La désobéissance civile s’est invitée au vote

La Côte d’Ivoire attend toujours le taux de participation général du scrutin de samedi. La journée de vote a connu plusieurs manifestations et des morts. A Abidjan, d’un point de vue global, très peu d’électeurs sont sortis voter.
Plus de 24 heures après le scrutin présidentiel, la Commission électorale indépendante (CEI) n’a pas divulgué le taux de participation globale, enjeu crucial de l’élection. L’institution a opté pour une proclamation des résultats par département, hier après-midi jusqu’à 19 h, avant d’annoncer une pause et de fermer son site ‘’pour erreur’’, selon son porte-parole.
Au total, les résultats de 26 départements sur les 108 sont connus et placent largement en tête le président sortant, avec des scores allant de 90 à 100 % au nord du pays. Une heure plus tôt, la plateforme affichait un peu plus 1 100 000 suffrages exprimés. Samedi, jour du vote, les Ivoiriens qui résident à Abidjan se sont imposé un mot d’ordre : rester tranquillement chez soi, en attendant la suite des événements. La capitale était déserte jusque dans ses zones réputées bruyantes, quelle que soit la situation. C’est le cas de la commune de Treichville. A l’exception des lieux de vote des communes d’Abobo et d’Adjamé où les électeurs se sont présentés dès 6 h, l’affluence n’était pas au rendez-vous.
Du côté de Cocody, les sept bureaux du lycée classique d’Abidjan ont reçu entre 15 et 30 votants durant la mi-journée. Les bureaux de vote ont ouvert après 8 h 30 mn. ‘’Il n’y a vraiment pas d’affluence, comme vous pouvez le constater. Mais, dans l’ensemble, tout se passe bien. Plusieurs électeurs sont venus avec leur carte. Nous espérons que, d’ici 18 h, les Ivoiriens viendront nombreux accomplir leur devoir citoyen’’, indique le président du bureau 4 (416 inscrits), M. Kouabenan.
Par ailleurs, le gouvernement avait annoncé la mise en place d’un guichet spécial pour le retrait des cartes d’électeur, sauf que sur place, plusieurs votants n’ont pas pu retirer la leur. ‘’Le dispositif n’est pas fonctionnel’’, nous apprend-on. Et dans ces cas, la carte nationale d’identité est admise. ‘’Je suis un citoyen, je suis donc venu accomplir un devoir civique. Tout est calme. Les Ivoiriens ne doivent pas se laisser intimider par ceux qui prônent la violence. Il n’y aura rien, tout va bien se passer’’, confie Kanigui Soro, attendant patiemment son tour dans la file du bureau 7. Les votants présents, tout comme lui, estiment que le choix d’un président est beaucoup trop important pour qu’ils restent cloitrés dans leur maison.
Toutefois, les représentants du candidat indépendant KKB étaient absents dans cinq bureaux de vote.
A la mi-journée, c’est au lycée Sainte-Marie, toujours dans la commune de Cocody, que le président Alassane Ouattara a accompli son devoir civique, en compagnie de son épouse. Il s’est félicité d’un bon déroulement à mi-parcours du scrutin. ‘’Je viens de voter, ce samedi 31 octobre, date constitutionnelle. Je suis heureux de l’avoir fait et je vois beaucoup de monde. Selon nos informations, à part une dizaine d’endroits isolés, le vote se déroule bien. Les Ivoiriens sont sortis nombreux pour voter. Je demande à tous nos concitoyens épris de paix et de patriotisme d’aller voter. C’est un jour important pour la démocratie. La démocratie ne peut pas souffrir de changement de texte par rapport à l’évolution d’une situation. Je suis certain que les autres élections se passeront également dans de bonnes conditions. J’en appelle à ceux qui ont lancé ces mots d’ordre de désobéissance civile qui ont conduit à des morts d’hommes, qu’ils arrêtent, parce que ce sont des actes criminels’’, a-t-il déclaré face à la presse.
Alassane Ouattara assure aux Ivoiriens un programme axé sur l’emploi des jeunes, une fois réélu. Dans la commune du Plateau, les 22 bureaux d’environ 440 électeurs du collège Notre-Dame de la Paix ont fermé plus tôt que prévu (18 h au lieu de 18 h 30). Pour cause, les électeurs se sont fait désirer durant toute la journée. Au bureau 5, on comptait 120 votants sur les 441 inscrits.
Le décompte global a donné une belle longueur d’avance au candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix.
De nombreux incidents notés, 15 morts sur l’ensemble du territoire
La journée de samedi a également enregistré de multiples scènes de violence. ‘’Il y a quelques échauffourées à Blokoss, un village Ebrié d’Abidjan, où des jeunes gens sont très surexcités. Les habitants de Blokoss bloquent l’entrée des bureaux. Mon commissaire superviseur vient de me faire le point. Donc, la police demande qu’on délocalise le lieu de vote au lycée classique où c’est plus facile à sécuriser. Et également pour éviter les conflits. Ceux qui viendront voter seront redirigés vers le lycée classique’’, informe le président de la commission électorale de Cocody 4, Stéphane Agnès. La zone compte 19 lieux de vote et 116 bureaux.
A Yopougon, encore une fois, les choses ont dégénéré. La police a confirmé la mort de deux jeunes à Yopougon-Kouté. Nos sources affirment avoir été agressées par un groupe armé descendu d’un minicar. En outre, les affrontements ont été plus violents à l’intérieur du pays avec le saccage de bureaux de vote à M’Batto, dans le Moronou, le barrage des voies principales à Yamoussoukro (centre du pays) suivi d’échauffourées avec la police. Plusieurs villes ont été secouées. Il s’agit de Tiébissou, Sakassou, Aboisso, Abengourou, Bonoua, Daoukro, Bouaké, Daloa, Ferkéssédougou, Gagnoa, Issia, Vavoua, Bondoukou, Kounfao, Divo...
Selon l’ONG Wanep (Suivi, analyse et atténuation de la violence électorale), ces violences ont coûté la vie à au moins 15 personnes sur l’étendue du territoire. La mission d’observation a recensé 129 incidents d’ordre technique et 27 d’ordre sécuritaire. ‘’De l’ouverture à la clôture, le scrutin présidentiel n’a pu se tenir convenablement sur toute l’étendue du territoire national. Les 680 observateurs de Wanep ont également affirmé que des incidents continuent d’être enregistrés au lendemain du scrutin. En effet de nombreux centres et bureaux de vote dont les localités de Sikensi, Akoupé et Bongouanou n’ont pas pu s’ouvrir ou fonctionner’’, indique-t-elle.
D’une manière générale, les rapports provisoires des différentes missions d’observation ont pour la plupart souligné ‘’une élection émaillée de violences’’. Indigo (Initiative de dialogue et de recherche action participative en Côte d’Ivoire), une ONG locale, révèle que 23 % des bureaux de vote sont restés fermés à l’échelle nationale ; 15 % ont fermé avant 17 h 30.
Par ailleurs, le RHDP a été représenté dans 66 % des bureaux de vote, contre 15 % pour le candidat Kouadio Konan Bertin. L’organisation a noté 391 incidents ‘’enregistrés et vérifiés’’. Les observateurs ont rapporté des cas d’intimidation et de harcèlement dans 5 % des bureaux de vote.
‘’De cette observation, il ressort que les zones affectées par la non ouverture systématique des bureaux de vote au cours de la journée constituent un nombre conséquent de l’électorat ivoirien n’ayant pu exprimer librement son droit de vote ou, pour celles qui ont pu le faire, dans un contexte de peur et d’inquiétude’’, fait-elle savoir dans sa déclaration préliminaire. Elle a déployé 1 000 citoyens pour l’observation du scrutin.
Les autorités ont décrété trois jours de couvre-feu dans la ville de Yamoussoukro (capitale administrative) et ses environs, de 21 h à 6 h.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
PRÉSIDENTIELLE IVOIRIENNE
L’opposition appelle à une transition civile
Les partis de l’opposition ne reconnaissent plus Alassane Ouattara en tant que président de la République. Ils appellent à la mobilisation et à la formation d’une transition civile.
Samedi, aux environs de 16 h, l’opposition ivoirienne, toujours dans une posture de boycott, a annoncé ne pas être concernée par le résultat, quel qu’il soit. Plus offensive hier, son porte-parole dit ne plus reconnaitre Alassane Ouattara en tant que président de la République. Pascal Affi N’Guessan et ses compagnons de lutte dénoncent ‘’un simulacre d’élection’’ avec un taux de participation en deçà de 10 %.
Ainsi, les partis de l’opposition invitent la communauté internationale à prendre acte de la fin de mandat du président sortant. Ils appellent à l’ouverture d’‘’une transition civile’’ afin de créer les conditions d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive.
‘’Les partis et groupements de l’opposition appellent, dès cet instant, à la mobilisation générale les Ivoiriennes et Ivoiriens, particulièrement toutes les forces vives de la nation, les démocrates épris de paix et de justice, pour faire barrage à la dictature et à la forfaiture du président sortant Alassane Ouattara’’, a déclaré P. Affi N’Guessan.
La plateforme décompte, pour sa part, au moins 30 morts durant la journée du vote, portant le nombre total de décès de ce mois à 110. Les déclarations de Guillaume Soro et Simone Ehivet Gbagbo, ces dernières heures, abondent dans le même sens.
Mais cet appel à la mobilisation risque de ne pas porter de fruits, si l’on se réfère à la posture actuelle de la jeunesse ivoirienne qui considère avoir été sacrifiée pendant trop longtemps. Sur les plateformes d’échange, ces jeunes demandent aux acteurs politiques d’être avant tout en première ligne avec leurs enfants. Au cas contraire, aucun d’entre eux ne compte sacrifier sa vie pour des politiciens.
Au RHDP, cependant, on se félicite d’un bon déroulement du scrutin. Selon le directeur exécutif du parti au pouvoir, les Ivoiriens sont sortis ‘’massivement’’ faire valoir leur devoir civique. ‘’Nous disons, témoignons toute notre satisfaction et notre reconnaissance au peuple ivoirien. Nous déplorons les morts que ce scrutin a enregistrés, tout cela par la faute des agresseurs de l’opposition. Le scrutin s’est déroulé conformément à la Constitution de 2016, nonobstant les différents troubles constatés dans certaines localités et organisés par certains hommes politiques. Ils ont armé des jeunes, en particulier dans le Centre et à l’Est, empêchant ainsi des citoyens d’exprimer leur droit de vote. Mais nous avons pu mesurer la grandeur des Ivoiriens qui ne se sont pas laissés enfermer dans la psychose’’, soutient Adama Bictogo.
Il invite les autorités compétentes à sévir contre une opposition qui a prôné l’insurrection durant tout le processus électoral. ‘’Cette opposition a eu en face d’elle un peuple responsable, digne et respectueux de la Constitution. Certains de nos cadres sont attaqués à Bouaké. Nous dénonçons un comportement irresponsable des acteurs politiques pour créer le désordre dans un pays en paix et stable. Le RHDP met en garde Affi et consorts contre toute tentative de déstabilisation. La Côte d’Ivoire, aujourd’hui dans une dynamique de croissance forte, ne peut pas accepter que des opposants, gagnés par le désarroi, fassent reculer tout un pays. Cela parce qu’ayant échoué. Notre Constitution n’adopte pas de transition ; c’est du folklore. Ils sont ridicules et c’est de l’irresponsabilité’’, a-t-il ajouté non sans demander l’opposition de reconnaitre le choix des Ivoiriens. A savoir le président Alassane Ouattara.
EMMANUELLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)