Publié le 26 May 2021 - 18:29
RAPPORT ALTERNATIF SUR L’AFRIQUE

Le temps de l’Afrique !

 

La cérémonie de présentation, hier, du Rapport alternatif sur l’Afrique numéro 01 a été l’occasion pour d’éminents intellectuels du Mouvement alter mondialiste de revenir sur les goulots qui étranglent l’Afrique. Le principal, si l’on en croit nombre d’intervenants, c’est le défaut de souveraineté mis à nu par la tenue, récemment, d’un sommet à Paris pour parler des problèmes du Continent.

 

Le professeur Abdoulaye Bathily semble avoir du mal à digérer que l’étranger soit toujours le théâtre de discussion des questions qui intéressent le développement du continent. Présent, hier, à la cérémonie de présentation du Rapport alternatif sur l’Afrique (Rasa), il a exprimé toute sa désolation. ‘’Il nous faut assurer cette rupture avec la dynamique de Berlin, qui continue de conditionner encore notre destin. Récemment, nous en avons eu l’illustration à Paris. Nous nous sommes rendu compte que le destin de l’Afrique se définit ailleurs. L’économie africaine se définit ailleurs. Il faut que la souveraineté soit le maitre mot de nos actions, de notre pensée….’’.

Malgré sa désolation, le professeur Bathily reste tout de même toujours optimiste quant à un avenir meilleur pour l’Afrique. Il déclare : ‘’Je suis optimiste, grâce au travail abattu par toutes ces organisations…. Pour moi, c’est des signes avant-coureurs d’un nouveau soleil qui se lève sur le continent africain. Et nous rêvons de voir ce soleil se lever et briller à nouveau sur tout le continent, pour que la Jeunesse d’Afrique prenne en main son destin, forge la souveraineté de nos sociétés. Nous n’avons pas le droit de laisser notre destin être défini par d’autres à notre place’’, plaide-t-il devant un public venu nombreux suivre la présentation du Rapport alternatif sur l’Afrique.

Selon l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique, la jeunesse doit être à l’avant-garde de ce combat. Et d’enchainer : ‘’Je voudrais lancer un appel à la jeunesse, aux chercheurs et à tous les militants pour que revive cette tradition’’. 

Moins sévère contre le sommet de Paris, Dr Chérif Salif Sy a pour sa part estimé que cette rencontre de Paris sur le financement de l’Afrique montre toute la pertinence des initiatives comme le Rasa. ‘’Ce qui s’est passé à Paris, souligne-t-il, montre simplement la pertinence de cette initiative. Cela montre qu’on est sur la bonne voie. On réfléchit sur le développement du continent, mais tout se passe en dehors du continent et sur l’initiative d’autres personnes. Nous, nous pensons que ce qui doit développer ce continent procédera de l’œuvre des fils et des filles du Continent’’.

Pour y parvenir, le professeur Abdoulaye Bathily estime que le retour aux sciences sociales est essentiel. ‘’Plus que jamais, je crois qu’il est fondamental que nous revenions à cette science sociale qui libère, qui ouvre de nouveaux horizons, adossés à une vision d’une Afrique indépendante’’.

L’obligation d’impliquer les communautés

Présidente du Conseil d’administration d’Enda Tiers Monde, Marième Sow a, elle, mis l’accent sur la nécessité d’impliquer les communautés dans l’élaboration des programmes et projets, mais aussi la primauté de l’action. Elle suggère : ‘’A Enda, nous sommes passés du paradigme recherche-action à celui d’action-recherche. Je pense que nous devons aller dans cette dynamique. Et pour atteindre notre objectif, il est fondamental d’associer les communautés dans nos différentes initiatives. Si on ne le fait pas, on risque de continuer à prêcher dans le vide’’. Selon elle, les communautés doivent également être impliquées pour plus d’efficience dans la mise en œuvre des initiatives.

Secrétaire permanent du Rasa, Dr Cheikh Guèye de Enda Thiers Monde est revenu sur l’initiative Rasa qui a pour ambition de positionner l’Afrique dans la production d’un savoir autonome et souverain. ‘’Il est très important pour nous, a-t-il dit, d’avoir un rapport par l’Afrique et pour l’Afrique. Ce rapport a été élaboré sous le prisme de la souveraineté : souveraineté économique, souveraineté monétaire, souveraineté culturelle, souveraineté politique’’. Selon Dr Gueye, l’Afrique ne peut être souveraine que si elle est unie et que les Africains mettent en avant le panafricanisme. Présentant le rapport, il déclare : ‘’Le rapport donne des orientations et des indications claires sur les vraies priorités des Africains, dans le sens de leur souveraineté et de leur autonomie’’.

Mais au-delà de cet aspect, le Rasa insiste également sur la nécessité pour le Continent de définir ses propres indicateurs pour permettre une meilleure appréhension de son évolution sur les plans économique et social. ‘’On veut donner des indicateurs nouveaux, différents de ceux élaborés au niveau international, pour mieux mesurer ce qui est important pour les Africains. Des choses que l’on ne compte pas ailleurs, mais qui sont essentiels pour nous’’, a relevé Dr Gueye, non sans souligner la nécessité de faire adhérer les populations à l’idéal panafricaniste : ‘’Nous souhaiterions que les populations s’approprient ce rapport et que les décideurs puissent s’en inspirer pour des basculements et des ruptures fondamentales dans l’élaboration des politiques, notamment pour la prise en charge de certaines crises comme celle que nous vivons actuellement’’.

Par ailleurs, a tenu à préciser Chérif Salif Sy, il ne s’agit ni de désigner des coupables ni de se positionner contre certaines institutions régionales ou internationales, mais surtout de réfléchir en vue de faire des propositions concrètes à même de contribuer à mettre le continent sur les rampes du développement. L’économiste de préciser : ‘’Cette pauvreté dans laquelle nous sommes plongés, personne n’est responsable. Nous sommes les seuls responsables. Dans le monde, d’autres pays ont été colonisés, mais avec courage et abnégation, ils ont travaillé et sont sortis de la pauvreté. Aujourd’hui, ils sont loin devant nous’’.

Les sept commandements du Rasa !

Il faut souligner que le ‘’Rapport alternatif sur l’Afrique (RASA) numéro 01’’ interroge la situation et les évolutions souhaitables du continent africain sous le prisme de la souveraineté. Il tourne, essentiellement, autour de sept axes. Dans le premier axe, les auteurs insistent sur la nécessité de changer de paradigme au sortir de la crise actuelle. ‘’Ce retour à la ‘’normalité’’ est synonyme d’un maintien dans un système économique mondialisé qui s’est révélé incompatible avec une souveraineté économique et politique des pays africains. C’est en ce sens qu’il a été conclu dans ce rapport que, pour l’Afrique à venir, une voie lucide est celle de la déconnexion telle que préconisée par Samir Amin. En fait, l’exercice de la souveraineté ne peut se faire sans une stratégie de déconnexion vis-à-vis du système capitaliste mondialisé’’, relève le rapport.

Quand on parle de système de domination, beaucoup pensent immédiatement aux pays occidentaux. Mais dans le Rapport, il est également relevé la domination chinoise qui enfonce également le Continent dans le sous-développement. A ce propos, dans le deuxième axe qui porte sur la souveraineté économique, il est surtout question de la sauvegarde des matières premières et débouchés contre l’hégémonie industrielle chinoise. ‘’L’Afrique doit trouver les moyens de tirer un meilleur profit de ses ressources naturelles, en réinventant les stratégies de valorisation locale. Le premier pas à franchir pour l’Afrique est ainsi de gagner son autonomie financière et de compter sur ses propres infrastructures en promouvant son secteur privé’’.

Dans la même veine, le Rasa recommande quelques voies pour retrouver une souveraineté alimentaire, un tissu industriel fort et autonome et une gestion des ressources minières moins extraverties. ‘’Ainsi, pour la souveraineté alimentaire, il est recommandé de favoriser un développement agricole qui reposera sur quatre piliers : une réforme radicale du foncier agricole ; une garantie de prix agricoles durablement rémunérateurs ; la promotion des systèmes de production agro écologiques ; la compensation des hausses de prix agricoles pour les consommateurs et le changement de leurs habitudes alimentaires’’.

Dans le domaine de l’industrie, le Rasa propose d’explorer une stratégie qui consiste à renoncer à l’insertion dans les chaînes de valeurs mondiales. ‘Les pays africains, lit-on dans le document, devraient se focaliser sur le développement de l’industrie textile qui a été la base de l’industrialisation de la plupart des pays du Sud pour approvisionner le marché intérieur. Toutefois, il faudra, par un protectionnisme éducateur, accompagner cette industrie naissante. Enfin, pour inverser l’extraversion néocoloniale, la gestion des ressources extractives et foncières doit suivre une approche systémique de transformation qui exige d’activer trois leviers politiques : développer les pôles stratégiques d’entreprises ; favoriser les réseaux régionaux de production et ; renforcer l’aptitude des entreprises à prospérer sur de nouveaux marchés’’.

Outre l’impératif de la souveraineté des sociétés africaines, de la souveraineté économique, il est aussi largement question des souverainetés monétaire, culturelle, politique, numérique, entre autres. Aussi, relèvent les rédacteurs du rapport, il faudrait pour atteindre ces objectifs, mettre en place un Etat fédéral fort. ‘’La souveraineté interne passera nécessairement par la mise en place d’un État fédéral politiquement centralisé et dirigé sur une base collégiale. Pour assurer l’intégrité territoriale du grand ensemble créé, ce nouvel État disposera de forces armées continentales. Sur le plan économique, l’Afrique étant le ‘’centre énergétique et de matières premières du monde’’, selon Cheikh Anta Diop, l’État fédéral, conçu sur le modèle de l’ex-Union soviétique et des États-Unis, va pouvoir gérer judicieusement ces ressources au profit des Africains…’’, souligne le rapport.

MOR AMAR

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