Le chemin de croix qui attend l’opposition
Pour que le président Macky Sall réussisse le coup d’éjecter l’un des derniers politiques à l’ancienne, Me Abdoulaye Wade, il a fallu une conjonction inédite de circonstances pour qu’on en arrive à cette situation. Les conditions sont-elles réellement réunies pour que l’opposition d’aujourd’hui réussisse le même coup ? Rien n’est moins sûr.
En 2012, sur les tablettes de l’opposition, il y avait un document ‘’consensuel’’ supposé énumérer les mille et un problèmes du Sénégal, ainsi que les solutions envisagées. Les conclusions des Assises nationales exposées au Méridien Président le 24 mai 2009, à l'hôtel Méridien, sous la présidence d’Amadou Makhtar Mbow, avaient secoué le palais. Maitre Abdoulaye Wade, alors Président de la République, conscient de la puissance politique de la ‘’bombe’’ amorcée par l’opposition d’alors, avait mis tous ses services en alerte, en commençant par la fameuse Direction de la Surveillance du territoire (DST). Le texte était ‘’sexy’’ : réformes institutionnelles avec un Parlement musclé, un président de la République encadré dans ses pouvoirs, une justice pas aux ordres, etc. Les Assises nationales sont nées sur les flancs de Benno Siggil Senegaal qui n’a jamais su être à la hauteur des enjeux de 2012.
Finalement, la tension politique créée par Benno Siggil Senegaal, où l’on retrouvait à l’époque de fortes têtes comme celles d’Amath Dansokho, d’Abdoulaye Bathily, sans compter – les deux frères ennemis d’alors feu Ousmane Tanor Dieng du Parti socialiste (PS) et Moustapha Niasse de l’Alliance des forces de progrès (AFP) allait profiter au candidat Macky Sall qui a su habilement manœuvrer sur les vieilles divergences de la gauche pour finalement faire jouer toute cette machine politique en sa faveur. Il l’a formidablement réussi. Sans doute avec l’aide de têtes bien faites totalement anonymes et dans l’ombre.
Dix ans après, à 16 mois de la Présidentielle, force est de constater que le paysage politique a fondamentalement changé. Des leaders politiques à forte densité charismatique sont morts, alors que d’autres, à l’image de Moustapha Niasse, ont pris leur retraite politique. Quant au Pr. Abdoulaye Bathily, acteur clef, il a été nommé Représentant spécial pour la Libye et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (Manul) pour succéder à M. Ján Kubiš de la Slovaquie. Loin du pays ! Le paysage politique sénégalais a bien changé.
Dans un de ses tweets, Alioune Tine relevait le déficit de leadership de la jeune génération de politiques pour s’interroger sur ses capacités réelles à proposer des schémas alternatifs ‘’crédibles et durables’’. La question est centrale de savoir si nos jeunes leaders, à l’image d’Ousmane Sonko, pour méritants soient-ils pour être en vie jusque-là, ont les ressources humaines nécessaires pour balayer le régime. Et aussi s’ils peuvent, si le pouvoir leur est donné, le gérer avec sagesse, parcimonie et vision.
Maitre Abdoulaye Wade, tout seul, comme le révèle si bien le Pr. Abdoulaye Bathily dans ses mémoires, n’aurait jamais pu conquérir le pouvoir en 2000, s’il n’avait pas à ses côtés une bonne bande de communistes stratèges et déterminés. Le Pr. Bathily, Amath Dansokho et Landing Savané, qui sont allés le convaincre à Versailles que le fruit était mûr. Et que même sans argent, il était possible de conquérir le pouvoir en initiant une stratégie intelligente de proximité (‘’Marche bleue’’)? bien avant Barack Obama.
Le sociologue Malick Ndiaye ne disait-il pas que la force de la rue seule ne suffit jamais pour prendre le pouvoir. Maitre Wade avait le pouvoir de la rue, mais cela n’a pas suffi pour lui permettre de déloger Abdou Diouf. ‘’Il faut autre chose’’, l’ancien ministre trotskyste Doudou Sarr dixit : ‘’De l’intelligence politique.’’
A un an et demi de la prochaine Présidentielle, le chemin à parcourir et les épreuves bien nombreuses pour l’opposition qui devra aussi faire avec des trahisons, défections et autres. Elle fera, dans les mois à venir, le deuil de ses certitudes à fleur de discours.
Amadou FALL