L’année des obstacles
Le système sanitaire a connu beaucoup d’embarras, cette année, avec les mouvements des syndicats, la ponction sur salaires et primes, la dengue, le vaccin du col de l’utérus. Des épreuves qui fragilisent le département d’Abdoulaye Diouf Sarr.
2018 est jusqu’ici l’année la plus secouée du système sanitaire. Cela a commencé avec la grève du Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) dont le point culminant a été la décision de centraliser les urgences. Cette décision, jugée ‘’exagérée’’ par la population, a contraint le gouvernement de Mahammed Boun Abdallah Dionne à organiser une réunion d’urgence, la veille de cette centralisation. Le Premier ministre a contacté le secrétaire général dudit syndicat, docteur Boly Diop, pour le dissuader d’aller en grève. Le jour prévu pour la centralisation, les médecins ont été reçus par le président Macky Sall qui a donné des instructions fermes pour que tous les points de l’accord signé soient respectés.
Ce bras de fer avait commencé en 2015, trois ans après la signature des accords déjà cités, plus précisément le 6 novembre 2012. Alors que la menace du virus Ebola alimentait les débats dans les structures sanitaires et que les syndicalistes étaient en grève, le gouvernement et le Sames avaient trouvé un terrain d’entente. L’Etat prit l’engagement de poursuivre la réflexion sur les points de désaccord, avec des échéances précises. Dans le protocole d’accord, le gouvernement s’engageait à accorder un prêt d’équipement d’un million de francs Cfa à partir de 2015 aux médecins recrutés dans la Fonction publique. Cette mesure devait s’appliquer également aux 77 médecins recrutés en 2014. Il s’y ajoutait un prêt de 5 millions sans intérêt, avec facilitation aux médecins affiliés au Sames, l’octroi de l’indemnité de spécialisation médicale aux universitaires qui devait prendre effet à partir de la date de signature du protocole.
L’attribution de parcelles (15 ha) dans le cadre des zones d’aménagement concertées, afin de faciliter l’accès aux logements aux médecins, figurait aussi en bonne place dans le protocole d’accord. Les points de désaccord concernaient la titularisation de tous les médecins dans la Fonction publique, le relèvement de l’âge de la retraite à 68 ans, la création du corps des praticiens, les critères de nomination, la hiérarchisation des futures directions régionales de la santé dont les agents fustigent l’attribution des bourses et la politique de santé avec le développement des infrastructures.
Le gouvernement avait renvoyé l’examen des autres demandes d’indemnités aux résultats de l’étude prévue au plus tard fin décembre 2014. Face à la menace du virus Ebola, le Sames avait donc suspendu son mot d’ordre de grève. De 2015 à 2018, l’Etat fit l’autruche. L’attente devenant longue, les grèves reprirent sans pour autant que l’Etat ne lève le petit doigt. Il a fallu que le Sames lance la grande offensive pour que le gouvernement daigne enfin réagir pour désamorcer la bombe.
Radicalisation d’And Gueusseum…
Cette victoire des médecins devint une pilule amère à avaler pour l'Alliance des syndicats autonomes de la santé (Asas)/And Gueusseum. Car, au même moment, leurs doléances sont restées insatisfaites, malgré les assurances du ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr. Qui disait, lors d’une rencontre avec tous les syndicats de la santé sauf le Sames : ‘’Les partenaires sociaux de la santé et le gouvernement ont échangé sur des questions qui concernent le secteur. Il n’y a pas péril en la demeure, en ce qui concerne l’équité et l’égalité de tous les syndicats. Nous avons rassuré tout le monde que le gouvernement est à équidistance de l’ensemble des partenaires.’’
Mais And Gueusseum s’est radicalisée et exige la même chose que les médecins. Après plusieurs mois de revendications, les syndicalistes ont eu satisfaction sur tous les points, sauf celui du régime indemnitaire. Un point qui leur tient à cœur. Depuis, ils ont durci le ton, avec des grèves répétitives. Le gouvernement a riposté, en ponctionnant leurs salaires des mois de novembre et décembre. Les syndicalistes en sont actuellement à leur 17e plan d’action. Et sont sourds aux explications du ministre Abdoulaye Diouf Sarr qui leur a dit que l’Etat, pour l’ensemble des fonctionnaires, est en train de faire des études sur les indemnités dans la Fonction publique. ‘’And Gueusseum veut que l’Etat se focalise sur eux, mais le gouvernement leur a signifié que cette question sera prise en charge dans un cadre global. Il faut que l’on revoie tout cela. Mais cela n’a jamais été un refus de dialogue’’, a précisé Abdoulaye Diouf Sarr lors de son passage à l’Assemblée nationale pour défendre son budget 2019.
Une thèse battue en brèche par le syndicat. Car, selon Mballo Dia Thiam, la révision du système global d’indemnisation des fonctionnaires dont parle le ministre, est un faux débat. Surtout que, poursuit-il, ce schéma est appliqué à certains corps. ‘’Les médecins et les enseignants ne sont-ils pas des agents de la Fonction publique comme nous autres ? Pourtant, on a réglé leurs problèmes ; et ils veulent laisser la justice et les agents de santé dans la rue, en leur disant d’attendre la révision. Donc, il y a deux catégories de fonctionnaires : ceux d’en haut et ceux d’en bas. C’est ce traitement à géométrie variable qui nous révolte. Il n’y a pas d’équité dans le traitement des agents et même dans les organisations syndicales, et c’est notre combat depuis le 11e plan d’action’’, a-t-il fait savoir.
… Diouf Sarr coupe les salaires
C’est vers les années 1980 qu’il y a eu des ponctions sur salaires des agents de la santé, pour la première fois. L’histoire retiendra aussi qu’Abdoulaye Diouf Sarr est le deuxième ministre de la Santé, après Thierno Bâ, à appliquer cette loi. Mais la note circulaire du ministre de la Santé concernant la ponction sur les salaires ou primes des syndicalistes grévistes, And Gueusseum n’en a cure. La preuve, l’alliance dirigée par Mballo Dia Thiam se radicalise davantage. Et décide de continuer à dérouler ses plans d’action. Selon les syndicalistes, l’Etat est en train d’appliquer la loi du plus fort. ‘’Nous acceptons de subir. Cela ne nous fera pas déchanter, ni reculer. Au contraire, cela nous ragaillardit. C’est une manière de requinquer les troupes. Si c’est le prix à payer, qu’il nous envoie la note ou les factures’’, a fulminé Mballo Dia Thiam joint hier au téléphone par ‘’EnQuête’’.
S’agissant de la question du régime indemnitaire, il informe que l’Etat avait promis, lors des négociations de 2014, de proposer un système de rémunération plus pertinent, plus équitable et plus juste. ‘’Cette étude est déjà bouclée avec des recommandations pertinentes du consultant. Mais l’Etat refuse de les appliquer’’, soutient le syndicaliste.
Le ministre, lui, se justifie et invoque la loi. ‘’Je me demande si, en tant que représentation nationale, vous demandez à l’Etat de continuer à payer des gens qui ne travaillent pas. Toute la problématique est là. On va continuer à dialoguer. Parce que ce n’est ni dans l’intérêt des populations ni dans celui des syndicalistes, encore moins de l’Etat d’avoir une situation de blocage. Nous tous avons la responsabilité de servir la population’’, a-t-il répondu aux députés qui se préoccupaient de la situation des syndicalistes.
VIVIANE DIATTA