Le Mali face à son destin
Poussés à la sortie par les nouvelles autorités qui ont choisi de collaborer avec la Russie, la France et ses alliés se retirent du Mali, mais restent dans la région pour mener la lutte contre le terrorisme.
Les Maliens l’ont réclamé, directement ou indirectement. Ils l’ont obtenu. Dans six mois au plus, les forces françaises et leurs alliés vont devoir quitter le territoire malien. La décision a été officialisée, hier, à la suite d’une rencontre à Paris tenue la veille, entre le président français Emmanuel Macron (président en exercice de l’Union européenne), son homologue sénégalais Macky Sall (président en exercice de l’Union africaine) et d’autres chefs d’Etat du continent, dont ceux du Tchad, du Niger, de la Mauritanie, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, entre autres. Dans la déclaration finale, ces dirigeants africains et européens imputent toute la responsabilité aux nouvelles autorités maliennes.
‘’En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, disent-ils, le Canada et les Etats européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la task force Takuba, estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d'entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations’’.
Cela dit, même s’ils se retirent du Mali, la France et ses alliés comptent rester dans la région, pour barrer la route à la propagation du terrorisme. ‘’A la demande de leurs partenaires africains, et sur la base de discussions sur les futures modalités de leur action conjointe, justifie-t-on, ils sont néanmoins convenus de poursuivre leur action conjointe contre le terrorisme dans la région du Sahel, notamment au Niger et dans le Golfe de Guinée, et ont engagé des consultations politiques et militaires avec eux dans l’objectif d’arrêter les paramètres de cette action commune d’ici juin 2022’’.
Dans le même sillage, afin de contenir la potentielle extension géographique des actions des groupes armés terroristes en direction du sud et de l’ouest de la région, ‘’les partenaires internationaux indiquent leur volonté d'envisager activement d’étendre leur soutien aux pays voisins du Golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest, sur la base de leurs demandes’’. Ces actions, poursuit la note, ‘’viendraient soutenir les initiatives et organisations régionales pertinentes telles que l’UA, la CEDEAO, le G5 Sahel et l’Initiative d’Accra, et renforcer les stratégies nationales visant à améliorer la résilience, ainsi que les conditions de vie et de sécurité dans les régions les plus vulnérables’’.
De plus, les signataires ont tenu à exhorter les autorités maliennes ‘’à réengager un dialogue constructif avec la CEDEAO et l’Union africaine, au plus haut niveau, afin de trouver une solution en faveur de la stabilité et du développement du Mali et de toute la région’’. Ils déplorent le non-respect des accords avec la CEDEAO : ‘’Nous constatons et regrettons que les autorités maliennes de transition n’aient pas tenu leurs engagements envers la CEDEAO, soutenue par l’Union africaine, d’organiser des élections présidentielle et législatives avant le 27 février 2022. Nous exhortons les autorités maliennes à achever la période de transition et à organiser des élections libres, équitables et crédibles. Nous soutenons pleinement les efforts en cours de la CEDEAO et de l'UA pour le retour du Mali à l'ordre constitutionnel dans les meilleurs délais.’’
Par ailleurs, malgré ce retrait, la France et ses alliés s’engagent à continuer à accompagner le peuple malien dans la lutte contre les causes profondes de cette insécurité. ‘’Nous soulignons collectivement notre engagement de longue date envers le peuple malien, ainsi que notre volonté de continuer à nous attaquer aux causes profondes de l'insécurité, en mobilisant l'aide pour répondre aux besoins immédiats et à plus long terme de la population, en particulier des personnes les plus vulnérables. Nous réaffirmons aussi notre disponibilité à poursuivre le dialogue avec les autorités de transition maliennes’’, lit-on dans la déclaration.
Le Niger, nouveau Mali
Chassés du Mali et en perte de vitesse dans le Sahel, la France et ses alliés comptent se repositionner au Niger et dans le Golfe de Guinée, pour ‘’continuer la lutte contre le terrorisme’’.
Alors qu’ils s’apprêtent à quitter le Mali, la France et ses alliés ne veulent pas laisser la région aux Russes. Non seulement ils comptent se redéployer au Niger pour rester dans le Sahel, mais également, l’ambition de Macron et ses alliés est de s’étendre vers le Golfe de Guinée, également menacé par le péril djihadiste. Le président français justifie : ‘’Comme l’ont démontré les attaques menées dans le Nord du Bénin, ces Etats sont de plus en plus exposés à des tentatives d’implantation des groupes terroristes sur leurs territoires.’’
Ayant perdu du terrain dans le Sahel où il a des relations tenues (Mali et Algérie) ou peu sûres (Mauritanie, Niger, Burkina Faso) avec les différents régimes en place, Paris espère ainsi miser sur les voisins du Golfe de Guinée. Emmanuel Macron : ‘’Si le G5 Sahel demeure une enceinte incontournable pour coordonner les efforts à l’échelle de la bande sahélienne, l’Initiative d’Accra, qui rassemble le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin, doit aussi devenir un cadre de référence. Non pas pour créer de nouvelles structures régionales, mais pour veiller à ce que chaque Etat fasse sa part des efforts et reçoive des partenaires le soutien bilatéral dont il a besoin’’.
Les groupes terroristes, soutient le président français, une coordination transfrontalière est indispensable pour contrer la stratégie des groupes terroristes qui jouent de la porosité des frontières. ‘’C’est tout le sens d’un renforcement de la coordination entre les pays de la région. Et c’est pourquoi le G5 Sahel, l’Initiative d’Accra, la CEDEAO sont clés dans cette lutte’’, a-t-il ajouté.
Revenant sur le retrait de Barkane et de la task force Takuba du Mali, le président en exercice de l’UE a souligné que cela va être effectif, d’ici à quatre, voire six mois au plus. Il accuse : ‘’Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés. La lutte contre le terrorisme ne doit pas tout justifier. Elle ne doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en exercice de conservation indéfinie du pouvoir. Elle ne peut pas non plus justifier une escalade de la violence par le recours à des mercenaires dont les exactions sont documentées en RCA.’’ Concrètement, a-t-il poursuivi, cela va se traduire par la fermeture des emprises de Gosi, Menaka et Gao.
MACKY SALL ‘’Nous comprenons la décision prise par la France…’’ Pour le président Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, la lutte contre le terrorisme est une ‘’question vitale’’ pour les deux continents et les Africains. C’est aussi ‘’une question d’intérêt commun’’ en ce que les deux continents sont séparés par 15 km seulement. ‘’Donc, tout ce qui touche l’un touche l’autre et vice-versa’’, a indiqué le président Sall, hier, lors de la conférence conjointe avec son homologue français, en présence du président du Conseil européen et du président de la CEDEAO, le président ghanéen Nana Akufo Addo. La lutte contre le terrorisme, estime le nouveau président de l’Union africaine, est devenu un défi majeur pour l’Afrique. Il affirme : ‘’Nous ne voulons pas que le continent devienne le ventre mou de cette lutte contre le terrorisme international. C’est pourquoi nous souhaitons ardemment poursuivre, avec nos partenaires européens, les efforts solidaires déjà engagés depuis longtemps. Nous avons retenu que, considérant la situation nouvelle au Mali, nous comprenons cette décision prise par les autorités françaises et européennes de ne pas poursuivre leur intervention sur le théâtre malien.’’ Prenant acte d’une telle décision, le président de l’Union africaine a insisté sur la nature globale de la menace qui ne saurait être combattue que par les Africains. ‘’Nous sommes convenus avec l’Europe que la lutte contre le terrorisme au Sahel ne saurait être l’affaire des seuls pays africains. C’est un consensus et c’est heureux qu’il y ait eu un engagement de rester dans la région et de réarticuler le dispositif’’. M. AMAR |