Publié le 5 Jul 2023 - 14:50
SITUATION POLITIQUE DU SÉNÉGAL

Farce démocratique ou dialectique sociétale

 

Je disais dans une de mes précédentes sorties que le Président de la République était exposé à deux mines qui pouvaient provoquer une déflagration violente : l’annonce de sa candidature et le cas de SONKO.

Avec la décision qu’il vient de prendre, de ne pas briguer un troisième mandat, il vient de désamorcer assez brillamment la première mine.

Toutefois, malgré toute la joie qui m’anime à travers cette nouvelle, je ne peux m’empêcher de rester perplexe et de me poser la question que beaucoup de personnes doivent se poser : est-ce que Macky Sall avait prévu de ne pas se présenter ou est-ce que ce sont les événements qui se sont passés qui l’ont fait reculer ?

Si c’est la première hypothèse qui est la bonne, cela veut dire que nous avons tous été victime d’une grosse farce démocratique avec un Monsieur qui savait qu’il n’allait pas se présenter, mais qui a laissé le pays s’enliser dans une crise qui a provoqué la mort de plusieurs jeunes sénégalais et la destruction de plusieurs biens publics.

En effet, depuis 2021, le président de la République n’a cessé d’envoyer des messages forts allant dans le sens de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Il a d’abord subitement changé son discours, en passant du « non, je ne compte pas me présenter » au « ni oui, ni non ». C’est ce premier changement dans la posture qui a commencé à mettre le feu aux poudres. S’il savait qu’il n’allait pas se présenter, pourquoi changer subitement de discours et créer une polémique ex-nihilo ?

Par la suite, il a invoqué l’argument juridique de sa candidature en interprétant les articles de la Constitution dans le sens de la légalité de sa candidature, en cela appuyé par des experts venus du monde entier. Pour éliminer définitivement le risque de ne pas avoir la légitimité juridique, il a réussi, dans le cadre de « son dialogue national », à faire accepter à « l’opposition » la possibilité de présenter sa candidature et de laisser le Conseil Constitutionnel, lui aussi « verrouillé », décider. S’il savait qu’il n’allait pas se présenter, pourquoi se donner tant de peine pour valider une candidature qui n’aura jamais lieu ?

Une fois la dimension légale adressée, il a entamé une stratégie de « terreur de la pensée libre », en sanctionnant sévèrement tous ceux qui osaient déclarer qu’il n’avait pas le droit de se présenter et en récompensant grassement tous ceux qui clamaient haut et fort qu’il avait le droit de le faire. Cette stratégie a provoqué sa rupture avec beaucoup de ses compagnons de la première heure. S’il savait qu’il n’allait pas se présenter, pourquoi aller jusqu’à perdre ses amis de longue date et prendre le risque de désagréger son parti adolescent ?

Puis, survinrent les violences liées à la question de Ousmane SONKO. En 2021, lorsqu’il a voulu emprisonner Ousmane SONKO, pour viol et menaces sur la personne de la dame Adji SARR, il y a eu une première série d’émeutes qui a provoqué 14 morts et il a dû reculer, d’une certaine façon. Bis repetita en 2023, avec la décision de condamnation du même SONKO à une peine de 2 ans ferme, le rendant ainsi inéligible aux prochaines élections présidentielles. Le verdict prononcé à l’encontre de ce dernier serait le second du genre depuis…Socrate : corruption de la jeunesse !!!!! Mêmes causes, mêmes effets, reprise des émeutes, avec cette fois à la clé une trentaine de morts et un écho qui commence à dépasser nos frontières. S’il savait qu’il n’allait pas se présenter aux élections, pourquoi attendre qu’il y ait tant de morts avant de déclarer sa non-candidature ?

Au regard de ce qui précède, si l’on considère que le président de la République savait qu’il n’allait pas se présenter aux prochaines élections présidentielles, alors nous aurions tous été victimes d’une grosse farce démocratique, de très mauvais goût, par quelqu’un qui aurait utilisé notre maturité démocratique pour avoir une sortie majestueuse en provoquant une tension artificielle ?

Aurions-nous été manipulé par quelqu’un qui savait où il allait, mais qui avait besoin de créer tout ce scénario digne d’Hollywood, pour pouvoir sortir de la scène politique sénégalaise en toute sécurité et avec une aura qu’aucun Président sénégalais n’a jamais eu ? En effet, avec cette déclaration, beaucoup de Sénégalais, avec leur facilité déconcertante à faire preuve d’amnésie volontaire, vont oublier tout ce qui s’est passé avant cette déclaration, depuis 2012, et considérer que le président de la République n'a plus de comptes à rendre à personne, cette décision le mettant hors de portée de la justice de nous autres, commun des mortels. Avec toutes les félicitations qu’il recevra de la communauté internationale, il est évident qu’il sera très difficile de lui chercher des poux…

Si maintenant, nous envisageons la seconde hypothèse, à savoir qu’il avait bien l’intention de se présenter aux prochaines élections présidentielles, mais qu’il a cédé sous la pression populaire, cela voudrait dire que le Sénégal a su déployer une dynamique de dialectique qui a provoqué une situation conflictuelle pour arriver à une situation meilleure. En effet, cette hypothèse voudrait dire que nous sommes capables de déclencher des mécanismes de conflits « réparateurs » qui permettent de réguler notre système social et démocratique sans l’ébranler.

Je ne puis m’empêcher de penser à la situation qui prévaut en France actuellement (avec la mort du jeune Nahel, paix et salut sur lui) et dans la plupart des pays qui sont soumis à ce genre de crises sociales. Dès que les émeutes démarrent, elles s’étendent sur plusieurs jours, voire des mois et laissent souvent des marques difficiles à effacer. Tandis qu’au Sénégal, elles durent en général une journée, maximum deux ou trois et après, tout le monde reprend sa vie normale le lendemain, comme si le conflit ne servait qu’à reconfigurer les lignes et à créer à nouveau cet équilibre qui nous vaut la réputation d’îlot de démocratie. Avec le président WADE, ce fut le même procédé, avec la fameuse date du 23 juin où, en un jour, le peuple a su faire reculer le président avec une violence jamais soupçonnée.

Avec toujours cette hypothèse, toutes les questions posées dans la première hypothèse trouvent leurs réponses. En effet, le président de la République aurait tout simplement fait une analyse très lucide de la situation, en toute intégrité et admis que sa volonté de briguer un troisième mandat n’avait pas la faveur de son peuple, qui a montré toute sa détermination à faire front. Il aurait également imaginé les conséquences de sa candidature, non seulement sur la réputation du Sénégal (de par sa faute historique), mais également sur sa propre réputation en tant qu’individu. Il se serait dit que, même s’il faisait un troisième mandat, qu’est-ce que les Sénégalais et le monde entier retiendraient de lui ? La trahison de sa propre parole dite et écrite ? La mort supplémentaire de plusieurs autres Sénégalais à coup sûr ? Il aurait sondé, by all means necessary, le pouls du peuple et il aurait vu que cette victoire serait une victoire à la Pyrrhus qui, peut-être, ne valait pas la peine d’être acquise.

Il convient également de ne pas occulter le rôle stratégique et décisif du pouvoir religieux qui, même s’il est parfois accusé de connivence avec le pouvoir, joue un rôle de régulation extrêmement important, en sachant tenir, dans le secret et la discrétion qui le caractérisent, le bon discours aux dirigeants tentés de dépasser la ligne rouge et en même temps calmer les ardeurs des extrémistes.

Ainsi, par ce mécanisme dialectique, nous aurions réussi à créer la situation que nous vivons actuellement, où j’entends déjà dans les médias ceux qui criaient urbi et orbi que Macky SALL était leur seul candidat, dire que tout le monde est soulagé par cette décision du Président de la République. En effet, cette décision a créé une situation de soulagement collectif irrépressible, même de la part de ceux qui attisaient le feu en poussant le Président de la République à se présenter.

Il s’agit d’une décision, certes arrachée au Président, mais qui le grandit lui-même et tout le Sénégal et qui magnifie notre modèle démocratique. Cela voudrait dire que nous sommes un peuple capable de dire non quand il le faut et, finalement, de manière productive, et que nous avons des dirigeants qui, malgré tout ce que l’on peut leur reprocher, ont des limites et un instinct de survie pour notre patrie.

Le président SENGHOR a volontairement quitté le pouvoir, lorsqu’il a estimé ne plus être en mesure d’assumer ses responsabilités, le président Abdou DIOUF a accepté la première alternance après 40 ans de pouvoir, le président Abdoulaye WADE a accepté sa défaite en 2012, malgré sa volonté de briguer un troisième mandat et enfin, Macky SALL sera le premier Président à quitter le pouvoir à la fin de ses mandats légaux.

En conclusion, il serait intéressant d’approfondir cette seconde hypothèse, plus fertile et plus intéressante pour l’avenir de notre nation, plutôt que de glorifier la première hypothèse, comme le font certains, dont la confirmation serait un véritable camouflet pour notre pays.

Dakar, le 04 juillet 2023

Abdoul Alpha DIA

PS : S’agissant de la seconde mine à désamorcer, le cas de Ousmane SONKO, nous allons donc faire confiance à nouveau au génie des Sénégalais et de leur dirigeant…

 

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