Public Eye met à nu les mauvaises pratiques de Nestlé
Avec une politique de marketing agressive, le n°1 mondial de l’alimentation promeut ses deux produits (Nido et Cerelac) dont la teneur en sucre est néfaste pour la santé des enfants.
‘’Comment Nestlé rend les enfants accros au sucre dans les pays à revenu faible ?’’. C’est le titre à la une du site de Public Eye vendredi dernier. Il résulte des conclusions de l’ONG suisse que ‘’les deux principales marques d’aliments pour bébés que Nestlé promeut comme saines et essentielles au développement des enfants dans les pays à revenu faible ou intermédiaire contiennent des niveaux élevés de sucre ajouté’’. En Suisse où la multinationale a son siège, ‘’de tels produits sont vendus sans sucre ajouté’’, révèle l’enquête réalisée par Public Eye, en collaboration avec le Réseau international d’action pour l’alimentation infantile (Ibfan).
Contrairement aux allégations de Nestlé qui présente ces produits comme des produits ‘’enrichis en vitamines, minéraux et autres micronutriments essentiels, spécialement conçus pour répondre aux besoins des bébés et enfants en bas âge’’ et qui ‘’contribueraient à renforcer leur croissance, leur système immunitaire et leur développement cognitif’’, l’enquête a permis de démontrer le contraire.
C’est comme si, pour la multinationale, les bébés dans les pays du Sud n’ont pas les mêmes besoins en nutriments que les bébés en Suisse et en Europe. ‘’Par exemple : en Suisse, Nestlé fait la promotion de ses céréales pour bébés de 6 mois ‘saveur biscuit’ avec la mention ‘Sans sucre ajouté’, tandis qu’au Sénégal ou en Afrique du Sud, les céréales Cerelac de la même saveur contiennent 6 g de sucre ajouté par portion’’, informe Public Eye.
‘’En Suisse et en Europe, pas de sucre ; au Sénégal, jusqu’à 6 g de sucre ajouté par portion’’
Épidémiologiste et professeur au Département de nutrition de l’université fédérale de Paraíba, au Brésil, Rodrigo Vianna estime que ‘’le sucre ne devrait pas être ajouté aux aliments destinés aux bébés et aux jeunes enfants, parce qu’il est inutile et a un fort pouvoir addictif. Les enfants rechercheront des aliments de plus en plus sucrés, amorçant un cycle négatif qui augmente le risque de troubles liés à l’alimentation à l’âge adulte, comme l’obésité ainsi que d’autres maladies chroniques telles que le diabète ou l’hypertension’’.
Embouchant la même trompette, Nigel Rollins, scientifique à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) regrette ‘’un double standard injustifiable’’. Pour lui, le fait que Nestlé n’ajoute pas de sucre à ces produits vendus en Suisse, mais soit tout à fait disposé à le faire dans des pays où les ressources sont plus faibles, est ‘’problématique, tant d’un point de vue éthique que de santé publique’’.
Ce point de vue est partagé par OMS, qui alerte depuis des années sur la teneur en sucre ajouté élevée dans les produits alimentaires pour bébés et ses dangers à long terme. ‘’Les résultats de votre enquête soulignent la nécessité d’une action urgente pour remodeler l’environnement alimentaire des enfants’’, déclare à Public Eye et Ibfan le docteur Francesco Branca, directeur du Département nutrition et sécurité sanitaire des aliments à l’OMS. Selon lui, ‘’l’élimination des sucres ajoutés dans les produits alimentaires destinés aux jeunes enfants est un moyen important pour prévenir l’obésité de manière précoce’’.
L’organisation met ainsi en garde contre la progression de l’obésité, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où elle atteint des ‘’proportions épidémiques’’ et entraîne une explosion des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, les cancers et le diabète. ‘’L’augmentation de la consommation de produits ultratransformés, souvent riches en sucre, est désignée comme l’une des principales causes de cette épidémie’’, indique l’enquête.
Les mises en garde de l’OMS foulées aux pieds par l’industrie
Selon le document, ce fléau frappe de plus en plus chez les plus jeunes. ‘’L’obésité infantile a été multipliée par dix durant les quatre dernières décennies, selon l’agence onusienne qui estime à 39 millions le nombre d’enfants de moins de 5 ans en surpoids ou obèses. La grande majorité d’entre eux vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire’’.
Pourtant, soulignent les enquêteurs, dans les pays développés, la multinationale recommande publiquement d’éviter les aliments pour bébés qui contiennent du sucre ajouté. De sages conseils qu’elle est la première à fouler aux pieds dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, ‘’où Nestlé continue d’ajouter, en toute connaissance de cause, des quantités élevées de sucre à certains de ses produits les plus populaires’’.
L’enquête est également revenue sur comment Nestlé promeut avec agressivité ses produits dans les pays pauvres. Souvent, c’est avec des experts, médecins et nutritionnistes complices. ‘’Nestlé a été le pionnier du ‘marketing médical’, un ensemble de techniques qui restent aujourd’hui la pratique standard au sein de l’industrie. La stratégie : renforcer les liens avec les professionnels de la santé, chercher à obtenir le soutien de scientifiques de premier plan, tout en se posant en partenaire de confiance des parents pour la nutrition et le développement de leurs enfants’’, raconte à Public Eye Phillip Baker, chargé de recherche à l’université de Sydney, en Australie, et auteur de nombreuses études sur le sujet.
Au-delà de l’objectif principal qui est de gagner une plus grande part du marché, la stratégie vise à ‘’fidéliser les consommateurs et consommatrices pour la vie’’. Public Eye rapporte le témoignage de Baker qui parle d’une ‘’stratégie marketing du berceau à la tombe’’. ‘’L’idée est d’attirer les clients dès leur plus jeune âge, de les fidéliser à la marque et de développer leurs préférences gustatives pour ses produits’’, explique le chercheur à Public Eye.
MOR AMAR