Publié le 16 Mar 2014 - 09:20
SACRIFICES HUMAINS, VOL DE SEXE, OFFRANDE DE LA MORT…

 Les épidémies intermittentes d’hystérie collective

 

Du vrai, une réalité aussi dure que la pierre pour certains. Tout faux, simple hallucination pour d’autres. Les rumeurs de sacrifices humains et autres affirmations irrationnelles et jamais prouvées sont légion au Sénégal depuis un certain nombre d’années. Ces phénomènes dont on dit qu’ils ont pour lie la crise multiforme s’amplifient de plus en plus.  ‘’voleurs de sexe’’, ‘’appel qui tue’’, bref toute une liste de faits supposés existants mais dont on a du mal à voir une victime ou un témoin crédible. Il y a cependant d’autres qui résistent bien à l’analyse. C’est le cas de ce qui se passe depuis quelque temps dans la ville de Tambacounda.

 

Réalité ? Hallucination ? Le premier pour ceux qui y croient fermement. Le second pour les cartésiens. Au Sénégal et en Afrique de façon générale, le débat sur le mystique est plus que jamais ouvert. Il ne sera peut-être jamais clos. Et ce qui se passe dernièrement à Tambacounda rappelle encore que la croyance est plus que jamais présente. Une série noire de sept malades mentaux tués, souvent dans des conditions inhumaines. Victimes égorgés, têtes fracassées, parties intimes emportées ( ?)

La psychose a fini de gagner la population qui, les conducteurs de motos-taxis en première ligne, ont vivement manifesté pour demander sécurité. Une compagnie de Gmi a été envoyée pour renforcer la police locale. Rien n’y fait.

Dans la nuit du mercredi 05 mars, un autre jeune homme d’une trentaine d’années, jouissant de toutes ses facultés mentales, a été sauvagement tué, la tête brisée et des briques en sang à côté de son corps gisant dans une mare de sang. Il est visiblement un voyageur qui, ayant manqué son bus, a passé la nuit à Mbarou Gounass, un abri pour voyageur.

Face à la situation de plus en plus inquiétante et surtout pour éviter que les personnes ‘’normales’’ ne soient les nouvelles cibles, les habitants ont promis de prendre leur destin en main, jugeant l’action de la police trop molle.

Ce qui amène le ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo à se rendre lui-même sur place pour trouver une solution. Quoi que puisse être l’issue, l’ambiance dans la capitale orientale, elle, a des exhalaisons mystiques. Les questions se posent de savoir s’il s’agit des chercheurs d’or, des acteurs politiques ou encore les partisans de la fortune immédiate, sans labeur.

Loin d’être une réalité exclusive à Tamba, cette liste macabre nous rappelle qu’il y a des moments où la société semble prise de folie, avec des actes barbares. Des meurtres de ce genre, il y en a eu à la pelle ces dernières années. Le cas de Fama Niane à Petersen reste le plus emblématique. Un corps démembré en sept morceaux et mis dans un sac, à l‘absence du cœur et des seins. C’était le 12 mars 2009, à dix jours des élections locales du 22 de ce même mois. Derrière elle, une suite de noms et d’anonymes.

Entre les deux tours de l’élection présidentielle 2012, il y a eu la mort de Ibou Seck à la Médina. Le journal L’As qui avait donné l’information parle d’une victime étalée sur tout son corps, le ventre à terre, la tête penchée sur «un vase contenant des vomissures et du sang». A celui-là s’ajoute celui d’Amadou Guissé égorgé à Ourossogui avant le premier tour. Là aussi, on parlait à l’époque «d’une posture de sacrifice rituel».

Crimes odieux répétés

Parmi les anonymes, le plus médiatisé reste l’enfant retrouvé mort dans les cimetières de Soumbédioune. Lui aussi, il a été égorgé. Un autre enfant, encore ! Celui-là à Ouakam. Lui aussi égorgé, disons presque. Il s’agissait plutôt d’une tentative d’égorgement avec début d’exécution. Mais les bourreaux n’ont pas eu visiblement le temps de finir leur sale besogne.

Plus horrible, le cadavre d’une victime découvert à la plage de la cité Gadaye à Guédiawaye. ''Un corps sans tête, sans jambes, sans bras gauche, de sexe masculin, blanc comme neige et en état de décomposition avancée'', relate l’As. Tous ces crimes, sans oublier cette jambe mystérieuse retrouvée sur l’autoroute à péage, ont été ou presque attribués à la classe politique, le second tour de la présidentielle aidant. Aucune preuve n’a jamais été apportée.

Dans ce contexte de l’époque, les albinos ont aussi payé un lourd tribut. Dans un article du journal français Libération intitulé ‘’Sénégal, la grande peur des albinos’’ et publié en avril 2012, Mohamadou Bamba Diop, président de l’Association nationale des albinos du Sénégal, déclare avoir répertorié sept assassinats et dix tentatives d’enlèvement dans les premiers mois de l’année.

«On n’avait jamais vu ça au Sénégal ! C’est une pratique connue dans d’autres pays d’Afrique, mais chez nous, avant l’élection de 2012, ça n’existait pas», relève-t-il. Ignorant l’identité des auteurs des crimes, il a ouvertement accusé l’ancien président de la République Abdoulaye Wade  d’avoir encouragé l’installation des marabouts venus de la sous-région et qui «prétendent qu’avec les organes des albinos, on peut acquérir de la puissance».

Viande, tissu blanc et 10 000 F Cfa

Cependant, le mystique au Sénégal ne s’arrête pas que sur les sacrifices. Le pays semble pris parfois par une «épidémie d’hystérie collective». L’année 2010 avait débuté par une rumeur folle dénommée par la suite ‘’l’offrande de la mort’’.

Selon le ‘’téléphone chinois’’, il s’agit de donateurs à bord de véhicule 4x4 qui  distribuent un sachet de viande accompagné de 10 000 F Cfa et d’un morceau de tissu blanc appelé percal. Les destinataires de ce «cadeau funeste» piquent une crise avant de mourir. Là non plus, jamais une preuve n’a été apportée.

Et pourtant, des individus ont failli y laisser leur vie, parce que pris comme cibles par des foules qui les ont considérés comme membres de ces groupes que l’on dit présents partout et pourtant visibles nulle part.

La Radio Futurs Médias avait raconté le cas des chercheurs partis en véhicule 4x4 mener une étude dans un village à Linguère. Ils ont échappé de justesse à un guet-apens tendu par les villageois armés de sabres et de gourdins. Ils ont été sauvés par le sens d’observation d’un instituteur qui a remarqué le comportement suspect des populations et leur a demandé d’embarquer.

La première victime de ces rumeurs vient de Saint-Louis. Le journal le soleil qui rapporte les faits indique que la foule qui s’est déchaînée sur le pauvre lui reproche de détenir par devers lui le colis piégé. Le Canard fournit la description suivante : «Notre bonhomme s'en tirera, in fine, avec une bouche édentée, un visage sanguinolent, un crâne rouge de sang pour ce qui constitue la partie visible des dégâts. Étant entendu qu'on imagine qu'il doit aussi atrocement souffrir de douleurs et de courbatures un peu partout sur le corps.»

Un billet de 2000 F ‘’indépendant’’

Un autre exemple qui n’est pas du reste le dernier vient de Saré Youba dans le Fouladou à l’occasion d’un marché hebdomadaire. Les deux incriminés avaient non pas de la viande et du percal, mais des sachets de thé et des billets de 2000 F. N’empêche, l’un a été pris à partie. Il a tenté de se bagarrer, mais en vain. «L’individu, mal en point, les vêtements tachés de sang, a préféré battre en retraite.

Il a pris la poudre d’escampette avant de trouver refuge dans une concession non loin du marché», raconte une autre source. Plus cocasse, cette ressource rapporte que la semaine d’avant, une coupure de 2000 F a traîné pendant longtemps au milieu des passants sans que personne n’ose la ramasser.

A l’image de l’Offrande de la mort, le Sénégal a également ‘’connu’’ les «voleurs de sexe». Cette rumeur apparaît, disparaît et réapparaît au gré des contextes. Les appels téléphoniques tueurs sont aussi passés par là. Quiconque décroche l’appel du numéro 00229 trouve la mort. Sans oublier la fameuse Djinné Maïmouna qui, en 2009, faisait entrer en transe les lycéennes en classe de terminale, surtout à la veille des examens.

BABACAR WILLANE

Marabouter !

Que se passe t-il dans la tête d’un individu qui décide de verser dans le mystique traditionnel en allant quérir les services d’un féticheur ? Son profil traverse toutes les couches de la société sénégalaise. Du paysan au cadre, de l’illettré à l’agrégé, jeune ou vieux à l’article de la mort, tous y passent, de sorte que la profession de marabout est sans doute l’une des plus « émergentes » dans ce pays qui n’a jamais autant été visité par le mystique.

Pourtant, à tout va, la carte d’identité du Sénégal est partout connue, comme verset ou psaume : une terre de croyants en Dieu, musulmans et chrétiens. Puisque ce 100 % d’hommes de foi est trop beau pour être vrai, il faut rechercher chez ces gens, ceux-là mêmes qui courent les marabouts.

Qui sont donc ces gens qui tuent ou font tuer, par exemple, les déficients mentaux à Tamba ? Qui sont ces gens qui cassent des œufs aux angles des rues alors qu’ils ont faim ? Qui sont ces gens qui troublent la quiétude des cimetières en cherchant des reliques humaines ? Ils sont parmi nous, souriant et riant, mais le couteau entre les dents, cachant d’immenses échecs personnels et cherchant à les soigner par la négation de l’autre. Un autre qui n’est nécessairement pas son ennemi, mais qui a eu le tort d’être sur « le chemin ».

C’est dans la politique, les arts, le sport et le monde des affaires que le maraboutage fait légion. La question de savoir si « ça marche » ne se pose pas car il faut y croire pour tenter d’y répondre. « C’est parce qu’ils ne t’ont pas eu que tu n'y crois pas », entend-on souvent. Dans le monde de la presse, pourtant un milieu censé être celui qui va « faire de sorte comme si rien n’allait de soi », on voit aussi, la promotion de féticheurs ou de diseurs de bonne aventure.

Ils vont demander aux autorités de sacrifier des taureaux pour mettre un terme au carnage sur les routes sans évoquer le comportement des automobilistes ; ils vont demander à des joueurs d’une équipe de ne pas serrer les mains des adversaires en oubliant l’esprit fair-play ; ils vont surtout pomper des sous. 

Qui croire ? Ceux qui, ancrés dans la certitude que l’Homme est Total, ou ceux qui, fins psychologues, alimentent la crise morale en jouant sur la détresse des uns et des autres. Comme le reflux d’une vague, le Sénégal vit de temps à autre des périodes où l’obscurantisme anéantit beaucoup de convictions religieuses.

Quel est le profil du client du féticheur ? D’emblée, il ne croit pas en ses capacités intrinsèques. Il estime que son avenir n’est pas entre ses mains, que c’est un autre qui devra réaliser son destin à sa place. Faible, il est toutefois convaincu qu’on lui a chipé quelque chose ou qu’on lui en veut. Cependant, il croit aux religions traditionnelles. Mais il est circonspect vis-à-vis de celles abrahamiques car ni un curé ou un imam ne verseront dans ces considérations.

Le client du féticheur est toujours stressé, cherchant des ennemis partout, sans faire son introspection. Paradoxalement, il a la baraka, car il a de l’argent pour satisfaire aux desiderata de ses « conseillers » occultes. Il peut sacrifier un bœuf en mer et refuser de donner quelques sardines (Yaboy) à ses enfants.

Surtout, il ne dit jamais ce qu’il pense. La sournoiserie est le propre de ce milieu. Bref, il est mal barré, et même s’il se tire d’affaire souvent, il le mettra sur le compte de ses sacrifices. Naturellement, ses échecs devront être mis sur le dos de ses ennemis et marabouts « inefficaces ».

La question du « maraboutage » est un problème au Sénégal. Elle annihile les volontés, crée certes des niches d’argent pour ses animateurs, mais ne règle aucun problème. Les entreprises sont enserrées dans les rets de ce que pense « l’autre », les familles sont divisées, l’émulation n’est plus de mise.

En politique, il faut être aimé et savoir donner du rêve. Dans le monde des affaires, c’est à qui sera le plus entreprenant et trouver le bon filon. En sport, il faut s’entraîner, observer l’adversaire, chercher la performance et la gagne. Et dans le monde du « mystique », il ne faut croire en rien.

Lamine SENE

 

 

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