La toile s’émeut, des professionnels condamnent
Des sites d’information ont publié des photos de l’inhumation et de la dépouille mortelle de Déguène Chimère Diallo Babou. Interrogés, des professionnels des médias apprécient diversement cet acte.
‘’Je suis dégoûté par le manque de retenue et d'éthique de certains sites. Publier la photo de la dépouille mortelle de la très respectable Déguène Chimère, c'est aller trop loin. Il est vraiment temps qu'on mette un terme à ces dérives qui n'anoblissent pas notre profession. Je suis parfois très dégoûté d'être journaliste à cause de ces brebis galeuses qui infestent notre corps de métier’’. ‘’Etait-il nécessaire de montrer les photos de l'inhumation de Tata Déguène Chimère ? Je suis outrée. Certains acteurs de la presse sénégalaise n'ont véritablement aucune retenue !’’.
‘’Je suis terriblement choqué de voir des photos de la dépouille mortelle de Déguène Chimère faire le tour des sites d'information du Sénégal. C'est à la limite dégradant. Même les morts doivent être honorés. Malheureusement dans ce pays, plus aucune valeur ne semble compter. Et c'est vraiment dommage.’’ ‘’C'est grotesque, ce voyeurisme jusque dans les enterrements. Etait-il nécessaire de divulguer les photos de l'inhumation de Tata Déguène Chimère ?’’. Des publications de ce genre, on en compte beaucoup sur les réseaux sociaux. Des journalistes font partie de ce lot. Eux-mêmes se demandent comment leurs confrères ont pu mettre en ligne en début d’après-midi du jeudi, soit quelques minutes après la mise sous terre de la défunte Déguène Chimère Diallo, des photos de son inhumation.
La commission éthique et déontologie de l’association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel) a condamné à son tour ces actes. ‘’La Comted se dit profondément sidérée par la publication ignoble, cruelle, extrêmement grave d’images de la dépouille de feu Mme Déguène Chimère Babou, prises à son enterrement dans la ville sainte de Touba. Ces publications trop choquantes sont des attentats à la dignité et l’intégrité morale de Mme Babou et à sa famille’’, lit-on sur le site de l’association.
Le comité d’observation des règles d’éthique et de déontologie (Cored) suit la même logique. Joint par EnQuête, son président, Bacary Domingo Mané, dénonce et condamne. ‘’On a déjà attiré l’attention des confrères sur le fait qu’il ne faut pas montrer des images qui choquent comme des cadavres, des linceuls, etc. Quand il y avait la profanation des tombes à Pikine, on a rappelé aux confrères qu’il n’était pas nécessaire de montrer certaines images. Des photos d’enterrement d’un défunt, ce n’est pas la peine. Ça n’apporte rien à l’information. Nous condamnons cela. Nous avons attiré l’attention à plusieurs reprises des confrères sur cela’’, regrette-t-il. D’ailleurs, l’Appel n’a pas fait que rappeler à l’ordre ses membres qui ont publié ces images choquantes. Elle leur a envoyé des injonctions de retrait de ces clichés. Mais aucun des sites incriminés n’a daigné le faire.
Recherche du sensationnel
Que gagnent-il en les maintenant en ligne ? ‘’De l’audience’’, répond sans détours Mountaga Cissé de l’Appel, joint par EnQuête. A ce prix ? ‘’Cela n’en vaut pas la peine. On peut être premier sur une information, la diffuser, la partager, lui donner plusieurs formes de traitement sans choquer les internautes. Malheureusement la presse en ligne est inondée de gens qui ne cherchent que le sensationnel’’, se désole-t-il. Bacary Domingo Mané n’est pas sûr que ce soit cela leur motivation. ‘’Je ne peux pas dire que c’est le sensationnel qui les pousse à faire cela. Il faut qu’ils sachent que dès l’instant qu’ils mettent un titre et un surtitre, cela suffit. Ces gens-là sont partis mais ont laissé des parents derrière eux. Dès qu’ils voient ces photos, cela ravive quelque chose en eux. Ce n’est pas la peine de mettre le couteau dans la plaie. C’est ce qu’on appelle la violence symbolique. Les gens ne font pas attention à cela. Mettre la photo d’un mort à la Une c’est le tuer deux fois. Cela heurte les consciences’’, affirme-t-il.
Pas toutes les consciences quand même. Professeur de Web journalisme au centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) Mamadou Ndiaye dit n’avoir pas été choqué. ‘’J’ai vu des Sénégalais d’ici ou d’ailleurs qui étaient très choqués par ces images. Mais moi personnellement, je dois le dire, cela ne m’a pas choqué outre mesure’’, indique-t-il. Car, considère-t-il, ‘’c’est une évolution normale. Certains sites d’information ont eu à plusieurs reprises à photographier des dépouilles ou des cercueils exposés de gens au moment de la prière funéraire. Pour moi, ce qui se passe aujourd’hui est une évolution de cela’’. Que cela divise dans le milieu de la presse, c’est autre chose.
‘’Je pense que c’est un choix qu’on peut faire dans une rédaction de montrer ou de ne pas montrer’’, dit-il. Loin d’essayer d’expliquer les motifs de telles publications, M. Ndiaye tente plutôt d’analyser cela. ‘’Je me dis que celle qui est décédée, dans sa vie n’était pas simple. Elle assumait cela en tant que personnage de télévision. Elle avait des sacs de marque etc. Elle était un personnage qui ne passait pas inaperçu ni ne faisait dans le détail. Du point de vue de la communication, c’est ce que j’ai vu. Maintenant, ceux qui ont publié ces images veulent peut-être montrer que quelle que soit la manière dont on vit, on finira comme le montrent les images. Je l’ai compris ainsi. Mon analyse n’est fondée sur aucune science. Ceux qui ont publié ces photos sont les seuls à pouvoir vous dire pourquoi ils l’ont fait’’, soutient-il.
Par ailleurs, quelles qu’en soient les motivations cela n’agrée pas tout le monde. Pis, l’Appel est d’avis que ceux qui l’ont fait n’agiraient pas ainsi s’il s’agissait d’un de leurs parents. C’est pourquoi elle ne leur promet aucun soutien en cas de poursuites judiciaires. Aussi, prévoit-elle de saisir le Cored afin qu’il les rappelle de nouveau à l’ordre.
BIGUE BOB