La CEDEAO au cœur du bourbier malien
La décision de la CEDEAO d’infliger des sanctions économiques et financières au régime d’Assimi Goita, risque d’avoir de nombreux impacts sur la situation géopolitique et sécuritaire au Mali en proie à une insurrection djihadiste. En outre, selon des experts, un affaiblissement du régime de Bamako pourrait entraîner une dégradation du climat sécuritaire susceptible de nuire à la stabilité dans les pays voisins du Mali.
Le torchon brûle entre la CEDEAO et les autorités maliennes. Réunis en sommet extraordinaire à Accra, dimanche dernier, les dirigeants ouest-africains ont fait le choix de la fermeté et annoncé de lourdes sanctions économiques contre Bamako. Les dirigeants ouest-africains ont ainsi décidé la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali, ainsi que la suspension de toutes les transactions commerciales. Une exception est faite pour les biens de consommation essentiels, les produits pharmaceutiques, les fournitures et équipements médicaux, les produits pétroliers et l’électricité.
En réaction, la junte malienne dirigée par le lieutenant-colonel Assimi Goita a décidé la fermeture de toutes les frontières du Mali avec les pays membres de l’union et de rappeler les ambassadeurs maliens en poste dans l’espace CEDEAO, le lundi 10 janvier.
Pourtant, devant l’imminence des sanctions, les émissaires de la junte ont tenté de convaincre les chefs d’Etat ouest-africains des bonnes dispositions de la junte malienne à continuer le dialogue. Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, avait tenté, ces derniers jours, de calmer le jeu et insisté sur le fait que ce nouveau délai, proposé le 31 décembre à l’issue des assises nationales, n’était qu’une ‘’base pour la négociation’’. Le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, Ministre malien de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, est même allé plus loin pour proposer que les cinq ans soient ramenés à deux. Mais l’organisation sous-régionale a finalement décidé de jouer la carte de la fermeté.
Selon les différents analystes, les sanctions de la CEDEAO ne vont pas dans le sens de garantir une plus grande stabilité du Mali en proie à une insurrection djihadiste, depuis près d’une décennie.
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REACTIONS
GILLES YABI, ANALYSTE POLITIQUE ET PRESIDENT DU THINK TANK WATHI
‘’Une volonté de décourager d’autres coups de force en Afrique de l’Ouest’’
‘’Je pense qu’on n’avait pas besoin d’émettre des sanctions aussi dures contre un pays qui est en crise. Je crois qu’il ne faut pas dire qu’on est d’accord avec la demande d’une transition de cinq ans. C’était une erreur. Ce qui était en porte-à-faux avec ce qu’il avait dit au début de la transition. Je pense que ça ne justifie pas la prise de mesures aussi fortes. Le fait que l’UEMOA soit entrée dans la danse, ce qui a entraîné le gel des avoirs du Mali au sein de la Banque centrale. Ce sont des mesures qu’il faut utiliser avec beaucoup de précautions pour sortir le pays de l’ornière. (…) L’objectif des sanctions, qui est de mettre une pression maximale sur le régime et le Mali, ne peut pas tenir longtemps avec ces sanctions. J’espère que les discussions vont s’amorcer pour une durée de transition qui soit acceptable. (…) On a un pays qui a du mal à contrôler l’intégralité de son territoire. Ça ne va pas aider à avoir plus de stabilité politique. J’imagine, dans les semaines à venir, un autre coup d’Etat dans un coup d’Etat ; ce qui ne vas pas arranger les perspectives politiques dans le pays.
Il faut, au niveau de Bamako, une volonté d’intégrer les acteurs politiques et sociaux qui n’étaient pas associés aux assises de refondation. Il faut un consensus intra-malien, afin de définir un agenda clair de la transition. (…) Je pense qu’il faut être nuancé dans ce genre de question. La CEDEAO avait déjà évoqué, dans son communiqué, la présence de mercenaires russes de Wagner. Donc, je crois que ce n’est pas seulement dû aux pressions de la France, même si la position de l’Hexagone est claire, depuis le début, concernant les mercenaires russes. Dans les relations internationales, les puissances sont promptes à exercer des pressions qui vont dans le sens de leurs intérêts, mais ça serait trop simpliste de croire que les chef d’Etat de la CEDEAO décident sous injonction de Paris ou de Washington. Je crois que c’est une simplification abusive. Je pense qu’ils décident parfois en fonction de leurs intérêts ; je crois qu’il y a, de leur côté, une volonté de décourager d’autres coups de force en Afrique de l’Ouest.’’
MAMADOU SAMB, DIRECTEUR DES FORMATIONS AU CHEDS ‘’Si le Mali s’effondre, notre sécurité (NDLR : Sénégal) sera fortement remise en cause’’ ‘’Ces sanctions vont affaiblir l’effort de guerre de l’armée malienne. L’Etat malien a commencé à retrouver quelques prérogatives sur une bonne partie du territoire. L’armée malienne a commencé à se redéployer et à obtenir de petites victoires. Je pense que les sanctions, si elles sont appliquées, cela risque d'entraîner une détérioration de la sécurité intérieure du pays. (…). Car, il ne faut pas oublier que si le Mali s'effondre, notre sécurité (NDLR : Sénégal) sera fortement remise en cause. Notre sécurité se joue au Mali et tous les pays de la CEDEAO ne sont pas liés à la même enseigne. Il y a des pays pour lesquels la relation est vitale comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. (…) Par ailleurs, concernant la présence des mercenaires de Wagner, je pense que le Mali ne cédera pas sur cette question, car la junte est convaincue que cette décision est dictée depuis l’extérieur. Donc, je pense qu’il risque de se braquer, alors que la solution ne peut venir que d’un dialogue entre la junte et la CEDEAO.’’ |
MAKHFOUZ NGOM