Publié le 30 Apr 2025 - 10:18
RAPPORT ANNUEL D’AMNESTY INTERNATIONAL 2024

Soixante-cinq morts sans ‘’justice’’ entre 2021 et 2025

 

Dans son rapport annuel, Amnesty International alerte sur une crise mondiale sans précédent des droits humains, marquée par la montée des discours de haine et l’affaiblissement des institutions internationales. Le Sénégal n’échappe pas à cette tendance inquiétante, car, selon le rapport, le contexte politique tendu et en pleine mutation institutionnelle fait  connaître au pays une série d’atteintes graves aux libertés fondamentales, touchant particulièrement les femmes, les enfants, les détenus et les personnes migrantes.

 

Selon Amnesty, si l’élection présidentielle de mars 2025 a suscité un vent d’espoir avec l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye à la tête du pays et la nomination d’Ousmane Sonko comme Premier ministre, la situation des droits humains reste préoccupante.

En effet, le rapport met en avant des événements qui portent atteinte aux libertés fondamentales, aux droits des femmes, des enfants, des détenus et des personnes migrantes, dans un contexte politique tendu et un environnement institutionnel en mutation.

Dans un premier temps, il rappelle que ¨la police a tiré sur des manifestantes durant la période préélectorale, tuant quatre personnes, dont un adolescent. Plus de 150 manifestants ont été arrêtés et des journalistes qui couvraient les manifestations ont été frappés. En plus de la loi d’amnistie adoptée en mars, qui a mis fin aux poursuites engagées pour la mort, entre mars 2021 et février 2024, de 65 manifestants et passants.   Des points qui illustrent une répression violente et des morts sans justice.

¨Les journées des 9 et 10 février ont été marquées par une répression sanglante. À Saint-Louis, Dakar et Ziguinchor, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants protestant contre le report de l’élection présidentielle. Quatre personnes, dont un adolescent de 16 ans, ont été tuées. La violence a aussi touché la presse. Dans ce sens, plusieurs journalistes, dont Mor Amar et Absa Hane, ont été brutalisés alors qu’ils couvraient les événements. Ces répressions s’inscrivent dans une série d’exactions commises depuis 2021, soldées par une loi d’amnistie adoptée en mars 2024 qui efface les responsabilités dans la mort de 65 personnes lors de manifestations politiques. Cette loi, censée favoriser la réconciliation nationale, empêche pourtant les familles des victimes d’obtenir justice.

Un peu plus loin dans le rapport, l’accent est mis sur la détention arbitraire et les conditions carcérales qui semblent alarmantes. ¨Les arrestations arbitraires ont été fréquentes durant cette période. Des centaines de personnes, souvent jeunes, ont été détenues pour avoir manifesté ou appelé à manifester. Certaines, notamment des mineurs, n’ont jamais été jugées. Dans les prisons, notamment à Rebeuss, les conditions de détention sont inhumaines : surpopulation, mauvaise hygiène et épidémies, comme celle de tuberculose survenue en janvier, exposent les détenus à de graves risques sanitaires.

Dans ce sens, des personnalités politiques comme Ahmed Suzanne Camara et Cheikhna Keita ont été arrêtées pour avoir critiqué les autorités ou évoqué des tensions internes au pouvoir. La suspension de la chaîne Walf TV et les coupures d’Internet lors des manifestations illustrent un climat de censure généralisée.

Droits des femmes et des enfants : des recommandations non appliquées

D’après le rapport, malgré les recommandations émises par les assises nationales de la justice, le Code de la famille continue de discriminer les femmes et les filles, conférant l’autorité conjugale et parentale exclusivement aux hommes. ¨Le Code de la famille conférait toujours l’autorité paternelle et conjugale, aux hommes uniquement et désignait le mari en tant que chef de famille. Cela privait les femmes et les filles des droits et de l’autorité sur leur ménage et leurs enfants. L’article 111 du Code de la famille exigeait l’âge minimum légal pour le mariage à 16 ans pour les filles, contre 18 ans pour les garçons¨, peut-on lire.  Ces inégalités structurelles n’ont toujours pas été corrigées.

Par ailleurs, les enfants talibés, souvent livrés à eux-mêmes dans les rues pour mendier, restent victimes d’abus en dépit de lois existantes. L'absence d’adoption d’un code de l’enfant et d’un statut des Daaras renforce leur vulnérabilité. ¨Le secteur de la protection de l’enfance manquait de financement, ce qui entraînait un déficit de protection pour les enfants talibés victimes de nombreuses violations des droits humains¨, une situation dénoncée par le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille [ONU].

Le droit des personnes migrantes, de l’économie et le droit à un environnement sain : le rapport en parle

D’après Amnesty International, le littoral sénégalais demeure un point de départ majeur de la migration clandestine vers l’Europe. ¨Rien qu’entre janvier et mai, au moins 959 migrants ont péri en mer. Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras. Ces départs sont souvent motivés par la misère croissante dans les zones côtières, aggravée par l’effondrement du secteur de la pêche. Par ailleurs, la réponse de l’État reste insuffisante face à cette tragédie humaine de grande ampleur.

Sur le plan environnemental et social, le gouvernement a pris certaines mesures. En effet, ‘’en mai, le gouvernement a annoncé un audit des répercussions de l’exploitation du phosphate à Ndendory, dans la région de Matam, et demandé aux autorités locales de répertorier tous les ménages touchés afin qu’ils puissent être indemnisés¨. Mais également la suspension de l’exploitation minière autour de la rivière Falémé jusqu’en 2027, en raison de la pollution causée par des produits chimiques. À Ndendory, un audit a été lancé pour évaluer l’impact de l’extraction du phosphate et indemniser les familles affectées. Ces décisions restent tout de même isolées face à l’ampleur des défis.

¨L’effet Trump¨ : accélérateur des tendances destructrices, selon Amnesty

Selon Amnesty International, l’accession au pouvoir de dirigeants populistes et autoritaires s’est accompagnée d’un mépris grandissant pour les droits humains universels, le droit international humanitaire et les mécanismes multilatéraux de protection. Il indique que le mandat de Donald Trump, loin d’être une exception, a catalysé une tendance plus large qui est le retrait ou le désengagement des États vis-à-vis d’institutions comme l’ONU, la Cour pénale internationale ou encore le Conseil des Droits de l’homme.

¨L’organisation, à travers son évaluation de la situation dans 150 pays, constate que cet ¨effet Trump¨ aggrave encore les dommages causés par d’autres dirigeants mondiaux en 2024, sapant le travail accompli à grand-peine depuis plusieurs décennies pour bâtir et promouvoir des droits fondamentaux universels et accélérant l’entrée de l’humanité dans une nouvelle ère brutale, caractérisée par des pratiques autoritaires auxquelles se mêle la cupidité des grandes entreprises¨, peut-on lire.

Dans ce contexte, il souligne que des pays comme ¨la Chine, la Russie, le Brésil, la Hongrie, les Philippines ou encore l’Inde ont intensifié leurs politiques répressives à l’encontre des journalistes, des minorités, des défenseurs des droits humains et des migrants, souvent avec l’impunité comme toile de fond¨.

La Turquie a interdit totalement certaines manifestations et continue d’employer la force illégalement et sans discernement contre des manifestants pacifiques, mais le pouvoir citoyen a pris le dessus en Corée du Sud, lorsque le président Yoon Suk-Yeol, après avoir suspendu certaines libertés fondamentales et déclaré la loi martiale, a été démis de ses fonctions et a vu ces mesures annulées à la suite d’une mobilisation massive de la population¨.

L’’’effet Trump¨, selon Amnesty, ne se limite pas aux États-Unis. Il a contribué à banaliser des discours xénophobes, sexistes, racistes ou homophobes, jusque dans les plus hautes sphères de l’État. L'utilisation de la désinformation, les attaques contre les médias indépendants et la diabolisation des ONG sont devenues des pratiques courantes pour affaiblir les contre-pouvoirs. Un climat qui contribue à fragiliser la solidarité internationale, notamment en matière d’accueil des réfugiés, alors même que les crises humanitaires se multiplient en Syrie, au Yémen, au Soudan ou encore dans les territoires palestiniens.

¨Au Soudan, les forces d’appui rapide ont infligé aux femmes et aux filles des violences sexuelles généralisées  qui constituent des crimes de guerre et probablement des crimes contre l’humanité, tandis que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays par la guerre civile en cours depuis deux ans a atteint 11 millions, devenant le plus élevé au monde. ¨Triste est de constater que, ce conflit a suscité une indifférence presque totale à travers la planète,  hormis de la part d’agents cyniques exploitant les occasions de violer l’embargo sur les armes à destination du Darfour¨, dénonce le rapport.  

Enfin, selon Amnesty, la responsabilité semble partagée, car même si l’ONG reconnaît que Donald Trump a été un catalyseur, elle a insisté sur le fait que de nombreux gouvernements, y compris en Europe et en Afrique, ont joué un rôle actif dans ce déclin, en cédant à des logiques nationalistes ou sécuritaires au détriment des droits humains. Amnesty appelle donc à une mobilisation urgente des citoyens, des mouvements sociaux et des institutions indépendantes, pour défendre les principes fondamentaux de justice, de dignité et de liberté. L'organisation souligne qu’il est encore temps d’inverser la tendance, mais que cela exige du courage politique et une volonté collective de réaffirmer l’universalité des droits humains.

Thécia P. NYOMBA EKOMIE

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