère en lui. »

Ce livre est une contribution majeure à la compréhension des courants qui ont traversé notre temps et permet d’enjamber des siècles de théories philosophiques, économiques et sociales.

La pensée socio-économique du marxisme demeure plus actuelle aujourd’hui, dans ce contexte de mondialisation à visage inhumain et, ceux qui s’en sont nourris, quoique devenus aujourd’hui sociaux-démocrates ou libéraux, doivent entendre l’écho des peuples appelant  à plus de justice et d’égalité. Et n’en déplaise à ceux qui disent que : « N’avoir pas été marxiste, c’est ne pas avoir de cœur et,  le demeurer, c’est ne pas avoir de tête » parce que simplement ceux-là,  ignorent que le demeurer, c’est rester fidèle à un certain humanisme.

Mots choisis par :

Ameth GUISSE, 

Rufisque

Administrateur de Société.

Auteur des romans : « Femmes dévouées, femmes aimantes » et « Une mort magnifique »

Editions : Harmattan Sénégal

Email : amathguisse@yahoo.fr

 

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