Human Rights Watch indexe encore le régime de Macky Sall
L’organisation de défense des Droits de l’homme, dans un nouveau communiqué accablant contre les autorités sénégalaises, déplore les restrictions sur les libertés publiques et dénonce une répression excessive sur les manifestants.
C’est à croire qu’entre son communiqué de mars 2021 et celui de ce 5 juin 2023, Human Rights Watch n’a fait que se répéter. Sur le Sénégal, l’organisation de défense des Droits de l’homme exprime toujours son inquiétude face à l’impunité, la restriction des libertés et le recours excessif à la violence dans la répression.
Avant-hier, l’organisation a fait savoir que ‘’les autorités sénégalaises devraient immédiatement garantir une enquête indépendante et crédible sur les violences commises lors des manifestations dans la capitale Dakar et dans tout le pays depuis le 31 mai 2023’’. Alors qu’au moins 16 morts et des dizaines de blessés ont été signalés par le ministère de l’Intérieur, de même que 500 arrestations, dans un communiqué publié le 4 juin, le parti politique des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a déclaré que des forces de sécurité et des ‘’milices’’ avaient tué 19 personnes et que les Sénégalais devaient ‘’se défendre par tous les moyens et riposter’’.
Si cette sortie est quelque peu passée inaperçue lundi, c’est que l’accès à Internet subit des restrictions de la part des autorités publiques. Le 1er juin, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, a annoncé la mise en place de restrictions sur les réseaux sociaux, afin de mettre fin à la ‘’diffusion de messages haineux et subversifs’’. Le 4 juin, le gouvernement a étendu les coupures d’accès à l’Internet mobile. Ces restrictions ont empêché les journalistes, les activistes des droits humains et d’autres personnes de communiquer, d’obtenir des informations ou de rendre compte des événements en cours, a déclaré Human Rights Watch qui invite les autorités à mettre fin aux ‘’interdictions arbitraires d’accès à Internet et aux réseaux sociaux’’.
Mars 2021, juin 2023 : même combat
La coupure d’Internet est l’élément nouveau par rapport à la restriction des libertés déjà dénoncée en 2021. Dans sa sortie, l’organisation de défense des Droits de l’homme invitait déjà les autorités sénégalaises à veiller ‘’immédiatement à ce qu’une enquête indépendante et minutieuse soit ouverte sur les décès signalés d’au moins 10 personnes et sur les blessures de centaines d’autres lors des manifestations qui se sont déroulées dans le pays depuis le 3 mars 2021’’. Le gouvernement, ajoute-t-elle, ‘’devrait libérer les personnes détenues en raison de leurs convictions politiques ou de leur participation à des activités pacifiques’’.
Des manifestations ont éclaté à Dakar le 1er juin, après qu’un tribunal a condamné le leader de l’opposition Ousmane Sonko, chef de Pastef, à deux ans de prison pour ‘’corruption de la jeunesse’’, compromettant ainsi ses chances de se présenter à l’élection présidentielle l’année prochaine. Les manifestants à Dakar ont érigé des barricades, bloqué les routes principales, brûlé des pneus, détruit et pillé des biens publics et privés, et jeté des pierres sur la police, qui a répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes.
Plusieurs autres témoignages rapportés par Human Rights Watch ont fait état de la présence de ‘’nervis’’ parmi les forces de sécurité. ‘’Ces nervis roulent dans des voitures sans plaques et agissent en toute impunité sous la protection des forces de sécurité’’, a déclaré un journaliste a l’organisation de défense des Droits de l’homme, qui a aussi recueilli des témoignages confirmant l’utilisation de balles réelles pendant les manifestations. En même temps, l’opposition accuse les autorités d’utiliser des civils armés aux côtés des forces de sécurité lors des manifestations.
Témoignages sur la répression excessive
Selon la directrice adjointe de la Division Afrique à Human Rights Watch, ‘’les récents décès et blessures de manifestants envoient un signe inquiétant pour l’élection présidentielle de 2024 et devraient faire l’objet d’une enquête rigoureuse afin que les responsables de ces actes rendent des comptes. Carine Kaneza Nantulya invite également ‘’les autorités à ‘’mettre fin à la répression contre les manifestants et les critiques, et à garantir la liberté de réunion’’.
Les mêmes causes en 2021 ont produit les mêmes effets en 2023, parfois avec plus de gravité. Le nombre de prisonniers politiques (100 à l’époque) s’est multiplié (plus de 500). Human Rights Watch estime qu’au cours des derniers mois, ‘’les autorités ont réprimé des membres de l’opposition, les médias et la dissidence. Les forces de sécurité ont arrêté et détenu arbitrairement des journalistes et des manifestants, et ont interdit des manifestations organisées par l’opposition politique’’.
Depuis 2021, de violentes manifestations liées au silence du président Macky Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat et à l’affaire impliquant Ousmane Sonko ont éclaté dans tout le pays. L’usage excessif de la force et les arrestations arbitraires par les forces de sécurité, lors des manifestations, sont devenus monnaie courante depuis 2021 et la justice n’a pas été rendue pour ces abus.
La même chose est en train d’être observée présentement. Même si un calme précaire est noté depuis trois jours, de nouveaux heurts sont en craindre, si Ousmane Sonko est arrêté. Une éventualité confirmée par le ministre de Justice Ismaïla Madior Fall, ajoutant que cela pourrait intervenir à tout moment. Aussi, les organisations de la société civile et de l’opposition présentes au sein de la plateforme F24 ont annoncé deux journées de mobilisation, le 9 et le 10 juin.
Carine Kaneza Nantulya invite l’UA et la CEDEAO à raisonner le Sénégal
En attendant le développement de cette actualité, Carine Kaneza Nantulya appelle les autorités sénégalaises à ‘’mettre un terme aux arrestations arbitraires’’, à ‘’libérer les personnes détenues à tort, notamment les enfants, et (à) respecter le droit des Sénégalais à manifester et à protester pacifiquement’’. La directrice adjointe de la Division Afrique à Human Rights Watch invite même les organisations africaines à raisonner Macky Sall : ‘’L’Union africaine et la CEDEAO devraient user de leur influence pour pousser les autorités sénégalaises à mettre fin à la répression des manifestations et des critiques.’’
L’organisation de défense des Droits de l’homme rappelle au Sénégal les textes sur la restriction des libertés individuelles et collectives.
En effet, rappelle le communiqué, le droit international des droits humains et la Constitution sénégalaise protègent le droit à la liberté de réunion et d’expression et interdisent l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre. ‘’Les lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, stipulent que les agents des forces de l’ordre ne peuvent recourir à la force qu’en fonction de la gravité de l’infraction et que l’usage intentionnel de la force létale n’est autorisé que lorsqu’il est strictement inévitable pour protéger la vie. Il prévoit également que l’armée ne doit être utilisée pour contrôler les rassemblements qu’en cas de circonstances exceptionnelles et uniquement en cas de nécessité absolue’’.
Human Rights Watch rappelle également que la Déclaration de principes de l’Union africaine sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique exige que les restrictions d’Internet soient à la fois nécessaires et proportionnées, et stipule que les gouvernements ne doivent pas interférer avec la liberté d’opinion de qui que ce soit.
Lamine Diouf