Publié le 4 Mar 2024 - 20:44
PRÉSIDENTIELLE AU SÉNÉGAL

Morts et violences à la place des idées

 

Malgré une administration rodée dans l’organisation des élections, nonobstant deux alternances en 2000 et 2012 et des victoires régulières de l’opposition dans les grandes villes, les élections continuent d’emporter des vies, de priver les Sénégalais de débats sur les programmes.

 

Des défis énormes. Un débat d’idées quasi inexistant. Depuis 2021, l’espace politique sénégalais ne connait presque pas de répit. A chaque élection, ses éléments perturbateurs. Aux élections territoriales de janvier 2022, c’était, en sus de l’affaire Adji Sarr et son lot de morts, une affaire de listes et de recours inattendus qui était venue polluer l’atmosphère pendant la phase de précampagne. Aux Législatives de juillet 2022, l’affaire des listes de Yewwi Askan Wi et de Benno Bokk Yaakaar est venue renforcer la polémique, avec de nouvelles pertes en vies humaines.

Depuis, il n’y a presque pas eu de discussions sérieuses sur les programmes de ceux qui aspirent  diriger le pays. En dehors de quelques monologues épars, difficile de cerner la vision des uns et des autres pour le Sénégal. La Présidentielle de 2024 n’échappe pas à la règle.

La boulimie du pouvoir a déjà emporté trois jeunes gens. Et le pays reste profondément divisé entre ceux qui veulent une élection maintenant avec 19 candidats et ceux qui plaident pour une élection après le 2 avril, plus précisément le 2 juin, avec une liste plus inclusive de candidats. Les uns se réclament légalistes et invoquent le respect de la décision du Conseil constitutionnel. Les autres misent sur une prééminence d’un dialogue et d’un consensus qui ne l’est que de nom.

Alors à quand une période pour parler aux Sénégalais ? Faut-il privilégier une élection maintenant au risque de se passer encore d’un débat programmatique serein ? Ou bien prendre un tout petit peu plus de temps pour permettre aux uns et aux autres d’aller à la rencontre des électeurs pour leur parler, tenter de les convaincre par des arguments…

Fondateur du think tank Wathi, Gilles Yabi est revenu sur la question, lors d’une rencontre organisée récemment par son organisation. Il déclare : ‘’C’est vrai que ce sont là deux exigences importantes. D’une part, avoir une élection présidentielle avec un minimum de temps de campagne, donc de discussions de programmes. D’autre part, l’exigence de respecter la lettre et l’esprit de la Constitution.’’

À chaque élection ses éléments perturbateurs

En tant que think tank qui travaille beaucoup sur ces questions de démocratie, de renforcement des institutions, fait-il remarquer, il ne peut ‘’cautionner une violation des règles qui gouvernement’’ les principes démocratiques et de l’État de droit. ‘’Il est fondamental de se conformer à la Constitution, de respecter les décisions du Conseil constitutionnel en tenant le scrutin le plus rapidement possible, dans le respect de la liste qui n’est pas susceptible de recours’’, tient-il à souligner.

Cela dit, M. Yabi est aussi revenu sur l’importance d’un débat fécond dans l’espace public et le landerneau politique : ‘’Je pense que s’il doit y avoir un compromis, ça doit être à ce niveau. Comment faire pour qu’on puisse avoir assez de temps pour parler des priorités. Mais pas de revenir sur les décisions du Conseil constitutionnel.’’

Au-delà de la Présidentielle de 2024, cette propension des hommes politiques à infester le débat est prégnante à toutes les élections. Cela est loin d’avoir commencé en 2024. Même si cette année, elle a atteint des proportions rarement, pour ne pas dire jamais égalées.  

En 2019, la Présidentielle avait failli être perturbée par les affaires Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade. Tous deux écartés de la course par le Conseil constitutionnel. Après avoir menacé de mener des actions pour saboter l’élection, l’ancien président Abdoulaye Wade était revenu à la raison en sursoyant à sa décision, suite à de nombreuses médiations. Il avait donné instruction à ses militants de voter pour l’un des candidats de l’opposition de leur choix.

Pour sa part, Khalifa Sall avait choisi sans équivoque le candidat Idrissa Seck.

Finalement, les électeurs ont eu droit à 21 jours de campagne sereine, durant laquelle ils ont écouté les candidats. La suite, on la connait. Les Sénégalais avaient opté pour la continuité avec le président Macky Sall. Ont suivi dans l’ordre Idrissa Seck, Ousmane Sonko, le candidat du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) Issa Sall et enfin Maitre Madické Niang.

Il convient de signaler que le leader de l’ex-Pastef était la grande surprise, en réussissant à se classer troisième, grâce à un véritable projet de société qu’il avait proposé aux Sénégalais, aussi bien durant la campagne qu’à travers son livre ‘’Solution’’ qu’il avait largement vulgarisé.

Gilles Yabi et le think tank Wathi tentent de positionner le débat sur les priorités nationales

Pour 2024, avec l’absence du président sortant d’une part, celle de son principal challenger d’autre part (Ousmane Sonko), les jeux semblaient bien plus ouverts. Pendant longtemps, ils étaient nombreux les observateurs à espérer enfin un débat programmatique, pour permettre aux Sénégalais de départager les différents aspirants en fonction de leurs offres politiques. À l’arrivée, le rêve est en passe de devenir utopie. Le débat d’idées tant espéré risque de ne pas avoir lieu, au grand malheur des petits candidats qui auraient pu en profiter pour vendre leurs idées. Comme Macky Sall en 2012.

D’ailleurs, la situation actuelle rappelle, à bien des égards, celle de 2012, quand une bonne partie des candidats, encouragée par la société civile, s’entêtait à aller chaque jour à la place de l’Indépendance, au lieu d’aller battre campagne. Résultat : le seul qui était allé à la rencontre des Sénégalais en leur présentant son programme (Yoonu Yookuté) s’était imposé. Il s’agissait du président sortant Macky Sall.

Comme en 2012, la démocratie sénégalaise est encore empêtrée dans un pétrin, du fait de l’annulation de l’élection présidentielle par Macky Sall. Comme en 2012, les protagonistes semblent plus dans une posture de confrontations physiques qu’à trouver des compromis tendant à surmonter la crise juridico-politico-institutionnelle. La radicalisation des différents protagonistes rend les perspectives plus sombres. Le débat d’idées de plus en plus hypothétique.

De l’importance du discours pour un homme politique

Macky Sall avait gagné la Présidentielle de 2012 avec son ‘’Yoonu Yookuté’’. Ousmane Sonko est devenu un leader incontournable, grâce notamment à ses idées progressistes.  

En l’absence de toutes discussions sereines autour des propositions des uns et des autres, les Sénégalais risquent d’être contraints de choisir sur la base de considérations purement subjectives. Mais est-ce même que les programmes intéressent les électeurs ? Y en a-t-il qui accordent de l’intérêt au débat programmatique ? La question a été posée à Gilles Yabi, qui rétorque : ‘’D’abord, il faut savoir que cela n’est garanti nulle part. Même dans les grandes démocraties, le choix ne se fait pas uniquement sur la base des programmes. Mais on doit faire des efforts pour aller dans ce sens, pour amener plus de citoyens à accorder plus d’intérêt aux programmes. C’est très important, à mon avis.’’

Selon lui, il faut croire à la politique des petits pas. ‘’Tous ensemble, think tanks, organisations de la société civile, médias, nous devons œuvrer davantage pour que, dans la couverture des élections, les médias s’intéressent aux propositions des candidats, pas seulement à leur biographie et aux petites querelles et insultes qui occupent beaucoup de place dans l’espace public.’’  

C’est dans ce cadre que s’inscrit une série d’activités organisées par Wathi, pour repositionner, en pleine tempête, les priorités au cœur de la vie publique.

‘’Points de vue des enseignants-chercheurs sur les priorités nationales avant la Présidentielle’’. C’était la thématique de leur dernière table ronde organisée la semaine dernière. Plusieurs universitaires ont été conviés pour discuter des thématiques suivantes : Les réformes sociales prioritaires pour le bien-être des populations ; Réformes prioritaires dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement supérieur ; Réformes prioritaires dans le secteur de l’énergie et enfin Les réformes prioritaires relatives aux institutions.

‘’Nous essayons d’apporter notre contribution. En espérant que les messages des chercheurs vont être relayés par les médias. Qu’ils puissent inspirer des candidats, pour le bien de nos populations’’, se réjouit Gilles Yabi.

Le fondateur du think tank Wathi a insisté sur la nécessité d’un ‘’débat public de qualité, en mettant l’accent sur les savoirs, sur les connaissances, en les partageant le plus possible’’, pour relever les défis de développement. ‘’Très souvent, en période électorale, on parle des conditions de l’élection. L’objectif de ces rencontres est de se dire qu’il est certes bien de discuter des conditions de l’élection, mais on doit aussi compétir avec des idées, avec les programmes. Je pense que c’est extrêmement important. Nous l’avions fait en 2019 ; nous le faisons encore pour 2024’’.

Dans ce contexte où il y a beaucoup de polarisation, M. Yabi juge ‘’essentiel’’ de ne pas perdre de vue les priorités. C’est-à-dire quelle politique de santé pour les Sénégalais ? Quelle politique sur le plan de l’éducation ? Quel changement de gouvernance économique et institutionnelle pour mettre un terme à certaines pratiques, etc. ?

Il convient, par ailleurs, de noter que même si une certaine perception tend à faire croire que les programmes ne font pas l’élection présidentielle, il n’en demeure pas moins que la rencontre avec les citoyens tout comme le discours peuvent avoir leur importance. En 2012, comme nous l’avons relevé, le candidat qui s’était le plus signalé sur le terrain avec son programme ‘’Yoonu Yookuté’’ avait fini par remporter le scrutin, au détriment des candidats pourtant donnés favoris. En 2019, Ousmane Sonko, qui faisait sa grande première, avait été propulsé, pour beaucoup, par son programme ‘’Solution’’. Et depuis, il n’a eu de cesse de réaliser des percées grâce à ses idées progressistes.

MOR AMAR

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