Publié le 29 Jul 2024 - 16:26
REPRISE AFFRONTEMENTS ARMÉE MALIENNE-REBELLES TOUAREGS

Tinzaouatène, nouvel épicentre du conflit dans le Nord-Mali

 

Depuis jeudi dernier, la région de Tinzaouatène (Kidal), près de la frontière algérienne, est en proie à des affrontements d'une rare intensité, entre l'armée malienne, ses alliés du groupe paramilitaire russe Wagner et les rebelles touaregs du Cadre stratégique et permanent (CSP). Tandis que les communiqués officiels des deux camps se contredisent, les témoignages locaux révèlent une situation chaotique et des pertes humaines considérables. Ce nouvel épisode de violence illustre la brutalité et la complexité du conflit qui déchire le nord du Mali depuis des années.

 

Des corps de militaires jonchent le sol - presque une quarantaine - rendant difficile le comptage exact. Certains blessés gisent dans une mare de sang, tandis que d’autres, faits prisonniers, ont les yeux bandés, visiblement des soldats russes, supplétifs de l’armée malienne. Un soldat malien attaché accuse les Fama (forces armées maliennes) de crimes contre les civils à Kidal, tandis que des membres de l’Azawad crient à la victoire. Ils récupèrent des gadgets sur les corps des morts et filment ces cadavres, les exhibant comme des trophées de guerre.

Ces images ont rapidement fait le tour du monde, provoquant une onde de choc internationale. Parmi les victimes, figureraient Anton Elizarov, un commandant de l’ex-Wagner, connu sous l’indicatif ‘’Lotus’’, ainsi que Nikita ‘’Bely’’, qui animait le canal ‘’Grey Zone’’ sur Telegram.

Les visages des prisonniers, marqués par la terreur et l’épuisement, contrastent violemment avec l’enthousiasme macabre des vainqueurs, brandissant leurs prises devant les caméras.

Cette scène tragique révèle la brutalité du conflit qui ravage la région et rappelle les conséquences dévastatrices de ce conflit au nord du Mali.

Depuis jeudi dernier, la région de Tinzaouatène est secouée par des affrontements d'une rare intensité. Ces tensions ont vu l'armée malienne et ses alliés du groupe paramilitaire russe Wagner affronter les rebelles du Cadre stratégique et permanent (CSP). Les combats ont entraîné des pertes lourdes de part et d'autre, illustrant la complexité et la violence du conflit qui ravage le Nord-Mali.

Communiqués contradictoires et propagandes de guerre

Dans un communiqué officiel, l'armée malienne a affirmé avoir repoussé les rebelles et tué plus de 20 combattants. De leur côté, les rebelles du CSP ont rapporté sept morts et douze blessés dans leurs rangs. Mohamed El Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP, a déclaré que l'armée malienne et le groupe Wagner avaient subi de lourdes pertes. ‘’Nos forces ont définitivement anéanti les colonnes ennemies’’, a-t-il affirmé, ajoutant que les rares survivants avaient été faits prisonniers.

Cette version des événements a été corroborée par le journaliste Wassim Nasr de France 24, via X. Nasr a indiqué que le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) avait tendu au moins une embuscade aux restes de la colonne russo-malienne.

Cependant, des sources du CSP ont nié la participation du GSIM, accusant ce groupe djihadiste de tenter de leur voler la victoire.

Un élu local a confié à l'AFP que l'armée malienne avait reculé, évoquant au moins 17 morts dans un bilan provisoire. ‘’Les gens du CSP sont toujours à Tinzaouatène. L'armée et Wagner n'y sont plus’’, a-t-il précisé. Les combats se sont déplacés plus au Sud, vers Abeïbara. L'armée malienne, souvent discrète sur ses pertes, a communiqué sur un "atterrissage d'urgence" d'un hélicoptère vendredi soir, sans faire état de victimes. Selon un porte-parole du CSP, cet hélicoptère aurait été touché par les séparatistes avant de s'écraser.

Des sources locales ont confirmé la véracité de cette information, malgré la réticence des autorités à admettre ces pertes, pour éviter de démoraliser les troupes. Un directeur de publication, souhaitant garder l'anonymat, a souligné que malgré certains progrès sécuritaires réalisés durant la transition, beaucoup reste à faire. Il a insisté sur la nécessité de renforcer les moyens logistiques et de renseignement pour contrer des groupes rebelles et terroristes bien équipés et technologiquement avancés.

Contexte historique et stratégique

Le 21 juin, les forces armées maliennes (Fama) et les paramilitaires russes ont lancé une vaste opération depuis Kidal en direction d’In-Afarak, un carrefour commercial stratégique. Deux jours plus tard, la colonne russo-malienne s’est dirigée vers Tinzaouatène, près de la frontière algérienne, déclenchant des combats d’une ampleur inédite depuis plusieurs mois. Après avoir repris Kidal des mains des groupes armés touaregs indépendantistes, avec l’appui du groupe Wagner devenu Africa Corps, la junte malienne a dénoncé l'accord d'Alger de 2014, accusant l’Algérie d’ingérence.

Dirigée par le colonel Assimi Goïta, la junte a fait de la reconquête du Nord-Mali (Azawad) une priorité, alors même que des organisations djihadistes comme le GSIM et l’État islamique au grand Sahara (EIGS) restent très actives. En novembre 2023, l'armée malienne avait déjà annoncé s'être emparée de Kidal, une ville clé du Nord, tenue par les rebelles touaregs depuis une décennie. À cette époque, l'armée malienne avait affirmé n'avoir rencontré que des "escarmouches de faible intensité" de la part d'une alliance de groupes armés terroristes.

Depuis la perte du contrôle du nord du Mali, il y a plus de dix ans, à la suite d’une rébellion touarègue, la région est plongée dans l'instabilité, exacerbée par l'intervention de militants islamistes. Cette instabilité a mené à trois coups d'État depuis 2012, illustrant la fragilité politique du pays.

Malgré les efforts de la junte pour renforcer son emprise sur le territoire, les récents affrontements à Tinzaouatène montrent que le chemin vers la stabilité est encore long et semé d'embûches.

Les récits contradictoires et la propagande de guerre compliquent la compréhension de la situation sur le terrain. Néanmoins, il est clair que les combats ont causé des pertes humaines significatives et continuent de déstabiliser la région. Alors que les forces maliennes et leurs alliés tentent de reprendre le contrôle, les groupes rebelles et djihadistes exploitent chaque opportunité pour maintenir leur influence et semer la terreur.

Le Mali, et en particulier le nord du pays, reste un théâtre de conflits complexes où s'entremêlent intérêts locaux, nationaux et internationaux. Les prochaines semaines seront cruciales pour déterminer si les efforts militaires de la junte permettront de stabiliser la région ou si, au contraire, ils conduiront à une escalade de la violence.

Amadou Camara Gueye

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