Publié le 25 Mar 2025 - 19:45
PASTEF ET LA PRESSE    

Une relation cent peurs et cent reproches 

 

Les relations entre  Pastef/Les patriotes et une partie de la presse sénégalaise ont atteint un nouveau point de crispation cette semaine. Après un communiqué virulent du parti dénonçant les "dérives" de certains médias, des membres du gouvernement et des militants ont lancé un boycott du Groupe futurs médias, accusé d'avoir insulté le Premier ministre. Cet épisode n'est que le dernier chapitre d'une relation tumultueuse qui remonte aux origines du mouvement politique.

 

Le parti au pouvoir, Pastef/Les patriotes, dirigé par Ousmane Sonko, a exprimé, par le biais d'un communiqué publié le dimanche 23 mars 2025, son inquiétude face à la dégradation du débat public. Intitulé ‘’Oui à la liberté d'expression et de presse, non aux injures publiques’’, ce texte dénonce la prolifération des attaques personnelles, des diffamations et des insultes attribuées à certains acteurs médiatiques.

Selon le Pastef, cette situation altère la qualité du débat démocratique et détourne les médias de leur mission première.
Le parti critique également le rôle de certains analystes et chroniqueurs qu'il accuse de déroger aux principes éthiques du journalisme en alimentant des discours haineux et partisans. S'il reconnaît le droit à la critique, Pastef insiste sur la distinction nécessaire entre liberté d'expression et dénigrement gratuit. Il appelle ainsi les organes de presse à plus de rigueur et de responsabilité.

Le boycott de TFM : Un bras de fer qui persiste

Dans la foulée, plusieurs militants et cadres de Pastef ont appelé au boycott du Groupe futurs médias (GFM), exigeant des excuses publiques à la suite des propos jugés offensants à l'égard du Premier ministre. Parmi les figures de proue de ce mouvement, le ministre de la Microfinance et de l'Économie sociale et solidaire, Alioune Badara Dione, a déclaré : ‘’Face au mépris et à la complicité des membres permanents de l'émission, j'ai décidé de boycotter cet organe jusqu'à ce qu'il accepte de présenter des excuses publiques.’’
Cette fronde fait suite à l’émission "Jakaarlo" de vendredi dernier marquée par un débat tendu entre le chroniqueur Badara Gadiaga et le député Amadou Ba de Pastef. La diffusion de vidéos issues de cette émission sur les réseaux sociaux a alimenté la polémique et réactivé les tensions entre Pastef et certains médias. Une défiance ancienne qui tourne à la guerre ouverte.

Ce n'est pas la première fois que le Pastef s'en prend au Groupe futurs médias. Déjà sous Macky Sall, le GFM était accusé par les sympathisants du parti de favoriser le pouvoir en place. Plusieurs épisodes ont marqué cette défiance.

Une défiance ancienne qui tourne à la guerre ouverte

En janvier 2019, à quelques semaines de l’élection présidentielle, le Groupe futurs médias avait rapporté une information explosive : Ousmane Sonko aurait touché 195 000 dollars de la compagnie pétrolière Tullow Oil. Pour étayer cette allégation, le média avait présenté un document en anglais, présenté comme une preuve.

Cependant, Tullow Oil  avait démenti formellement l’existence d’un tel paiement. Pour le Pastef, cet épisode était la preuve d’une manipulation médiatique destinée à discréditer Sonko à un moment clé de la campagne.

L’affaire Adji Sarr : une couverture jugée partiale

Plus tard, lors du procès opposant Adji Sarr à Ousmane Sonko, le même organe avait une nouvelle fois été accusé de traitement orienté. Les partisans du Pastef dénonçaient un déséquilibre dans le traitement de l’affaire, avec une focalisation jugée excessive sur les accusations contre Sonko, sans donner suffisamment la parole à la défense.
Cette couverture avait renforcé la conviction au sein de Pastef que certains médias, dont le Groupe futurs médias, instrumentalisaient l’information pour nuire au mouvement.
En 2023, un journaliste de la RFM avait déclenché une vive polémique en traitant Bassirou Diomaye Faye, alors figure montante du parti, de "mal poli" en plein direct.
Cette sortie, perçue comme une attaque personnelle et gratuite, avait provoqué une levée de boucliers parmi les militants de Pastef. Pour eux, cet incident confirmait une hostilité systémique du groupe envers leur formation politique.

Une tension ancienne avec les médias publics

La tension entre le Pastef et les médias ne se limite pas aux groupes privés. La Radiotélévision sénégalaise (RTS), média public, a également été au cœur d'incidents marquants. Lors de la campagne pour les Législatives de juillet 2022, Ousmane Sonko avait publiquement déclaré les journalistes de la RTS ‘’persona non grata’’ dans ses meetings. À Tivaouane, il avait même retiré le micro de la chaîne nationale avant de commencer son discours, expliquant que la RTS était partiale et ne traitait pas l'opposition avec l'impartialité requise.
Cette posture d'hostilité envers la RTS s'inscrit dans une méfiance plus large des opposants vis-à-vis du média public, souvent accusé d'être au service du pouvoir.

 Si le nouveau régime avait promis des réformes pour garantir l'impartialité de la RTS, le récent communiqué de Pastef a ravivé les interrogations sur la neutralité de cette chaîne.

L'offensive contre les médias internationaux

L'animosité de Pastef envers certains médias ne se limite pas au paysage audiovisuel sénégalais. En mars 2022, Ousmane Sonko avait déclaré la guerre à plusieurs titres étrangers, dont RFI, ‘’Le Monde’’ et ‘’Jeune Afrique’’, qu'il accusait d'avoir "sponsorisé" les accusations d'Adji Sarr, la masseuse qui l'avait poursuivi pour viol. "Je n'ai jamais vu ces journaux mettre un fait-divers puis sponsoriser à leur une. Ils ont reçu beaucoup d'argent pour ça", avait-il lancé lors d'un grand entretien. "Désormais, si j'anime une conférence de presse et que je vois ces médias, je vais leur demander de sortir de la salle. Sinon, c'est moi qui vais partir".

Cette sortie avait provoqué un tollé, mais n'empêchera pas Sonko d'accorder, quelques mois plus tard, une interview à France 24 et RFI en janvier 2023. Une contradiction qui illustre la relation ambivalente du parti avec la presse internationale : entre rejet et nécessité de visibilité.

Le basculement vers les réseaux sociaux

Conscients que certains médias traditionnels leur étaient hostiles, la tête de file des patriotes et ses partisans ont très tôt fait le choix des réseaux sociaux pour contourner les canaux d'information classiques.

Au regard de ce climat de défiance, le numérique apparaît plus que jamais comme l’outil privilégié de Pastef. Le parti y voit un moyen de s’affranchir des filtres éditoriaux des médias traditionnels et d’imposer son propre récit. Ce choix n’est pas sans risque : en privilégiant des plateformes où la régulation est plus difficile, le parti s’expose à une prolifération des fake news et à une radicalisation du débat public.

Mais pour l’heure, cette stratégie semble efficace, permettant au Pastef de mobiliser directement sa base sans dépendre des médias classiques. "Les réseaux sociaux nous permettent de parler directement au peuple, sans intermédiaire malintentionné", explique un cadre du parti.

Déjà, en 2018, alors jeune député, il avait violemment critiqué la couverture "nulle" par la presse sénégalaise du débat sur le partage des ressources gazières avec la Mauritanie. Dans un post Facebook devenu célèbre, il écrivait : "Heureusement qu'il y a aujourd'hui les réseaux sociaux pour atténuer le mal [des médias traditionnels] et toucher une partie du peuple. Nous ferons avec."
Ce message résume à lui seul la philosophie médiatique de Pastef : contourner les médias jugés "inféodés" pour privilégier une communication directe, virale et non filtrée.

Une chose est sûre : le Sénégal assiste à une reconfiguration sans précédent de son paysage médiatique où les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus central. Et dans cette bataille, le Pastef a montré qu'il maîtrisait les codes de la communication 2.0.

Malgré les critiques répétées de Pastef envers une presse jugée ‘’partiale’’ et ‘’manipulatrice’’, le gouvernement a tenté, sous l’impulsion du ministre de la Communication, de mettre en place un dispositif de régulation visant à ‘’assainir’’ le paysage médiatique. Si l’intention affichée est de redonner de la crédibilité à la presse sénégalaise, le défi reste encore immense.

PATRONAT DE PRESSE ET POUVOIR 

Le bras de fer continue

Dans la bataille qui se mène entre la presse et le pouvoir, ils sont nombreux à penser, du côté des médias, que ‘’l’État cherche à museler les journalistes, dans le sens de la préservation de ses intérêts’’. Et de penser que c’est peine perdue, puisque la presse est habituée aux conflits. ‘’Tous les régimes qui sont passés ont cherché à contrôler les médias, mais sans jamais réussir’’, confie un membre du Cdeps.

Feu Mame Less Camara aimait bien rappeler, dans ses conférences, que c’est en réalité le pluralisme qui assure la bonne circulation de l’information. Le pouvoir peut contrôler un journal, une radio, une télévision, un site internet sans jamais contrôler la totalité de l’information, argumentait le journaliste, qui estimait que c’est une ‘’bonne chose pour la démocratie’’.

Aujourd’hui, la crise a atteint un tel niveau que l’existence de certains médias, privés de la publicité d’État, est sujette à caution. Au niveau du Comité des éditeurs de presse qui rassemble l’essentiel des entreprises de presse, on estime que l’État, par le biais du ministère de la Communication, s’autorise tous les jours à franchir de nouveaux paliers, cherche à dicter le pouls aux journalistes et on n’est pas loin de viser l’asphyxie économique. ‘’C’est un secret de polichinelle que l’État cherche à nous asphyxier pour qu’on ferme nos entreprises’’, confie-t-on au niveau du Cdeps qui promet de passer, les prochaines semaines, à une vitesse supérieure.

Autant dire que nous sommes loin des rapports de gentlemen agreement et à deux doigts d’une nouvelle phase de confrontation.

Amadou Camara Gueye 

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