Le retour du monstre
Ah ! Cela faisait longtemps que ce monstre-là n'avait pas montré son visage. Enfin, pas de façon aussi hideuse, puisque çà et là, quelques incidents de moindre envergure ont quand même émaillé la vie de la presse ces dernières années. Personne ne le réclamait pour autant ! Depuis la fameuse attaque de partisans du PDS qui avaient saccagé les locaux des quotidiens "L'AS" et ‘’24H Chrono’’, les attaques-vendetta de locaux de presse n'étaient plus du paysage médiatique sénégalais. C'était en août 2008.
Les faits qui ont touché, il y a quelques jours, le quotidien "Les Echos", sont venus nous rappeler que le monstre ne disparaît jamais définitivement. Pour Cheikh Oumar Ndao, le patron des ‘’Echos’’, le mois d'août a une amère saveur. En août 2008, il était le rédacteur en chef de "L'AS" dirigé alors par Thierno Talla et sauvagement attaqué dans la soirée du 17.
La révélation faite par les journalistes du quotidien "Les Échos" de l'infection au coronavirus et de l'internement à l'hôpital Principal de Serigne Moustapha Sy, sort-elle du strict cadre de la liberté d'informer ? Pour le moins, le marabout, responsable moral du Dahira des Moustarchidines, est un personnage public dont les tonitruants propos déchirent régulièrement l'espace médiatique. L'une de ses dernières sorties, celle du 11 juillet dernier à Tivaouane, n'a pas dérogé à la règle : le président Macky Sall et son régime et bien d'autres sujets ont suscité ses diatribes.
Mais cette sortie est d'autant plus intéressante à souligner qu'elle a été l'occasion de propos sur la bien actuelle situation pandémique. Le guide des Moustarchidines qui a souligné, à cette occasion, que certains se demandent si que "le coronavirus est un soldat envoyé par Dieu pour régler des comptes" et rappelé, haut et fort, son opposition à la fermeture des mosquées. À écouter son discours, il est difficile de ne pas penser aux thèses complotistes.
Last but not least - c'est un détail important - en plein contexte de lutte contre le corona, il a n'a pas rechigné à organiser une manifestation d'envergure, rassemblant des milliers de fidèles talibés dans la capitale de la Tidianya au Sénégal. Quoi alors de plus normal que sa sérologie puisse intéresser le public au point d'être divulguée par les médias ?
Loin de la cachotterie et de la stigmatisation du début, les célébrités jouent désormais la transparence. Bon nombre d'entre elles prennent plutôt les devants, en révélant leur infection au coronavirus, vite relayée par la presse, qu'elles l'aient souhaitée ou pas. A moins de considérer qu'un religieux ne doit pas être affecté par une telle maladie, on ne voit pas en quoi il y aurait anomalie à ce qu'un journal parle de l'infection d'un homme public, très médiatique de surcroît.
Bien entendu, au lendemain du saccage des locaux du journal "Les Echos", les réactions ont été unanimes à condamner cette vendetta. "À chaque fois qu’il y a agression contre les journalistes, les auteurs de ces barbaries refusent en fait à la presse le droit d’informer. La presse est intimidée pour ne pas exercer sa liberté d’informer", souligne le Conseil des éditeurs et diffuseurs de presse du Sénégal (CDEPS) qui rappelle les incidents demeurés impunis et survenus à la station RFM de Mbacké, avec le directeur de publication de ‘’Waa Grand Place’’ et à la chaîne 7TV.
Mais la déclaration diffusée par l'Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel) est en soi un modèle de franc soutien, comme pour le CDEPS et le Synpics, mais de maladresse aussi, malheureusement. Comment indiquer dans un communiqué de presse, pour justifier la liberté d'informer des ‘’Echos’’, que la nouvelle de l'infection du marabout a été "confirmée par des autorités de l'établissement sanitaire" dont on peut douter fort qu'elles aient compétence et légitimité pour communiquer sur l'identité de leurs patients et leur dossier médical ? A la limite, c'est balancer sa source, si tant est qu'elle est réellement à l'origine de la nouvelle.
Que la presse cherche et trouve une info qui l'intéresse et l'exploite, cela est tout à fait normal, mais vouloir légitimer la diffusion d'une telle information parce qu'elle a été confirmée par des gens qui n'avaient pas vocation à la donner, cela pose problème. Les organisations faîtières des médias gagneraient d'ailleurs à veiller plus attentivement au contenu de leurs communiqués de presse qui semblent souffrir, quelquefois, de problèmes… d'écriture.
Quant à l'Etat, il est évident qu'il ne peut prévenir de tels actes en postant un policier ou un gendarme devant chaque journal, mais il a la possibilité et le devoir de les décourager en les réprimant sévèrement. Il n'y a aucune raison de penser que les auteurs de tels faits ne seront pas traqués, identifiés et arrêtés rapidement, d'autant plus qu'une organisation a ouvertement revendiqué l'attaque. C'est un impératif de la démocratie ! Les yeux fermés sur des précédents, certes moins graves, mais tout de même constitutifs d'atteinte à la liberté de la presse, ont pu conduire à une telle agression qui nous ramène à 2008.
Tabaski, la quinzaine d'après... - Après la fête, place à bien d'autres soucis. Près de cinq mois après l'apparition du premier cas de Covid-19 au Sénégal, la célébration de la Tabaski de cette année était bien particulière. Avec une très sensible question en toile de fond : dans quelle mesure impactera-t-elle l'épidémie ? Retenez-bien une date ou plus exactement une période : celle du 15 août et la semaine qui la suivra. Ce ne sera pas pour la traditionnelle fiesta à polémiques sur la plage de l'Hydrobase à Saint-Louis ou les ‘’nguels’’ (fêtes sérères) de la Petite Côte, mais bien pour les incidences sanitaires de cette célébration religieuse. Y aura-t-il une explosion de cas de Covid-19 du fait de la grande migration qui l'aura accompagnée et du brassage de populations provenant de l'épicentre qu'est Dakar, allant dans toutes aux quatre coins du pays ? L'appel du ministre de la Santé, via les médias, à ne pas se déplacer à cette occasion, témoigne des grandes appréhensions des autorités sanitaires.
Deux semaines après la Tabaski, si cette fête ne fait pas trop de casse, l'on pourra être optimiste sur le devenir de l'épidémie au Sénégal. Mais si elle sert d'effet multiplicateur à grande vitesse à la contagion, alors bonjour les dégâts et l'hypothèque sur de grands événements religieux à venir : le Magal et le Gamou notamment. Là dé, ça c'est une autre affaire... plus délicate encore pour l'Etat sénégalais.
PS : 1/ Les mesures de renforcement des gestes barrières dont la mise en œuvre est annoncée pour démarrer aujourd'hui, témoignent des angoisses des autorités. Tout ce qui se profle à l'horizon comme risques était pourtant bien prévisible. Espérons que ce n'est pas déjà trop tard !
2/ Faut-il raser Sandaga ? Puisque la presse est le champ d'un débat permanent sur le sujet, j'émets ici un avis qui vaut ce qu'il vaut : OUI, il faut en finir avec ce bâtiment de 1935 qui n'était rien d'autre qu'un marché pour indigènes à l'origine. N'oublions pas que sa fermeture, à partir de 2013, était liée aux énormes risques sécuritaires qu'il posait déjà. A reconstruire à l'identique ou pas, on ne pourra pas faire l'économie de casser cette ‘’bringuebalante’’ vieillerie.
Au fait, un patrimoine pour qui ? Des nostalgiques de quoi ?
PEPESSOU