Publié le 15 Jan 2025 - 18:20
JEUX DE HASARD EN LIGNE

Le pari perdant des jeunes

 

Depuis quelques années au Sénégal, la jeunesse fait face à un phénomène de société qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Appelé 1xBet, ce phénomène touche de plus en plus toutes les composantes de la société. Tel un virus hautement contagieux, il s’invite jusque dans les familles et contamine, outre les jeunes, les adultes, les plus âgés et même les mineurs. Reportage. 

 

Si les jeux de hasard sont vieux comme le monde, leur technicité et leur toxicité ne cessent de prendre de l'ampleur. 1xBet en est une parfaite illustration. Maniable, discret et très excitant, il stimule, avec habileté, l'envie, jusqu’au trognon. Journaliste écrivain, ayant mené plusieurs travaux sur cette thématique, Papa Samba Kane explique : “.............

Dans ce quartier défavorisé des Parcelles-Assainies, les klaxons des voitures rendent presque inamicale notre hospitalité. Les paroles mêlées de brouhaha et de petits tintamarres de la marmaille dictent leurs lois sous un soleil un peu brulant en plein janvier. Trouvé au milieu de ce vacarme en train de suivre un reportage de foot des années 90, Baba Hann donne l'impression d'avoir longtemps attendu ce moment pour se défouler.

Grand amateur du ballon rond, il est tombé dans le piège de 1xBet par pur mimétisme. “Au début, raconte-t-il, je ne croyais pas pouvoir en arriver là. Ce n’était qu’un simple jeu pour moi, mais au fur et à mesure, je constatais qu’il commençait à prendre le dessus sur mon quotidien. Je n’arrivais plus à me concentrer sur mon travail, tellement j'étais devenu accro”. 

Grâce aux conseils de certains proches, Baba parvient maintenant à se contrôler un tout petit peu, mais il n'arrive pas à décrocher totalement. “Je continue de jouer de temps en temps, parce qu'il est difficile de s’y tenir”, s'empresse-t-il d'ajouter. À la question de savoir s'il arrive à gagner de l'argent avec le pari, il répond, preuve à l'appui : “J'ai acheté cette moto que vous voyez là avec l'argent de 1xBet. Mais une chose est certaine : il vous reprendra toujours tout ce qu'il vous a donné.”

Assis dans son salon de 4m2, Moussa Bathily frôle la cinquantaine, même s'il n'en donne pas l’air à cause de son corps frêle et maigrichon. Habillé d’une chemise bleue avec des rayures blanches, cigarette à la main, on l'a trouvé défilant sur son téléphone pour regarder les scores de ses paris, cendrier à côté. Chauffeur de "clando", marié et père d’un garçon, il invite à relativiser les effets pervers du jeu. 1xBet, selon lui, ce n'est pas que du mauvais : “Il arrive par exemple qu’il me sorte de certaines situations très difficiles. Parfois, c'est avec cet argent que je parviens à entretenir ma famille et mon enfant.” Aussi, insiste-t-il, le jeu est un agréable compagnon, un antistress, surtout pendant les moments de braise comme c’est le cas actuellement avec sa voiture qui est en dépannage. “J’arrive à dissiper mon stress en grande partie grâce au jeu. Je n'ai pas le temps de me mêler de ce qui ne me regarde pas, car tout le temps, je suis accroché à mes résultats. Grâce à 1xBet, j’ai aimé davantage le foot. Mais surtout, il me redonne de l’espoir dans la vie du fait que même après avoir essuyé une perte, je me sens aussitôt ragaillardi”.

Colocataire de Moussa, Cheikh Ahmed Tidiane Diouf, lui, ne trouve qu'un seul avantage à ce jeu qui ne cesse de faire des ravages : susciter de l’espoir chez le parieur dans un monde où il est de plus en plus facile, selon lui, de baisser les bras et de se décourager.

Mais dans cette quête d'espoir, les jeux de hasard ne sont pas une bonne option pour construire son avenir, selon Abdallah, comme l'appellent les jeunes. “Ils ne font que faire perdre du temps et de l'argent aux jeunes, sans parler du désœuvrement grandissant qu’ils provoquent. Il n'y a pas longtemps, un de nos amis a bouffé l’argent de sa facture pour parier”, constate-t-il, reconnaissant lui-même être un adepte des jeux.

Parmi les victimes, il y a surtout les innocents, dont de nombreux mineurs qui parviennent à contourner les interdictions pour tenter eux aussi leurs chances. Monsieur Diouf confirme et avertit : “Cela bouffe tout notre temps. Nous n'avons même plus le temps de nous occuper de nous-mêmes. Ça devient une véritable obsession et on est tout le temps scotché au téléphone.” 

Plus préoccupé par la nomination d’Aoua Bocar Ly Tall et de son lynchage par les militants de Pastef, Babacar Ndao, la quarantaine, habillé d’une combinaison du Paris Saint-Germain, est invité à donner son point de vue sur le sujet. Pour lui, ces jeux pervertissent plus les jeunes. “Il y en a certains qui vont jusqu’à voler comme dans toute addiction, pour parier. Je crois que les jeunes doivent se former et avoir des qualifications au lieu de baser tout leur avenir sur le hasard”. Malgré ce requiem, il admet lui-même être parieur. “Je parie certes, mais j’ai mon métier ; je suis plombier ; ma vie ne repose donc pas sur le pari. Je ne conseillerai à personne de le faire”.

S’il y a une chose sur laquelle les témoignages sont presque unanimes, c’est l’espoir que suscitent ces jeux de hasard. Chaque matin, c'est une course contre la montre en quête d'un bonheur hypothétique, l'illusion de sortir d'une vie sans perspective. Accablés par le chômage qui frappe plus de 20 % de la population active, selon les dernières statistiques de l'ANSD, les parieurs sont pour la plupart conscients des dangers, mais ont souvent du mal à s'en sortir. Les plus téméraires vont jusqu'à qualifier Abdallah comme étant “un facteur de stabilité sociale” qu'il ne faut surtout pas supprimer. 

 

Comment ça marche ?

Outre 1xBet, il y a toute une panoplie de jeux qui tiennent en haleine les jeunes dans les différents sites de jeux de hasard. Pêle-mêle, on nous parle de Betclic, Bwin, Unibet, Netbet, Betwinner, VBET... Mais à n'en pas douter, celui qui attire le plus les jeunes, c'est 1xBet.

Cheikh Tidiane Diouf revient un peu sur le fonctionnement. Avec 1xBet, tient-il à souligner, on peut jouer sur tout. “Il y a une large gamme, c’est-à-dire toutes les disciplines sportives sont représentées : le football, le basket, le tennis, le handball… Il y a même d’autres formes de jeux comme l’avion qui sont joués par les parieurs. Celui-ci consiste à démarrer l’avion et de le maintenir en l’air le plus longtemps possible pour augmenter ses points”. 

Mais lui, sa préférence reste le football qu’il a tendance à jouer avec ses amis. Selon lui, tous les choix restent possibles. On peut soit parier sur la victoire d'une équipe, soit sur le fait qu'une équipe ne va pas perdre. “Il est aussi possible de parier sur le fait qu'il y aura forcément victoire. Dans ce cas, on perd en cas de match nul. Mais moins tu prends de risque moins le gain est important. Plus le risque est grand plus le gain est important”, renseigne le spécialiste le sourire en coin, qui ajoute : “Il est même possible de parier sur le nombre de cartons, de corners, la période que l’une des équipes va marquer, le nombre de buts à marquer.”

Commerçant, Massamba Sarr n'est pas un joueur, mais il est en contact permanent avec les parieurs. Gérant d'une boutique spécialisée dans les transferts d'argent, il explique : “Les jeunes viennent souvent me demander de leur faire des dépôts d’Orange money ou de Wave pour jouer, car le processus de jeu est très facile et accessible. Cependant, je n’ai vu que des déconvenues et des problèmes, avec des jeunes qui tentent vainement de devenir des millionnaires. Ceux qui leur disent avoir gagné des millions ne font souvent que raconter des balivernes. L'État doit prendre des mesures idoines, afin de juguler ce phénomène, parce que cela est en train de causer d'énormes dégâts”.

A. TOURÉ (STAGIAIRE)

 

 

Par Abdoulaye Touré (Stagiaire)

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