“On est en train de lutter de toutes nos forces contre ces agissements”
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Présence des intermédiaires à la Dpetv qui soutirent de l’argent aux citoyens pour diligenter leur demande, des étrangers avec des passeports sénégalais, les mesures prises pour combattre la corruption au sein de cette structure. Le commissaire de police divisionnaire de classe exceptionnelle, Mame Seydou Ndour, Directeur de la Petv, aborde ces différentes questions dans cette interview.
Combien de demandes vous recevez par jour ?
On en a reçoit beaucoup. Le nombre est souvent variable, d’une période à une autre. Actuellement, si je fais les statistiques d’avant-hier, c’est-à-dire la journée du 24 avril, nous avons enregistré 983 demandes pour l’ensemble des services de la Police des étrangers et des titres de voyage. Je voudrais préciser que, non seulement, nous avons un centre principal, ici à Dieuppeul qui est la direction, mais nous avons aussi des centres régionaux, dans certaines régions du pays et dans certaines grandes villes. Nous avons également des centres à l’étranger, à Paris, à Milan, à Casablanca, à Abidjan, etc. Nous avons, en tout, 9 centres à l’étranger. Ce qui veut dire que, si on fait la compilation des dépôts au niveau de tous ces centres, quotidiennement, nous en sommes entre 900 et 1 000 demandes. Pour Dakar, nous en sommes entre 600 dans le centre principal et 100 au centre de Guédiawaye ; ce qui fait 700 pour Dakar quotidiennement.
Quelles sont les procédures pour effectuer un dépôt de passeport ?
Le dépôt est très simple. Pour ceux qui n’ont jamais obtenu de passeport, il s’agit de déposer la photocopie de la carte nationale d’identité, en présentant également la carte nationale d’identité, la quittance et le certificat de résidence ou de domicile. Si votre passeport est perdu et que vous voulez un duplicata, il faut un certificat de perte, plus la quittance. Ou si votre passeport a expiré ou est détérioré et que vous voulez le renouveler, vous présenterez le passeport, la copie de la première page de ce passeport, la carte d’identité et la quittance. Ce sont tout simplement ces papiers que l’on demande.
Y a-t-il des procédures spécifiques pour les personnes qui ont des jugements ?
Effectivement, les jugements sont les niches où les gens font généralement des fraudes sur l’identité et sur l’âge. Généralement, quand quelqu’un dépose avec un jugement, il y a une procédure de vérification et d’enquête qui est déclenchée automatiquement pour voir l’authenticité des documents déposés, la véracité des données d’identité qu’il a déclarées, avant que l’on ne puisse produire le document ou que l’on le rejette définitivement. Tous les cas de fraude passent par ces jugements. Il y a des étrangers qui ont des passeports sénégalais et tout cela passe par cette procédure de jugement. Généralement, quand vous déposez, si c’est un jugement récent, on est tenu de faire une procédure de vérification au niveau du tribunal, au niveau de l’état civil et la procédure d’enquête doit vous entendre pour voir dans quelle condition vous avez acquis les papiers que vous avez déposés. Et à partir de là, une décision sera prise pour vous délivrer le passeport ou vous le refuser carrément. En cas de fraude, on vous refuse le passeport.
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‘’Rien que l’ambassade de France nous a envoyé 99 passeports sénégalais détenus par des étrangers’’
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Y a-t-il un décret indiquant que pour certains noms, il faut fournir un certificat de nationalité sénégalaise pour pouvoir obtenir le passeport ?
Le décret qui organise le passeport demande à tout le monde de déposer un certificat de nationalité. Le décret n°1629 du 29 novembre 1975, qui fixe les modalités d’établissement du passeport ordinaire, en son article 2, exige, pour la délivrance d’un passeport ordinaire, la justification de l’identité de la nationalité et de la capacité de la personne requérante. Ce décret, en son article 2, exige ainsi, avant toute délivrance de passeport, comme dans tous les pays d’ailleurs, que la personne délivre un certificat de nationalité.
C’est pour alléger la procédure qu’on ne demande pas généralement le certificat de nationalité. Et en cas de doute, on est obligé d’appliquer le décret. De voir si la personne est véritablement de nationalité sénégalaise et, dans ce cas de figure, on est obligé de lui demander de présenter le certificat de nationalité. D’ailleurs, le décret l’exige à tout le monde. Mais, dans le cadre de l’allégement de la procédure, il n’est pas nécessaire, quand il n’y a pas de doute, de demander le certificat de nationalité. Maintenant, en cas de doute, que ça soit sur le nom, le lieu de naissance, que ça soit sur l’accent ou autre chose, ce sont ces appréciations qui nous permettent d’appliquer le décret et de demander que la personne fournisse le certificat de nationalité.
C’est une disposition légale. Avec les cas de jugements récents aussi, on est obligé d’appliquer le décret. Comme je l’ai dit, plusieurs cas de fraude passent par les jugements. Au Sénégal, l’état civil n’est pas fiable, car les gens n’ont pas la culture de déclarer tôt les enfants. Certains font également des jugements pour diminuer leur âge, alors que c’est interdit, c’est illégal. Et au Sénégal, des étrangers profitent souvent de ces jugements pour obtenir des papiers sénégalais illégalement. En effet, notre passeport permet de voyage dans certains pays comme le Maroc, le Congo-Brazzaville, etc., sans un visa. Et des non Sénégalais veulent en profiter. On a récupéré beaucoup de passeports sénégalais délivrés à des étrangers. Rien que l’ambassade de France nous a envoyé, récemment, 99 passeports sénégalais détenus par des étrangers. Contrairement à la carte d’identité qui est nationale, le passeport, lui, est international. C’est pourquoi, avec aujourd’hui la montée du terrorisme dans monde où les gens voyagent avec de faux papiers, on est tenu de protéger ce document. C’est un document à protéger, un pays à protéger.
Etes-vous au courant qu’au sein de la Dpetv, il y a des intermédiaires qui demandent de l’argent au citoyen pour obtenir le passeport ?
Oui, on est au courant de ça. On est en train de lutter de toutes nos forces contre ces agissements. C’est un phénomène qu’on essaye de combattre. Pour ce qui me concerne d’ailleurs, on a donné des instructions pour que ces personnes que nous avons identifiées ne puissent plus accéder au service. Vous avez vu qu’à l’entrée, avant de franchir la porte, il y a eu un contrôle pour vous-même. C’est la même chose pour tout le monde. Les gens qui sont reconnus comme faisant ces agissements, on leur a complément interdit l’accès au service. Malheureusement, ce sont les Sénégalais qui ne nous aident pas. Ils veulent toujours passer par des raccourcis. Le problème, c’est que le Sénégalais aime passer tout le temps par les intermédiaires pour acquérir illégalement ce dont il a droit.
Et qui sont ces gens qui jouent les intermédiaires ?
Mais ce sont des Sénégalais comme vous et moi !
Des civils ?
Oui, ce sont effectivement des civils qui sont là aux alentours. Quand on leur a interdit l’accès au service, ils sont restés aux alentours, aux Impôts et domaines. Même quand vous partez aux Impôts et domaines, ces gens vous interpellent.
Je les ai interrogés. Et certains d’entre eux m’ont dit qu’ils sont en collaboration avec certaines autorités de la Dpetv pour accélérer les demandes, parce qu’eux seuls ne peuvent pas faire ce travail. N’est-ce-pas ce qui veut dire que certains de vos agents collaborent avec eux ?
Personnellement, je n’en connais pas. Et si je vois un de mes agents qui collabore avec eux, je le sanctionne systématiquement. Maintenant, il y a des choses que je ne peux pas maitriser à partir d’ici. Mais si j’ai des preuves qu’il y a un agent qui se livre à ces pratiques, en collaboration avec un rabatteur, il est automatiquement sanctionné.
Est-ce qu’il est arrivé que vous sanctionniez un agent, parce qu’il a collaboré avec ces intermédiaires ?
C’est déjà arrivé. En fait, pas forcément des agents qui collaborent avec les démarcheurs, mais des agents qui, dans l’exercice de leurs fonctions, n’ont pas respecté les procédures ou les consignes générales qui leur sont données, y compris ces genres de chose. Il y a eu des agents qui ont été sanctionnés pour ça. Quand il y a un manquement, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou du statut qui les régit, on les sanctionne. Je ne vais pas viser spécifiquement la collaboration avec les rabatteurs, le manquement à une consigne générale ou quelque chose d’autre. Je ne vais pas spécifier, parce qu’il y a des choses qui sont internes. Je peux vous dire tout simplement qu’un agent qu’on prendrait en train de s’adonner à ces choses-là, sera sanctionné. Maintenant, il y a des agents qui ont été sanctionnés.
Quels genres de sanction ?
Il y a plusieurs types de sanction. Il y a des agents qui ont été mutés, d’autres ont fait l’objet d’une mesure de consigne, d’autres de mesure d’arrêt simple, d’arrêt de rigueur, etc. Il y en a eu.
Et depuis quand vous avez pris ces dispositifs pour lutter contre ces pratiques ?
Depuis toujours. Mais, malheureusement, le Sénégalais continue à faire confiance à ces gens. Et souvent passer par ces gens vous prend plus de temps d’avoir le passeport que quand vous déposez vous-même. Actuellement, pour les dépôts, nous en sommes à trois et quatre jours, c’est-à-dire quand vous déposez, au bout de trois ou quatre jours, vous avez votre passeport. Mais il y en a qui veulent passer par ces gens-là et, au bout de deux mois, ils prennent leur argent et les gens les courent derrière pendant des mois. Ce sont des choses qui arrivent souvent et ils viennent se plaindre ici. Je ne comprends pas la raison de cette attitude sénégalaise de vouloir passer tout le temps par des raccourcis, pour obtenir ce qu’on peut avoir légalement. On a sensibilisé, on a parlé, mais jusque-là, ce sont des pratiques qui demeurent. Les dernières mesures qu’on a prises, c’est d’identifier certains d’entre eux, parce qu’on ne les connait pas tous. En tout cas, ceux qui ont été identifiés, on leur interdit l’accès au service.
Est-ce qu’avec ces pratiques, on peut dire qu’il y a la corruption à la Dpetv ?
La corruption ! Je ne peux répondre pour dire s’il y a la corruption ou pas. En tout cas, l’agent qu’on aura pris en train de se livrer à ces pratiques sera sanctionné à la hauteur de la faute qu’il aura commise. C’est tout ce que je peux dire par rapport à ça. Et je pense que c’est valable pour tous les services de la police. Maintenant, s’il y a la corruption ou non, ça je ne peux pas me prononcer là-dessus. Certainement, ce sont des choses qui ne peuvent pas manquer d’avoir lieu dans tous les services publics. Ce sont des choses qui peuvent arriver. Maintenant, il s’agit, pour le responsable, s’il est informé et s’il a les preuves, de faire en sorte de sévir contre cet agent. Je vous ai dit tout à l’heure que je ne vais pas vous dire spécifiquement s’il collabore avec tel ou parce qu’il a été corrompu, parce qu’il a pris l’argent de tel ou qu’il a fait de la rétention de document par rapport à tel. Je ne peux pas spécifier. Je dis tout simplement que tout agent qui sera pris à ces types d’agissement sera puni à la mesure de la faute qu’il aura commise.
ABBA BA