Du paradis socialiste à l’enfer républicain
Institutrice au départ, puis baronne du Ps, et ensuite argentière du Pds, Aïda Ndiongue aura vécu pendant des décennies dans les bonnes grâces des pouvoirs socialiste et libéral. Son calvaire a débuté avec l’avènement du régime de Macky Sall au pouvoir qui a lâché à ses trousses, la fameuse Cour de répression de l’enrichissement illicite, dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Incarcérée le 12 décembre 2013 puis libérée le 28 mai 2015, celle que l’on surnomme la Lionne du Walo est pour autant loin de voir le bout du tunnel.
Elle est de cette race de femmes qui n’abdiquent jamais ou presque. Aïda Ndiongue, c’est toute une vie faite de lutte dans des milieux où le mâle dominant ne fait pas très souvent de cadeau. D’abord dans le milieu syndical, puis dans le landerneau politique. C’est également toute une vie faite de constance dans les différentes positions défendues. Même si, par moments, les péripéties de la vie et surtout politiques l’ont souvent amenée à revoir ses plans, la Lionne du Walo est toujours restée fidèle en amitié et à ses mentors. Avec ce code d’honneur qu’on connaît très souvent aux Walo-Walo, elle ne tourne pas très facilement casaque face aux intérêts du moment, comme certains de nos hommes politiques ont souvent l’habitude de le faire. Selon la plupart de son entourage, elle est du genre à rendre indemne et à tout moment, tout ce qu’on lui demande de garder. ‘’Jamais vous n’entendrez Aïda Ndiongue trahir ou bouffer l’argent de quelqu’un’’, témoigne un cacique socialiste approché par EnQuête.
Ses qualités tant louées par ses proches contrastent en effet avec les griefs que lui reproche la justice sénégalaise. Poursuivie et condamnée pour détournement de deniers, l’ex-sénatrice sous le régime d’Abdoulaye Wade vit les affres de la traque des biens mal acquis, depuis la fin de la première alternance. Des vingt-cinq caciques du Parti démocratique sénégalais très tôt visés par ladite traque initiée par l’actuel régime, elle est celle qui en paie le plus lourd tribut, en dehors de Karim Meïssa Wade. Traquée, arrêtée, puis placée sous mandat de dépôt, l’ex-sénatrice a croupi en prison, pendant près de deux ans. Une épreuve qu’elle dit pourtant prendre avec beaucoup de sagesse. ‘’J’ai pris cette épreuve avec philosophie, je l’ai acceptée et vécue dignement’’, lâche-t-elle juste après sa libération. Mieux, l’ex-sénatrice considère cette épreuve comme un nouveau départ dans sa vie. ‘’Je n’ai pas eu de peine durant cette épreuve. Je suis un être humain et j’accepte la volonté divine. Cela m’a permis de me remettre en question et de faire un retour vers mon Créateur que je ne cesse de remercier depuis lors.’’
Aïda Ndiongue a été arrêtée le 12 décembre 2013, après moult allers-retours à la Section des recherches de la gendarmerie de Colobane. Libérée en mai 2015 dernier, elle a pourtant été reconnue coupable d’escroquerie portant sur des deniers publics. Elle a été condamnée à une peine d’un an assortie du sursis. Mais le parquet a interjeté appel de ce verdict car, la Cour a ordonné la restitution des biens de l’ex-sénatrice libérale qui est blanchie pour les délits de faux et usage de faux et l’exercice illégal de commerce par un fonctionnaire.
Il est reproché à la Lionne du Walo de s’être illicitement enrichie sur le dos des Sénégalais pendant les 12 bonnes années qu’elle a flirté avec le régime d’Abdoulaye Wade. Il lui est ainsi prêté une fortune de 47 milliards de nos francs amassés au fil des années. Un pactole jugé illicitement acquis par certains, tandis que, pour d’autres, l’institutrice de formation l’a acquis à la sueur de son front.
Milliardaire ‘’du jour au lendemain’’
Milliardaire, Aïda Ndiongue l’est. Mais à quel moment de sa vie ? Si beaucoup pensent qu’elle a bâti sa fortune durant le régime d’Abdoulaye Wade, ses proches disent le contraire. Selon la plupart des gens de son entourage, la dame aux bijoux en or s’est fait une fortune bien avant l’avènement du Pape du Sopi à la magistrature suprême. Selon les confidences, elle est devenue milliardaire à la faveur de la dévaluation du franc CFA survenue en 1993. Selon un interlocuteur, Aïda Ndiongue possédait à l’époque la bagatelle de 580 millions de francs CFA logée dans le compte d'une banque française à Paris. Lorsque la dévaluation est survenue, elle est devenue milliardaire, du jour au lendemain. Mais la question qui taraude l’esprit est comment une simple institutrice pouvait disposer d’un patrimoine de 580 millions.
Jean Colin, Robert Sagna, Landing Sané et Alioune Dramé en ‘’parrains’’
Une chose est donc sûre : Aïda Ndiongue n’a pas pu, avec le maigre salaire d’un enseignant, bâtir toute cette fortune. C’est plutôt dans le milieu des affaires qu’elle a pu se faire toute cette richesse qu’on lui prête. Responsable socialiste sur qui le Ps compte beaucoup, elle s’investit dans le milieu des affaires pour mieux prendre en charge les besoins des militants, mais aussi des populations de sa localité. Ainsi, des appuis importants lui sont accordés, dans le cadre de ses affaires. C'est à la faveur de l'arrivée de Robert Sagna à la tête du ministère des Travaux publics qu’elle aurait d'ailleurs pris son envol dans le business. En tant que femme d'affaires, c'est à ce moment qu'elle ‘’commence à avoir des contrats avec l'administration, avec Robert Sagna à la tête dudit département ministériel’’, affirme Doudou Issa Niasse. Mais il est vite vite démenti par le leader du Rsd/Tds. ‘’Je n'ai pas travaillé avec Aïda Ndiongue. C'est avec mon successeur Landing Sané qu'elle a travaillé’’, réplique l'ancien maire de Ziguinchor contacté par EnQuête. Cependant, il reconnaît avoir côtoyé Aïda Ndiongue, comme il a côtoyé les autres militants socialistes à l’époque.
Quoi qu’il en soit, il est évident que c’est le défunt ministre des Travaux publics, Landing Sané, qui a mis Aïda Ndiongue sur les rampes de l’enrichissement. A l’époque très proche de Jean Colin, l’ancien ministre a beaucoup usé de son influence pour ouvrir des portes à la Lionne du Walo qui gravit progressivement les échelons. ‘’Comme elle devait aider les femmes et le parti, il fallait qu'elle fasse son trou dans le milieu des affaires, pour avoir des retombées qui lui permettent de faire efficacement la politique’’, confie un responsable socialiste qui a milité avec elle.
Institutrice nouvellement affectée dans la capitale sénégalaise, Aïda Ndiongue a été mariée à l'ancien directeur général du Soleil et ancien directeur de la communication, Alioune Dramé, avec qui elle a eu son unique fils. Grâce à ce dernier, elle a également gagné beaucoup d’argent dans le secteur du marché du papier journal avec le Soleil. Au même moment, Jean Colin qui était son mentor lui a ouvert les marchés de la Senelec avec Ibrahima Ndao comme directeur général et ceux de la Lonase dirigée alors par Bassirou Ndao.
Mécène aux Hlm
Au quartier des Hlm où elle a vécu pendant plusieurs années, l’ex-sénatrice libérale passe pour quelqu’un qui mérite toutes les fortunes du monde, parce que combattante durant toute sa vie. ‘’Elle a bien pu acquérir tous ces milliards qu'on lui prête à la sueur de son front, dans la mesure où c'est une combattante, une femme d'affaires qui a toujours cru en elle’’, témoigne Fatou Sène Diagne. De l’avis de cette jeune dame, l’ancienne baronne du Ps a été milliardaire bien avant le régime dit de la première alternance. ‘’Je jure qu'elle ne m'a jamais donné un seul franc.
Mais je témoigne qu’Aïda Ndiongue a acquis sa richesse bien avant l'avènement du régime d'Abdoulaye Wade. Vous ferez le tour des Hlm, personne ne vous dira du mal d'elle, car elle a beaucoup aidé les populations. Elle a trouvé du travail aux jeunes du quartier, amené à La Mecque un bon nombre de pères de famille. Et à chaque fête de Tabaski, elle distribuait des enveloppes de 50 000 à 100 000 F CFA aux familles les plus démunies. C'était déjà sous le régime socialiste et donc bien avant l'alternance’’, soutient notre interlocuteur. Aïda Ndiongue aura donc laissé ses empreintes dans ce quartier populeux de Dakar où le désœuvrement des jeunes est plus qu’une réalité. ‘’Nous ne travaillions pas et nous ne parvenions pas à trouver un emploi décent. Mais elle nous a trouvé du travail le temps qu'elle a passé à la tête de la mairie. Nous avons tous bénéficié de ses largesses’’, renseigne le jeune Assane Ndao.
Les années 70, point de départ… d’une carrière politique
Aïda Ndiongue a commencé à flirter avec la politique dans les années 70 et c’est au sein du Parti socialiste du président-poète, Léopold Sédar Senghor qu’elle fit ses premiers pas. ‘’Elle est venue au Ps, vers les années 69-70’’, renseigne son ancien camarade de parti, le député Doudou Issa Niasse, avec qui elle a milité dans la même coordination. Selon le député-maire de Biscuiterie, avant d'embrasser le milieu de la politique, Aïda Ndiongue a fourbi ses armes dans le milieu syndical en ébullition à l’époque. ‘’C'est nous qui lui avions demandé de militer, d’avoir une expérience syndicale, avant d’embrasser la politique. Après qu'elle a démarré au Syndicat national de l'enseignement laïc du Sénégal (Synels), elle a très vite pris goût à l'action politique. Alors, elle est venue à l'Ups’’, se remémore le vieux socialiste.
Du milieu syndical, Aïda Ndiongue atterrit donc dans le landerneau politique sénégalais. Aux côtés de Doudou Issa Niasse et de l’actuel ministre d’Etat Mbaye Ndiaye, elle milite dans la coordination du Ps des Hlm. En bon Walo-Walo, Aïda Ndiongue se fait très vite un nom dans le milieu politique, notamment au Ps. Grâce à son abnégation et à son dévouement, elle passe de simple militante à responsable départementale de la coordination du Ps de Dakar. Progressivement, elle se fait une audience qui égale presque celle de Adja Arame Diène au niveau régional. Seulement, elle n’a jamais pu occuper le siège de celle-ci. Selon Doudou Issa Niasse, si elle n’a pas été portée à la tête de la coordination régionale du Ps de Dakar, c’est parce qu’il n’y a jamais eu de renouvellement. Car, Adja Arame Diène a été remplacée après son décès par le maire de Golf Sud, Aïda Sow Diawara.
Dans le landerneau politique sénégalais, on retiendra d’Aïda Ndiongue une éternelle inconditionnelle du puissant Jean Colin qu’elle a toujours soutenu, dans le cadre de son mouvement dénommé ‘’Les amis de Jean Colin’’ qu’elle a initié et lancé avec ses camarades de parti dont Mbaye Ndiaye, Ameth Diène et le célèbre lutteur Riche Niang. ‘’Nous avons préféré au niveau de l'association qu'elle soit la dirigeante nationale’’, confie Doudou Issa Niasse. Aïda Ndiongue a en effet milité au Ps jusqu’à la chute d’Abdou Diouf, le 19 mars 2000.
La grande offensive de Wade pour la débaucher
Nouvellement installé à la tête de la magistrature suprême, Abdoulaye Wade a aussitôt déclenché une vaste opération de transhumance sur fond de chantage politique pour massifier davantage son parti. Dans le viseur du roublard opposant devenu chef d’Etat : les barons du Ps dont Aïda Ndiongue. Selon un cacique du régime socialiste, c’est par l’entremise de feu Landing Sané qu’Abdoulaye Wade est parvenu à attirer Aïda Ndiongue dans son escarcelle.
D’après certaines indiscrétions, c’est Landing Sané qui aurait fait des mains et des pieds pour qu’Aïda Ndiongue rejoigne le camp libéral, afin de le délivrer du chantage d’Abdoulaye Wade de le mettre en prison. Le pape du Sopi avait, d’après certaines indiscrétions, menacé tous les ministres et directeurs généraux de l’époque de représailles s’ils ne rejoignaient pas son parti. Parmi les personnes ciblées figurait Landing Sané à qui Aïda Ndiongue devait beaucoup pour son soutien. ‘’Si vous ne rejoignez pas le Pds, Abdoulaye Wade m’emprisonnera’’, lui aurait-il confié.
Macky, Farba, Chamsidine Aïdara en émissaires…
Dans sa stratégie de rallier Aïda Ndiongue à sa cause, Abdoulaye Wade a multiplié les assauts. Envoyant en renfort l’actuel président de la République, Macky Sall, à l’époque jeune cadre du Pds et ses camarades de parti Farba Senghor et Chamsidine Aïdara pour convaincre la Lionne du Walo qui a fini par céder aux pressions. Devenue militante libérale, elle reste fidèle à Abdoulaye Wade, malgré les difficultés que traverse le Parti démocratique sénégalais.
ASSANE MBAYE