La chronique du Kankourang
Le Kankourang à Mbour, en septembre, n’a pas son pareil sur toute l’étendue du territoire sénégalais. Plus populaire et festif, on n’en trouve nulle part. Une belle appropriation d’un patrimoine qui affirme l’identité du peuple socé, qui renforce ainsi sa cohésion. L’ambiance carnavalesque est aussi un excellent stimulant à l’attractivité de la capitale de la Petite Côte, en cette période estivale.
Cependant, le mythique personnage s’inscrit allégrement dans le registre des paradoxes. Aussi populaire qu’il soit, le Kankourang demeure une énigme. Il est sujet à d’innombrables interrogations qui restent, à dessein, sans réponses. Son ésotérisme de bon aloi préserve ainsi les secrets intimes d’une communauté qui compte ainsi évoluer dans ses sillons séculaires. Il incarne un mystère qui échappe à la masse des spectateurs et autres profanes qui le considèrent comme un banal phénomène de société.
Le terrible masque, qui fait fuir, draine une nuée de spectateurs enjoués. Le redoutable ennemi des forces maléfiques provoque la joie et assure l’animation partout où il passe. La sécurité qu’il prétend établir dans la localité contraste avec ce sentiment de crainte qui résulte de violences et comportements peu amènes de ‘’kintang’’ peu orthodoxes. Des quidams starisés pour un court mois, sans doute enivrés par les miasmes d’une folklorisation à outrance. Aux nuisances de la folle foule s’ajoute la débauche qui s’empare des jeunes livrés à eux-mêmes.
Figurant sur la liste du patrimoine de l’humanité, comme un masque accroché dans un sinistre musée, cette valeur universelle exceptionnelle mérite un peu plus d’égards de la part des autorités publiques locales. En effet, ce patrimoine vivant doit sa survie à la seule volonté de ses dépositaires. En dépit de son label mondial, il reste à la charge de sa communauté d’origine et de la collectivité mandingue. Enlisé dans un espace urbain, il en subit les contraintes.
Qui plus est, l’enseignement traditionnel s’évapore devant la jeunesse criarde des circoncis incapables de subir les épreuves, les rigueurs et la philosophie de l’initiation. On assiste hélas à la dégénérescence d’un pilier institutionnel qui façonne la personnalité de l’être et lui attribue une conscience sociale. Le volet spirituel s’effiloche alors que la chaine de transmission des savoirs est en rupture avec cette génération peu encline à reprendre le flambeau de l’authenticité. De mythe, l’avenir du Kankourang présage d’une destiné aux contours de masque de foire.
Pourtant bien emmitouflé dans son costume de fibres, le Kankourang évoque les lointaines origines perdues dans le Gabou, le royaume manding d’occident. Il rappelle les pérégrinations dans l’espace sénégambien d’un peuple fier et conquérant. Les sons du ‘’jambadong’’ qui rythment les processions et enflamment les ‘’souwrouba’’ nocturnes, libère l’énergie fantastique de guerriers sevrés de combats épiques. Les tambours réveillent les élans asymétriques de danseurs frénétiques qui piétinent un substrat culturel qui s’enracine dans les profondeurs de la tradition.
L’esprit des ancêtres hante le ‘’kouyan’’ qui incarne l’espace et les rituels initiatiques. Les paroles des maîtres-initiés révèlent une glorieuse histoire qui, depuis les âges anciens, repose sur les savoirs, la discipline et le respect des anciens. Les jeunes et fougueux ‘’kintang’’ se soumettent à la sagesse des vieux ‘’Kéba’’ perpétuant ainsi l’héritage de Tirimakhan et du légendaire Soundjata. Source intarissable de créativité l’événement est un réceptacle de la diversité des expressions culturelles du monde manding.
Le personnage haut en couleurs pourrait également inspirer les applications et jeux multimedia dont raffolent nos jeunes. Inféodé dans une culture qui a valu à la sous-région ouest- africaine ses lettres de noblesse, le Kankourang résiste vaille que vaille aux assauts de la modernité. Celle-ci, vue positivement sous l’angle de la continuité de la tradition, devrait inventer un système de médiation et d’interprétation du Kankourang. Au delà de ses fonctions sociales et des expressions artistiques qui découlent de l’évènement, le Kankourang est une véritable attraction touristique.
MADOU ENAK