Tous contre le troisième mandat de Macky Sall
Après les intellectuels africains, les députés français, 64 organisations de différentes structures socio-politiques annonce une plateforme contre les reculs démocratiques notés au Sénégal.
‘’J’ai donné une opinion qui correspondait à ma conviction du moment. Celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position. Nous sommes en politique.’’ Dans son entretien exclusif accordé, en début de semaine, au journal français L’Express, le président de République commentait ainsi sa promesse, faite dans son autobiographie publiée avant la présidentielle de 2019, ‘’Le Sénégal au cœur’’, de ne pas briguer un troisième mandat. Cette interview polémique qui n’est pas passée inaperçue, soulève encore plus les doutes sur la probable candidature du président sortant à l’élection présidentielle du 25 février 2024.
Ce pavé jeté dans la mare sera-t-il l’acte antidémocratique de trop ? Pour faire face, soixante-quatre organisations politiques, syndicales, citoyennes, de la société civile et des personnalités indépendantes se sont coalisées, mercredi 22 mars 2023 à Dakar, pour mettre en place une plateforme de lutte pour la défense et la consolidation des acquis démocratiques. Selon un communiqué transmis par les concernés, cette plateforme sera officiellement lancée très prochainement.
Yewwi dedans, pas le PDS
L’organisation regroupe les principales formations politiques de l’opposition. On y retrouve Pastef-Les Patriotes, Taxawu Sénégal, Les Serviteurs, etc. Mais aussi, des organisations de la société civile à l’image d’Africajom Center, plateforme avenir Sénégal bi nu Bëg, Union démocratique des enseignantes et enseignants du Sénégal (UDEN), Islam et sociétés. Selon ces structures, ‘’les fondamentaux de la démocratie sont menacés par un processus électoral biaisé avec de réelles menaces qui pèsent sur la Constitution. En outre, la volonté de trahir sa parole donnée en briguant une 3ème candidature moralement inacceptable et constitutionnellement illégale est de plus en plus affichée et assumée par le Président Macky Sall et ses souteneurs.’’
La candidature du président de la République est source de tensions politiques au Sénégal à un an de l’élection présidentielle. Macky Sall est déjà investi par plusieurs membres du gouvernement et membres de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar. Mais ‘’je n‘ai pas encore apporté ma réponse. J’ai un agenda, un travail à faire. Le moment venu, je ferai savoir ma position, d’abord à mes partisans, ensuite à la population sénégalaise. (…) Sur le plan juridique, le débat est tranché, depuis longtemps. (…) Le Conseil constitutionnel a estimé que mon premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme. La question juridique est donc réglée’’, soutient le chef de l’Etat.
Le mandat de tous les dangers
Les inquiétudes autour de cette potentielle troisième candidature vont au-delà des frontières sénégalaises. C’est en France que André Chassaigne, Député du Puy-de-Dôme, président du groupe GDR et Jean-Paul LECOQ, Député de Seine-Maritime ont interrogé, dans une lettre adressée, le 17 mars dernier, à Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, leur gouvernement sur ‘’la situation politique au Sénégal est de plus en plus dangereuse à mesure que s'approche son élection présidentielle.’’
Les parlementaires ont noté au Sénégal une ‘’menace d'un troisième mandat du Président Macky Sall’’, des ‘’tentatives d'intimidation, des menaces et des actions judiciaires contre les opposants politiques du Président Macky Sall’’, et ‘’12 millions d'euros’’ que ‘’le Président Macky Sall aurait donné à la députée Marine Le Pen lors de son entrevue privée avec lui le 18 janvier dernier.’’
La France ne veut pas se prononcer sur le ‘’Ni oui, ni non’’
Interpellé hier sur cette lettre, lors d’une conférence de presse, Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré : ‘’il ne nous revient pas de nous prononcer sur cette question qui reste hypothétique. A ma connaissance, il n’y a pas eu d’annonce de candidature du président Macky Sall.’’
Dans le même sillage, plus d’une centaine d’intellectuels ont signé une tribune adressée au président sénégalais pour condamner ‘’les restrictions apportées à la liberté de mouvement des citoyens’’, et la ‘’continuelle instrumentalisation de la justice’’. Ces personnalités parmi lesquelles, Boubacar Boris Diop, Sophie Bessis ou encore Mamadou Diouf interpellent sur ‘’une menace réelle (qui) pèse sur la stabilité et la paix sociale du pays’’, et lancent un ‘’appel à la raison’’ au président Macky Sall.
Au-delà de la question du troisième mandat, la future plateforme de lutte pour la défense et la consolidation des acquis démocratiques estime, dans sa note que ‘’le Sénégal traverse l’un des moments les plus sombres de son histoire politique. Cet état de fait se manifeste par les libertés individuelles et collectives confisquées, la gabegie érigée en mode de gestion, la parole publique malmenée, des arrestations tous azimuts et le bradage pour une clientèle politique de nos ressources foncières et autres ressources naturelles (minérales, énergétiques, halieutiques, forestières, en eau...). Il s’y ajoute une violence inouïe exercée sur des manifestants désarmés par un pouvoir en mal de repères.’’
‘’Le Sénégal traverse l’un des moments les plus sombres de son histoire politique’’
Les 15 et 16 mars 2023, les manifestations violentes en marge du procès opposant Ousmane Sonko, leader de l’opposition et le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, ont provoqué au moins 3 morts. Au-delà de cette affaire, par le biais duquel l’opposition dénonce une volonté d’empêcher la candidature du maire de Ziguinchor à la présidentielle, la tension politique se symbolise par les multiples arrestations notées dans le parti d’Ousmane Sonko, les centaines de manifestants interpellés et placés sous instruction judiciaire, les enquêtes visant le personnel de la clinique privée ayant accueilli le leader de Pastef, après son accrochage musclé avec les forces de l’ordre, etc.
Dans ce contexte, un rapport du département d’Etat américain et un communiqué d’Amnesty International pointent du doigt des refus du droit à manifestation pacifiques, des arrestations arbitraires visant des opposants, la mort de manifestants associés l’usage excessif de la violence des forces de l’ordre, le manque d’enquêtes indépendantes sur ces cas, etc. Malgré tout, pour le président de la République, qui s’exprimait lors du dernier conseil des ministres, déclare que le Sénégal reste une démocratie exemplaire.
Lamine Diouf