Publié le 11 Dec 2020 - 02:51
RAPPORT ARMP 2018-2019

Une gestion non transparente 

 

Beaucoup de procédures de passation des marchés publics respectent rarement les délais impartis et leur obligation de publication sur le portail de l’ARMP. Des manquements qui donnent une idée sur le niveau de transparence assumé dans l’Administration.

 

L’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) a rendu public, hier, ses rapports couvrant la période 2018-2019. Espace durant lequel elle a sélectionné cinq cabinets d’audit indépendants qui ont passé en revue 119 autorités contractantes. Ces dernières auditées, dont 57 au titre de la gestion 2018 et 62 au titre de la gestion 2019, ont passé 6 034 marchés pour une valeur totale de 1 493 milliards F CFA.

Au total, 2 629 marchés représentant un montant de 1 396 milliards F CFA ont été passés en revue. Ce qui correspond à 94 % de taux d’exécution.

Toutefois, en raison des difficultés provoquées par les restrictions liées à la Covid-19, quatre collectivités territoriales des régions de Kédougou (3) et de Kolda n’ont pas été auditées.

Beaucoup d’irrégularités ont été notées par les agents engagés par l’ARMP. Et elles concernent souvent des soucis de transparence et de respect des délais prescrits. En effet, les autorités contractantes doivent préparer et transmettre, annuellement, au plus tard le 1er décembre de l’année qui précède celle concernée, à la DCMP (Direction centrale des marchés publics) et à l’ARMP leur plan de passation des marchés (PPM) qui renseigne tous les projets de marchés susceptibles d’être lancés au cours de l’année. Mais entre 2018 et 2019, ‘’seuls 1 407 plans de passation de marchés (PPM) ont été reçus et publiés pour un total prévisionnel de 52 984 marchés et un budget estimatif de 5 891,261 milliards de francs CFA’’ précise le rapport. En ce qui concerne les délais de transmission des PPM, les données font ressortir des retards de 33 à 74 jours, avec les collectivités territoriales identifiées comme les principaux retardataires.

De manière spécifique, dans la ‘’Revue indépendante de la conformité de la passation des marchés au titre de la gestion 2019’’ de l’Agence des travaux et de gestion des routes (Ageroute), l’examen des procédures montre que ‘’plusieurs marchés ont fait l’objet de propositions d’attribution au-delà du délai réglementaire de quinze jours, prescrit à la commission des marchés à cet effet (article 70 du Code des marchés publics)’’.

Pourtant, ‘’l’avis formel de la DCMP doit être requis et obtenu pour une prorogation de la période d’évaluation et d’attribution des marchés, en conformité avec les exigences de l’article 70 du CMP ci-avant mentionné’’.

Des dépassements budgétaires à l’Onas sans aucune attestation de crédits couvrant

A l’Office national de l'assainissement du Sénégal (Onas), le manque de transparence est plus soutenu. Dans la passation des marchés contractés dans la gestion 2019, il a été relevé que ‘’la publication des avis d’attribution définitive sur le site des marchés publics n’est pas effective pour 88 % des marchés, en violation des dispositions de l’article 86 du CMP’’. En ce qui concerne les demandes de renseignements et de prix à compétition restreinte (DRPCR), les dates de signature des contrats ne sont pas mentionnées.

De plus, le document a ‘’noté des dépassements budgétaires par rapport aux montants contractés, en violation de l’article 9 du CMP. Aucune attestation de crédits couvrant les dépassements notés n’a été jointe aux dossiers soumis à notre revue. Ce constat concerne 41 % des marchés revus’’. Et pour terminer sur ce sujet, il n’y a pas eu d’évaluation des critères techniques pour les marchés de DPRCR. ‘’Seule une comparaison des prix est faite, en violation de l’article 3 de l’arrêté n°00107 du MEF du e7 janvier 2015’’, dénonce le rapport.

La gestion des marchés publics au ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri) a également connu beaucoup d’irrégularités en 2018. Les vérificateurs de l’ARMP ont relevé que le Mesri n’a pas procédé à la publication des avis d’attribution provisoire et définitive sur le portail des marchés publics, en violation des dispositions de l’article 86 alinéa 4 du décret portant CMP. Le ministère n’a pas publié, non plus, sur le portail, des résultats des marchés passés par demande de renseignements et de prix restreinte, en violation de la réglementation. Aussi, note le rapport, ‘’aucun document pouvant attester de la capacité juridique des différents soumissionnaires n’a été demandé aux candidats, en violation des dispositions des articles 3 et 5 de l’arrêté n°00107 du 7 janvier 2014 relatif aux DRP à compétition restreinte’’.

Le passage des vérificateurs à l’université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ), pour la gestion 2018, a permis d’observer  de nombreuses anomalies. Pour une université qui a connu une année blanche 2019-2020, l’examen de certains appels d’offres a constaté que pour un marché de service de gardiennage des locaux de l'UASZ attribué à Sen Interim pour un montant de 95 406 407 F CFA, les responsables des passations n’ont pu fournir l’avis d’appel d’offres, les offres des soumissionnaires de même que des preuves de règlement. 

La situation se répète avec un marché de service de nettoiement des locaux attribué à la même entreprise, pour un montant de 72 664 795 F CFA. Et aucun des papiers déjà énumérés n’a pu être présenté aux agents chargés de la vérification de la conformité. Il est à noter qu’en même temps, les rapports annuel et trimestriel n’ont pas été produits. 

Au ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants (MFFGPE), au cours de l’exercice 2019, un marché d’acquisition de kits cuisine traditionnelle a été passé sans qu’un contrat liant les partis ait été mis à la disposition des vérificateurs. De même, un véhicule station wagon a été acquis à 37 900 000 F CFA, alors que l’ARMP n’a pas trouvé de contrat signé entre les parties prenantes, ‘’étant donné que la procédure d’acquisition de véhicule a été suspendue pour faute d’autorisation de la Commission de contrôle véhicules administratifs (CCVA). Alors que trois courriers adressés à la primature étaient restés sans suite, la procédure n’aurait pas dû être lancée, conclut le rapport.

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La banalisation du mal

Autrefois rendez-vous très attendu, la publication des rapports de l’Autorité de régulation des marchés publics est devenu presque un non-évènement. Chaque année, ce sont les mêmes remarques, les mêmes recommandations, les mêmes conclusions qui reviennent. Hier, les rapports 2018 et 2019 ont été portés à la connaissance du public, conformément aux dispositions législatives en vigueur.

Mor AMAR

A lire le document, c’est comme si l’essentiel des autorités contractantes ont pu avoir la moyenne. Pourtant, le point commun à toutes ces autorités, c’est une violation quasi systématique de certaines règles relatives aux procédures de passation des marchés publics. Exemple : dans le rapport 2019, le ministère de l’Elevage et des Productions animales a été pris la main dans l’aliment de bétail, les ‘’ladoums’’ (moutons de race), pour ne citer que ces violations.  

En effet, estime le cabinet Grant Thornton, en 2019, quatre sur les neuf marchés objet de DRP simple n’ont pu être suffisamment contrôlés, faute de présentation des documents par les responsables concernés. ‘’Les documents d’exécution ne nous ont pas été communiqués. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de nous assurer de la conformité des fournitures avec les termes contractuels’’. Il s’agit des marchés suivants : achat d'aliment de bétail ; acquisition de béliers ‘’ladoums’’ et géniteurs porcins en deux lots ; acquisition de matériel et d'outillages dans le cadre du Projet de contrôle et de lutte contre la fièvre charbonneuse dans le sud du Sénégal en quatre (4) lots ; achèvement du haras de Mbacké. Dans le détail, il est mentionné notamment la non-communication de bordereaux de livraison ; de facture définitive ; de dates de réception de travaux…

Pour l’année 2019, le Mepa a conclu 196 marchés pour un coût global de 1 801 522 259 F CFA. Ces marchés sont répartis comme suit : 5 appels d’offres ouverts, 1 entente directe, 56 DRP restreintes, 123 DRP simples et 11 DRPCO.

Les bizarreries de l’Onas

Autre autorité, même constat. A l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas), il a été impossible, aux auditeurs, de certifier même le nombre de marchés publics passés en 2019, encore moins leur montant. Le rapport mentionne : ‘’Selon la liste communiquée par la Cellule de passation des marchés de l’établissement, combinée à celle des marchés immatriculés de l’ARMP, l’Onas a conclu, en 2019, cinquante-quatre (54) marchés pour un coût global de 5 821 435 713 F CFA TTC. Nous n’avons pas pu procéder aux tests d’exhaustivité, les données financières et comptables ne nous ayant pas été transmises. Ainsi, nos travaux ont porté sur dix-sept (17) dossiers pour un montant de 3 474 564 080 F CFA représentant 60 % du montant global des marchés.’’

Sur les 17 marchés passés sous revue, 9 ont été passés par DRPCR pour un montant de près de 142 millions, soit 54 % de l’enveloppe passée sous revue. Parmi les anomalies qui ont été relevées, il y a notamment : Concernant les DRPCR, l’omission des dates de signature des contrats. Aussi, indiquent les auditeurs, ‘’nous avons noté des dépassements budgétaires par rapport aux montants contractés, en violation de l’article 9 du CMP. Aucune attestation de crédits couvrant les dépassements notés n’a été jointe aux dossiers soumis à notre revue. Ce constat concerne 41 % des marchés revus’’.

Pour la gestion 2019, le ministère de l’Intérieur a aussi été épinglé par les auditeurs. Parmi les griefs, il y a encore les dépassements budgétaires dans certains marchés.

Le grand paradoxe

Paradoxalement, si c’était un examen, si l’on en croit toujours l’ARMP, la plupart des autorités contractantes auraient réussi. Même si très peu auraient eu des mentions. Il ressort, en effet, des conclusions de l’organe de régulation des marchés publics, que 28 % des autorités ont obtenu la note satisfaisante ; 19 % ont des performances peu satisfaisantes ; tandis que celles qui ont des performances moyennes satisfaisantes sont estimées à 51 %. Loin derrière, se positionnent celles que les auditeurs ont eu du mal à classer (2 %).

A noter que certaines observations reviennent depuis plusieurs années. Il en est ainsi notamment de l’archivage qui fait défaut dans la quasi-totalité des autorités contractantes passées sous revue. Dans ses conclusions, le rapport souligne : ‘’Sur les 120 autorités contractantes, la classification sur la base du suivi des recommandations antérieures révèle que 51 % des autorités contractantes ont fait une bonne progression.’’

Ce qui signifie que 49 % font du surplace ou des progrès encore insuffisants. 

Lamine Diouf

 

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