La résistance des langues nationales
Parlées dans les familles, les salles de classe, ainsi que dans les universités par une bonne partie des Sénégalais, les langues nationales peinent encore à s’imposer à l’écrit, malgré les efforts d’éminents intellectuels comme Mame Younousse Dieng.
Son audace a été magnifiée, avant-hier, lors d’une rencontre dédiée aux livres écrits en langues nationales. Son exemple, offert aux générations actuelles. Elle, c’est feu Mame Younousse Dieng, première personne à oser écrire un roman entier en langue nationale, en l’occurrence le wolof. Intitulé ‘’Aawo bi’’, le livre écrit en 1982 n’a pu être édité que 10 ans plus tard, en 1992. ‘’C’est un livre plein d’enseignements dans lequel elle enseigne comment doit être une épouse. Ndella, le personnage principal, est un exemple de courage, de dignité, de bravoure. Une femme d’une beauté extraordinaire, mais qui laisse tout de côté pour donner la priorité à son mariage, pour être une épouse exemplaire’’, commente Mamadou Diouf, ancien SG de la Confédération des syndicats autonomes.
Mais qui était cette brave dame que l’association Fonk Sunuy Làmmin, en collaboration avec Goethe Institut et la place du Souvenir, a voulu rendre hommage en lui consacrant ces journées d’échanges ? Née à Tivaouane, au cœur du Cayor, Mame Younousse Dieng a été enseignante, résistante, foncièrement encrée dans les valeurs traditionnelles africaines et sénégalaises. La professeure Penda Mbow témoigne : ‘’En tant que première écrivaine en wolof, Mame Younousse a eu à jouer un rôle très important dans l’éclosion des langues nationales au Sénégal. Avant même le livre, elle a été l’une des premières, sinon la première, à avoir traduit l’hymne national en wolof. Elle fait partie de ceux et celles qui ont très tôt compris que le développement passe nécessairement par la vulgarisation de nos langues.’’
Quand on parle de Mame Younousse, les témoignages sont unanimes autour de ses valeurs. Penda Mbow s’exclame : ‘’La première chose, c’est sa beauté. Elle est une belle femme noire, avec un charisme, une culture cayorienne, très encrée chez elle. C’est une femme de culture, une grande intellectuelle. Ses leçons en français, elle les traduisait en wolof pour mieux les retenir.’’
Selon l’historienne, on ne peut développer un pays si on ne maitrise pas ses langues. ‘’Tout le monde convient qu’il est plus facile de penser, de réfléchir, d’écrire, d’apprendre à partir de sa propre langue. Tous les scientifiques en conviennent. On en parle depuis très longtemps. Des pas décisifs ont été franchis ces dernières années. Je pense qu’il y a un excellent travail qui est en train de se faire et c’est très important’’, a-t-elle insisté.
En effet, si autrefois les langues nationales ne vivaient que par l’oralité, de plus en plus, il existe des ouvrages faits en langues nationales, particulièrement en wolof. D’ailleurs, dans le cadre du ‘’Pencum Maam Yunus’’, plusieurs ouvrages ont été présentés par les différentes maisons d’édition connues en langues nationales. Directrices des éditions Ejo, Ndèye Codou Fall se félicite : ‘’Cette exposition a pour objectif de montrer aux uns et aux autres qu’il y a beaucoup d’ouvrages écrits en langues nationales. Outre Ejo, ont participé à cette exposition d’autres maisons comme Osad, CNRE et Ared. Nous avons tenu à offrir plus de visibilité à tous ceux qui produisent dans nos langues’’.
Cette éclosion, selon Penda Mbow, dénote un certain regain d’intérêt salutaire. Elle affirme : ‘’Il y a un regain de dynamisme culturel et intellectuel dans ce pays qui est très rassurant. Cela veut dire que ce qui a été semé il y a plusieurs années par les anciens est en train d’éclore. Et je ne vois pas ce qui pourrait stopper ce processus. Nous devons tous nous battre pour faire de ce pays un pays modèle en termes de citoyenneté, inclusive, participative. Un pays où tout le monde peut accéder à l’information et exercer pleinement sa citoyenneté.’’
Pour Coura Sarr, auteure de ‘’Pexe du Niak’’ (conte), l’Etat parle beaucoup, mais fait très peu pour les langues nationales. Rappelant que le Sénégal a commencé l’apprentissage des langues nationales avant tous les autres pays africains, elle déplore : ‘’Aujourd’hui, tous les pays nous ont dépassé, à cause de notre manque d’engagement et de respect pour nous-mêmes, nos valeurs. Dans la vie, avant de s’ouvrir aux valeurs des autres, à la langue d’autrui, il faut d’abord et avant tout s’appuyer sur ses propres valeurs. Même Dieu nous l’enseigne, car Il a envoyé tous les prophètes qui ont parlé à leurs peuples dans leur propre langue. Pas dans des langues qui leur sont méconnues. Il y a dans ce pays un manque d’estime de soi, qui ne s’explique pas.’’
Celle qui aime se définir comme quelqu’une qui n’a jamais été à l’école française, qui a fait ses humanités au centre social de Pikine dans les années 1970 jusqu’à écrire son premier livre en français, estime que l’œuvre de Mame Younousse doit être davantage vulgarisée, car plein d’enseignements. Elle a su interpréter merveilleusement deux des textes de l’illustre écrivaine : en l’occurrence ‘’Xarit’’, un hymne à l’amitié, et ‘’Rej May Deju’’, consacrée à l’épouse africaine, sénégalaise modèle.