Publié le 17 Feb 2015 - 23:50
PLAIDOIRIES DANS LE PROCES KARIM WADE PLAIDOIRIES DANS LE PROCES KARIM WADE

L’État réclame 200 milliards

 

Après sept mois d’audience, les plaidoiries ont démarré hier, dans le procès pour enrichissement illicite de Karim Wade et Cie. L’Etat compte réclamer la somme de 200 milliards de francs CFA au titre de dommages et intérêts.

 

200 milliards de francs CFA. C’est la somme que l’Etat du Sénégal compte réclamer à Karim Wade et ses coprévenus poursuivis pour enrichissement illicite et corruption. Car, pour Me Moussa Félix Sow, le patrimoine jugé illicite de Karim Wade dépasse de loin les 117 milliards arrêtés par l’accusation. L’ancien bâtonnier évalue la somme ‘’détournée’’ à plus de 192 milliards de francs. Ainsi, pour les dommages et intérêts, l’Etat demandera 200 milliards, mais également la confiscation des tous les biens des prévenus. Mais avant d’en arriver là, les défenseurs de l’Etat se sont évertués à soutenir l’accusation, en passant par le modus operandi utilisé par les prévenus. Ils ont également expliqué le bien-fondé de la constitution de l’Etat mais aussi et surtout l’ampleur des faits.

Prenant la parole, le magistrat Mafall Fall, Agent judiciaire adjoint de l’Etat (AJE), s’est évertué à démontrer le sens de la loi sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Selon l’AJE, le développement économique et social se heurte à des pratiques ayant pour nom, mal gouvernance, détournements de deniers publics et corruption. Ceci a poussé les autorités à créer la CREI, afin de réprimer ces actes préjudiciables à l’économie commis par des agents peu scrupuleux et pressés de s’enrichir illégalement. C’est pourquoi, a dit Me Moussa Félix Sow dans ce qu’il appelle une introduction à sa plaidoirie : ’’Le présent procès est celui de la mal gouvernance dans un pays en voie de développement pour ne pas dire pauvre’’. A ses yeux, ‘’Karim Meïssa Wade en est l'expression la plus achevée’’.

Patrimonialisation

L’ancien coordonnateur adjoint du Forum civil a ajouté que les faits ont été commis ‘’dans un contexte de patrimonialisation de l'Etat où le Chef de l’Etat devient le monarque et son fils le prince héritier devant lui succéder’’. D’après ses explications, la patrimonialisation est à l’origine de la mal gouvernance qui confine le Sénégal dans la zone rouge dans les pays où la corruption demeure un obstacle au développement intégral et durable. Me Sow s’est fondé sur les rapports de l’indice de perception de la corruption de Transparency International publiés ces dernières années. ‘’La corruption tue l'économie, produit des contre-valeurs, aggrave la pauvreté ; c'est un crime contre l'humanité’’, a asséné l’avocat. Ainsi, il souligne qu’en plus d’être indexé par Transparency, l’économie nationale enregistre ‘’plusieurs centaines de milliards en termes de pertes’’.

Des pertes liées, selon lui, à l'appropriation effrénée du domaine national, puis du domaine de l'Etat, de l'accaparement des secteurs clefs de l'économie, aux détournements de fonds, fraudes, évasions fiscales, cas de blanchiment, d’enrichissement illicite, etc’’. C’est pourquoi Me Sow considère que, dans l’affaire Karim Wade, les faits n'ont révélé que la partie visible de l'iceberg. Pour cause, si l’enquête n’a découvert que 30 sociétés, 67 autres sociétés n’ont pas pu être identifiées à cause d’une contrainte de temps. ‘’C’est un total de 97 sociétés qui ont été créées pour s’enrichir illicitement’’, a révélé la robe noire. Selon qui Karim Wade a tissé une véritable toile d’araignée dans d’autres secteurs que l’enquête n’a pas pu découvrir par manque de temps. ‘’La toile débute à Dakar pour aller jusqu’en Chine en passant par Hong Kong, Monaco…’’, a soutenu Me Sow.

Criminels économiques, roi, marionnettes… Les avocats de l’Etat qui ont plaidé hier, dans le cadre du procès de Karim Wade et Cie, n’ont pas lésiné sur les qualificatifs pour décrire l’attitude des prévenus. Les avocats se sont également évertués à asseoir l’accusation, confortés dans leurs arguments par les différents témoins. Ils ont expliqué que le modus operandi des prévenus a consisté à créer des sociétés écrans, afin de pouvoir verser les dividendes dans des paradis fiscaux. Pour Me Bassirou Ngom, ‘’c’est comme qui dirait, lorsque Wade est arrivé au pouvoir, Karim Wade a appelé ses amis en leur disant : ‘’Boy entrez ! On va contrôler l’économie du pays’’. Ainsi, selon Me Aly Fall, les prévenus ont utilisé un support institutionnel à savoir les notaires et un support humain (les amis d’enfance) pour créer les sociétés.

Délinquants criminels

Me Simon Ndiaye du barreau de Paris considère que l’une des preuves de l’enrichissement réside dans le secteur aéronautique, avec des marchés fictifs et des dirigeants qui ne connaissent rien du secteur, et l’argent envoyé ensuite aux paradis fiscaux. Allusion faite au prévenu Alioune Samba Diassé qui affirme être le propriétaire d’ABS SA, or il n’en maîtrise pas les éléments. L’avocat a également cité le cas de AHS qui, a-t-il dit, a été créée à la demande exclusive de Karim Wade. Me Soulèye Macoudo Fall, chargé de débusquer les sociétés créées dans le domaine des médias, s’est appuyé sur les témoignages de Cheikh Diallo, Cheikh Tidiane Ndiaye, mais aussi de Patrick William.

Ce dernier témoin a confié que Karim Wade lui a fait savoir qu’il allait créer de nombreuses sociétés, mais que son nom ne pouvait pas apparaître, vu ses fonctions. Ainsi, l’avocat est-il plus que convaincu de la culpabilité des prévenus, surtout de Karim Wade qui, a-t-il rappelé, était l’un des rares ministres à se déplacer en jet privé. ‘’Combien de bourses pourrait-on allouer à des étudiants ? Combien de forages ou de structures sanitaires pourrait-on construire pour éviter que des villageois ne fassent des kilomètres pour avoir de l’eau ou ne meurent ?’’ s’est interrogé Me Fall qui a qualifié les prévenus de délinquants criminels.

Et pour Me Moustapha Mbaye, si les prévenus ont pu commettre leurs forfaits, c’est parce que des autorités ont fait preuve de zèle et de servilité à leur égard. Ce que semble confirmer Me Samba Bitèye, intrigué par le fait que Bibo Bourgi ait réussi à s’approprier un bail appartenant à l’ancien CEMGA, le général Cissé. ‘’Vous êtes riches, mais vous n’avez pas de pouvoir pour faire déguerpir le général Cissé. Il a fallu l’intervention du président qui n’était personne d’autre que Karim’’, a lancé l’avocat au prévenu.

Me Bitèye est également dubitatif par rapport aux 21 titres fonciers que M. Bourgi dit détenir. Il a tenu à le lui faire savoir. ‘’Vous êtes en faillite et vous avez été condamné en banqueroute frauduleuse, or on vous trouve riche dans ce dossier’’, lui a lancé le conseil. Sur sa lancée, Me Bitèye a soutenu que si Pouye a pu entrer dans le capital BMCE, en garantissant des mandats de l’Etat du Sénégal, c’est grâce à Karim Wade uniquement.

Au regard de ces faits, les avocats de la partie civile ne comprennent pas pourquoi les prévenus cherchent à contester les faits. Pis, les conseils de l’Etat ont dénoncé l’attitude de Karim Wade qui, à leurs yeux, refuse tout simplement de s’expliquer sur les faits. De l’avis de Me El Hadj Diouf, ‘’en refusant de parler, Karim Wade prouve qu’il n’a pas d’arguments pour sa défense’’. L’avocat considère que l’ex-ministre a même violé la parole donnée, puisqu’il avait promis de s’expliquer une fois que Bibo Bourgi serait guéri. C’est pourquoi Me Diouf a demandé à la Cour d’appliquer la peine prévue. ‘’Ne leur donnez pas plus qu’ils ne méritent. Ne leur donnez pas moins’’, a insisté Me Bitèye.

FATOU SY

 
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