Les mille et une questions de la double nationalité
Binational ! Un mot, plusieurs interrogations. Wade a-t-il dirigé le Sénégal illégalement ? Depuis quand la Constitution oblige les candidats à la présidentielle à être de nationalité exclusivement sénégalaise ? Ce que la loi sénégalaise dit sur les binationaux ainsi que la possibilité de renoncer à sa nationalité sénégalaise. Voilà autant que questions. EnQuête pose le débat, sans oublier de voir ce qui anime les Sénégalais qui cherchent la double nationalité.
En déclarant que Karim Wade et son père ont la nationalité française, Me Seydou Diagne, l’avocat de ce dernier, a sans doute fait plus une bourde qu’un lapsus. Une erreur qui pourrait être préjudiciable à Wade fils qui a des ambitions présidentielles. Surtout que la Constitution sénégalaise ne permet pas à un binational d’être candidat. Mais cette révélation voudrait dire également qu’Abdoulaye Wade a dirigé le Sénégal dans l’illégalité, pendant au moins 5 ans (2007-2012). Pourquoi au moins 5 ans ? Parce que les interlocuteurs n’arrivent pas à se retrouver sur la date d’inclusion d’une telle disposition.
Selon l’ancien ministre Abdoulaye Makhtar Diop et un constitutionnaliste, l’adverbe ‘’exclusivement’’ a figuré dans la Constitution du Sénégal, bien avant 2001. Par contre, un autre constitutionnaliste et un membre de la mouvance présidentielle soutiennent que c’est Abdoulaye Wade qui a introduit cette disposition dans la Constitution de 2001. En attendant que la vérité soit connue sur cette affaire, on retiendra que si ce que l’avocat a dit est conforme à la réalité, alors Me Wade a gouverné le Sénégal en toute illégalité. Reste à savoir si c’est pendant 12 ans ou pendant 5 ans. Et comment cela a-t-il pu échapper au Conseil constitutionnel chargé de valider les candidatures ?
Mais dans tous les cas, la mouvance présidentielle compte profiter de l’aubaine politique. ‘’Si ça s’avère exact, c’est très grave. Il s’agirait d’une sorte de parjure, de violation de la Constitution, d’une triche notoire, d’une haute trahison’’, s’exclame ce responsable de la majorité présidentielle qui réclame que Me Wade fasse la lumière sur cette affaire, sachant qu’il continue de bénéficier de privilèges liés à son statut d’ancien chef d’Etat.
Mais au-delà de Karim Wade et de son papa, se pose de façon plus générale la question de la double nationalité. Là aussi, difficile d’avoir un seul point de vue sur le plan légal. Les constitutionnalistes s’accordent sur ce point pour dire que le code de nationalité n’interdit pas le cumul d’une autre nationalité avec celle sénégalaise. Pourtant, l’ancien ministre Abdoulaye Makhtar Diop se veut formel. L’interdiction existe bel et bien, d’après lui. ‘’Le code de la nationalité est très clair. Tout Sénégalais majeur qui opte pour une autre nationalité est automatiquement déchu de la nationalité sénégalaise. Il n’y a même pas besoin de prendre un arrêté ou un acte quelconque’’, tranche-t-il. À la question de savoir si ceux qui héritent de la nationalité de leur maman et qui deviennent donc des binationaux, dès la naissance, sont concernés, l’administrateur civil se révèle encore plus catégorique. ‘’La nationalité sénégalaise est exclusive, point ! Quelles que soient les circonstances, vous ne pouvez avoir la double nationalité’’, renchérit-il. Là également, les avis restent donc tranchés.
Les interpellations de Cheikh Anta à l’endroit de Senghor
Reste à savoir ce qui pousse les Sénégalais à chercher la double nationalité. Par exemple, il est de notoriété publique que des hommes politiques, des acteurs économiques, des stars de la musique ou d’autres disciplines, etc. envoient leurs femmes accoucher à l’extérieur, particulièrement en France et aux Etats-Unis, afin que leurs fils deviennent des citoyens de ces pays par le biais du droit de sol. Certains leaders politiques de la première génération également sont des binationaux. Par exemple, un interlocuteur indique que l’une des questions que Cheikh Anta Diop a posé à Senghor jusqu’à son départ du pouvoir était de savoir s’il pouvait prouver qu’il n’était pas binational. Une interrogation qu’il mettait régulièrement en encadré dans le journal ‘’Siggi’’. Mais Senghor n’a jamais répondu à cette question.
Si certains acquièrent leur seconde nationalité par leurs parents ou leur lieu de naissance, les premiers binationaux eux l’ont héritée du système colonial. Avant l’indépendance, ils avaient la nationalité française pour participer au débat public. Ils le faisaient donc plus en tant que Français que Sénégalais. A l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, beaucoup qui n’ont pas ‘’jugé bon de se débarrasser de cette nationalité coloniale’’ ont demandé à la conserver.
La nationalité de sécurité
D’après nos interlocuteurs, ce que ces gens-là cherchent va au-delà de la nationalité de prestige. Ils sont à la recherche des opportunités liées à l’autre nationalité. L’obtention du visa par exemple devient moins problématique. Une fois dans ces pays, l’accès aux services sociaux, comme la prise en charge médicale devient aussi plus facile, croit savoir un interlocuteur. Bref, ils sentent la nécessité de renforcer la nationalité sénégalaise par une autre dite de sécurité. Sécurité sociale, mais aussi sécurité physique.
En guise d’illustration, sur le site planète-Sénégal.com, un internaute exprime ses soucis en ces termes : ‘’Moi aussi je suis sénégalaise de France, mais, on m'a toujours dit qu’en ayant la double nationalité, si jamais il m'arrivait un problème au Sénégal, la France ne pourrait pas intervenir... Est-ce que c'est vrai ?’’ Une interrogation qui indique clairement l’un des buts visés. Et sur le site, les binationaux discutent beaucoup sur la possibilité ou non que la France intercède en leur faveur, s’ils ont des soucis au Sénégal. Sans doute que la propension de l’hexagone à intervenir dans ses anciennes colonies y est pour beaucoup.
Renoncer à la nationalité sénégalaise ? Pas évident !
Face à cette situation, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité d’interdire la double nationalité, si tel est le cas aujourd’hui. Abdoulaye Makhtar Diop révèle qu’un ancien ambassadeur de la France lui avait demandé, en 1989, de reprendre sa nationalité française. Mais il a refusé. Sa devise est claire : ‘’On peut avoir plusieurs nationalités, si on veut, mais on n’a qu’une seule patrie.’’ Et pour lui, la patrie, c’est la terre des parents. Pour autant, il n’est pas contre l’instauration d’un débat sur cette question. A son avis, il est important de voir si au 21e siècle, avec le monde planétaire, il faut interdire la double nationalité. Une vision qui cadre parfaitement avec celle de l’interlocuteur membre de la majorité présidentielle qui se dit attaché à la libre circulation des personnes. Lui aussi se demande s’il est opportun de maintenir l’interdiction.
Cependant, tous les deux sont d’accord qu’à partir d’un certain niveau de responsabilité, il faut des restrictions. Ils ne peuvent pas admettre qu’un président de la République soit un binational. Un conflit d’intérêts potentiel existe. La personne qui veut diriger un pays doit donc faire un choix. Renoncer à une nationalité. Mais il faut faire attention sur cette question. L’un des constitutionnalistes affirme que, contrairement à la croyance populaire, la nationalité n’est pas un droit dont on peut disposer librement. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un Sénégalais a décidé de renoncer à sa nationalité qu’il la perd. D’après lui, ce que le citoyen peut faire, c’est de formuler une intention de renonciation. La décision appartient alors à l’Etat, particulièrement au président de la République qui peut accepter, comme il peut refuser. Et dans le cas d’un refus, il reste sénégalais et l’Etat exerce tous ses droits sur lui.
BABACAR WILLANE