Il y a cinq ans, disparaissait le réalisateur ...
Il y a cinq ans, le 9 juin 2007, disparaissait à Dakar le cinéaste et écrivain sénégalais Sembene Ousmane, homme d’action et auteur d’une œuvre empreinte d’engagement dans les combats essentiels de son temps, pour la justice, la liberté et la dignité des peuples africains.Jusqu’au bout, notamment lors du tournage de son dernier long métrage ‘’Moolaade’’, Sembene, décédé à l’âge de 84 ans, est resté fidèle à sa vocation de témoin de combat, montrant sa capacité d’indignation autant dans ses œuvres que dans ses interventions.
Et quand on lui reprochait ce franc-parler souvent cru, il répondait : ‘’Ce n’est pas un défaut, c’est ma liberté’’. Libre, Sembene l’a été jusqu’au bout.’’Il y a des combats que l’on mène pas à pas, jour après jour’’, aimait-il à dire aux journalistes qui parvenaient à lui arracher des mots, tant l’homme était avare en paroles.
Il préférait l’action et en cela, il a fait preuve, tout au long de sa carrière, d’un courage et d’une ténacité sans pareille. Autant, il y avait la liberté dans son choix de faire du cinéma son métier pour ‘’parler à (son) peuple’’, autant il a usé de cette liberté dans ses œuvres littéraires comme cinématographiques.Sembene Ousmane est né le 1-er janvier 1923 à Ziguinchor. Son père ne le déclare que huit jours plus tard. Il est très tôt confié à un de ses oncles, instituteur. Mais il ne fera pas d’études. Il a 13 ans lorsque, en 1937, en pleine époque coloniale, il sert une gifle au directeur de son école qui voulait lui apprendre le corse.Renvoyé, il doit se débrouiller pour survivre. Il devient pêcheur, mécanicien, maçon pour finir militaire. Mobilisé dans l’armée coloniale en 1942, il est envoyé au Niger, au Tchad, en Afrique du Nord, puis en Allemagne. Après sa démobilisation, il participe à la grève des cheminots du Dakar-Niger (1947), la première en Afrique.
Il en tire une de ses plus belles œuvres, ‘’Les bouts de bois de Dieu’’, roman publié en 1960.En 1948, il décide de partir en France, en s’embarquant clandestinement dans un bateau pour Marseille. Dans cette grande ville du sud de la France, il s’instruit, milite au Parti communiste français en 1950, puis à la Confédération générale des travailleurs (Cgt). La France est alors en guerre au Vietnam : avec ses collègues, Sembene bloque le port de Marseille pendant trois mois pour empêcher l’embarquement d’armes destinées à l’Indochine.Il devient ensuite responsable syndical, rencontre des écrivains de passage à Paris pour le premier Congrès des écrivains et artistes noirs (septembre 1956). Il se met à l’écriture, en se lançant dans le roman. Ça donne ‘’Le docker noir’’ (1956). Il publie aussi ‘’Ô pays, mon beau peuple’’ (1957), ‘’Voltaïque’’ (1962), ‘’L’Harmattan’’ (1964), ‘’Le Mandat’’ (1965), ‘’Xala’’ (1973), ‘’Le Dernier de l’Empire’’ (1981), ‘’Niiwam’’, suivi de ‘’Taaw’’ (1987).Mais après la sortie de ses premiers livres, il commence à s’intéresser au cinéma, réfléchit à une démarche plus grand public, ‘’politique, polémique et populaire’’ comme il disait. A 38 ans, il se rend à Paris, avec l’idée de s’inscrire dans une école de cinéma. Il n’y trouve aucun soutien. Il va au studio Gorki à Moscou, où, avec Marc Donskoï et Serguei Guerassimov, il apprend à tenir une caméra.Les films de Sembene sont une immersion dans les quartiers populaires. Il organise des projections aux prisonniers, parle d’art et de culture aux enfants.
En 1963, il réalise son premier court métrage : ‘’Borom Sarrett’’, dans lequel il dépeint la journée d’un transporteur qui véhicule clients et marchandises. La même année, il réalise le documentaire ‘’L’Empire Songhay’’.Son premier prix, il l’obtient en 1965 au Festival international du film de Locarno (Suisse), avec le court métrage ‘’Niaye’’ (réalisé en 1964) qui raconte l’histoire d’un chef de village qui a fait un enfant à la fille du griot.Convaincu que le cinéma doit devenir ‘’le cours du soir du public africain’’, Sembene Ousmane se lance dans son premier long - en réalité un moyen métrage - ‘’La Noire de...’’ (1966) : une jeune Sénégalaise, que ses patrons blancs amènent avec eux en France, ne supporte pas les humiliations, le paternalisme, l’exil. Elle se suicide, préférant la mort à l’esclavage. Ce film obtient le Prix Jean Vigo, le ‘’Tanit d’or’’ aux Journées cinématographiques de Carthage (1966), le prix de meilleur réalisateur africain au Festival mondial des Arts nègres tenu la même année à Dakar.Sembene Ousmane réalise son deuxième long métrage en 1968. C’est ‘’Le Mandat’’, dans lequel le rôle principal est merveilleusement tenu par Makhourédia Guèye.
Le cinéaste y offre une saisissante peinture de la société sénégalaise postindépendance, où tout le monde vole, est voleur et où le peuple est exploité par des Noirs dit ‘’modernes’’.Il se penche en 1971 sur la seconde Guerre mondiale qu’il a lui-même vécue, en réalisant ‘’Emitaï’’, pour saluer la résistance des femmes, avant de dénoncer, dans ‘’Xala’’ (1974), l’attitude d’une bourgeoisie noire qui imite tous les défauts des Blancs (corruption, arrogance et défaut de scrupule).En 1977, Sembene réalise ‘’Ceddo’’. Ce film porte sur la résistance d’une communauté africaine à l’avancée de l’islam au 17-ème siècle. A cette occasion, Sembene a le commentaire suivant : ‘’On peut faire autre chose que de regarder vers l’Arabie Saoudite ou vers l’Occident. On peut regarder vers l’intérieur de l’Afrique, sa culture, sa spiritualité’’.
Il revient à la seconde Guerre mondiale en réalisant en 1988 avec Thierno Faty Sow ‘’Camp de Thiaroye’’ : l’injustice faite aux tirailleurs qui, après avoir libéré la France de l’occupation nazie, se retrouvent démobilisés, sans décoration, ni reconnaissance. Dans ‘’Guelwaar’’ (1992), où le rôle principal est tenu par Thierno Ndiaye Doss, il s’en prend à l’aide internationale qui cache à ses yeux une exploitation des richesses des pays du Sud par l’Occident.Au début des années 2000, Sembene Ousmane ouvre la trilogie intitulée ‘’l’héroïsme au quotidien’’. Le premier film de cette série est ‘’Faat Kiné’’, réalisé en 2000.
Le deuxième, ‘’Moolaadé’’, aborde le thème sensible de l’excision. Mais pour le cinéaste, c’est une œuvre qui défend la liberté d’expression. Celle de femmes ayant décidé de s’opposer à une tradition qu’elles jugent archaïque. ‘’La Confrérie des Rats’’, le troisième de la série, était en préparation.Sembene a reçu plusieurs récompenses pour ‘’Moolaadé’’ : prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine, prix Un Certain Regard à Cannes, prix spécial du jury au Festival international de Marrakech. Auparavant, il avait reçu, entre autres distinctions, le prix Harvard Film Archive décerné par l’Université Harvard de Boston en 2001.Sa camera n’a pas tourné ‘’Samory’’, l’œuvre à laquelle il tenait, pour rendre hommage au résistant à la pénétration coloniale. Philosophe devant les difficultés rencontrées pour réaliser ce film, il disait : ‘’Si je ne fais pas +Samory+, d’autres le feront’’. Il ajoutait : ‘’On essaie de le faire mais il y a des priorités.
Quand je pense aux souffrances que je peux avoir pour faire un film, quand je pense à nos hôpitaux, nos écoles, nos dispensaires, je dis que ce n’est pas un problème’’. C’était ça Sembene. Libre et sensible aux préoccupations de son peuple.
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