«Pragmatisme, vision et détermination», suggère le Pr Justin Lin
Dépasser l'Angleterre en dix ans et rattraper les Etats-Unis en quinze ans, après avoir été moins développé que le Sénégal. C'est le résultat engrangé par le modèle de développement de la Chine en trente ans de mise en œuvre. Une ambition possible pour les pays africains à condition de réunir plusieurs facteurs essentiels à l'émergence économique.
L'émergence de la Chine au cours des trente dernières années est passée par la mise en œuvre de plusieurs facteurs essentiels dont : une direction politique claire et affirmée, de la détermination, de la stratégie, l'exploitation maximale des avantages comparatifs disponibles, la protection et la subvention de l'industrie locale... C'est ce qu'à expliqué l'économiste Justin Lin, conseiller spécial du gouvernement chinois et ancien économiste en chef de la Banque mondiale.
Le Pr Lin, en compagnie du Pr Ahmadou Aly Mbaye, Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l'Ucad, animait ce lundi une conférence publique sur le thème : «Émergence en Chine et prospérité en Afrique : idées et opportunités».
Valoriser ses potentiels
Traitant notamment de la réplicabilité du modèle de développement chinois, Justin Lin a affirmé que «les pays à faibles revenus (comme le Sénégal) ont la possibilité d'accéder à la croissance dynamique comme la Chine l'a fait dans les 30 dernières années. (Mais) si un pays veut être compétitif (sur le plan international) il doit s'attaquer aux industries.»
Or, il a rappelé que beaucoup de pays africains dont le Sénégal disposent d'une main d’œuvre à la fois abondante, qualifiée et bon marché à partir de laquelle il est possible de jeter les bases d'une économie émergente. «On peut être compétitif en valorisant ce potentiel», a-t-il noté affirmant que l'émergence chinoise a été bâtie ainsi.
«La Chine a commencé pauvre, elle s'est inspirée de ses potentialités pour construire son indépendance à l'égard des pays occidentaux», a souligné Lin. «C'est la révolution des leaders (du Parti et de l'Etat, Ndlr) qui l'a transformée en puissance industrielle moderne», a-t-il ajouté.
Le cas éthiopien
En 2012, la Chine a un revenu par tête d'habitant de 6 000 dollars contre 1 300 dollars pour un pays comme le Sénégal, alors qu'elle était dans un état d'arriération plus profond que notre pays dans les années 1960, a souligné le vice-président de l'Université de Pékin. S'appuyant sur «l'échec de la privatisation des économies africaines» au contact des institutions de Bretton Woods (Fmi et Banque mondiale), il recommande plutôt des interventions «pragmatiques», «graduelles», «continues» et, surtout, «adéquates» des États en soutien aux divers tissus économiques. Pour Lin, le processus par lequel l'Ethiopie est parvenu à créer une «industrie de la chaussure» partie des avantages comparatifs du pays, avec l'aide de la Chine, pourrait servir de cas d'école pour les autres pays africains.
«Identifier les secteurs prioritaires»
En lieu et place d'une dispersion des «ressources», celles-ci étant souvent rares en Afrique, l'économiste chinois originaire de Taïwan a suggéré la mise en œuvre de politiques prioritaires au profit de secteurs prioritaires «productifs» pour avoir «une industrie qui sera compétitive sur le plan mondial». Ce qui requiert, selon lui, de la «détermination» de la part des dirigeants politiques aux commandes des États.
L'innovation technologique est également une ressource indispensable. Sur ce plan, le Pr Lin a fait état des investissements énormes consentis par le gouvernement chinois pour développer l'éducation, mais aussi pour obtenir des accords négociés avec d'autres pays et visant le transfert de technologies diverses. Cependant, la qualité de l'environnement des affaires reste fondamental. Ainsi, la Chine a dû batailler pour alléger les freins à l'investissement.
Parfois, «il fallait en passer par 200 agences d'Etat» pour créer une entreprise, rappelle le Pr Lin. «Si la Chine est aujourd'hui le deuxième pays au monde sur le plan économique, c'est parce qu'il est le plus grand exportateur au monde avec 90% de ses exportations constituées de produits manufacturés», a informé le professeur Lin. «La Chine est l'usine du monde», a-t-il rappelé.
«Tout n'est pas applicable du modèle chinois», même s'il reste une référence de taille, a précisé le Pr Aly Mbaye. Les pays africains en général et le Sénégal en particulier sont dans un contexte où ils ont la possibilité de tirer partie de toutes les expériences en cours, asiatiques et européennes susceptibles de leur ouvrir les portes du décollage économique, a indiqué le Doyen de la Faseg, avant de remettre une distinction au Pr Justin Lin.
ANTOINE DE PADOU