‘’Les personnes qui ne sont pas persécutées n’ont pas le droit de rester sur notre territoire‘’

En prélude à la visite officielle de la chancelière allemande Angela Merkel à Dakar, prévue le 29 août 2018, l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne au Sénégal s’est confié à ‘’EnQuête’’. Ainsi, dans cet entretien, Stéphan Röken est revenu sur les enjeux économiques de cette visite, les axes de la coopération allemande au Sénégal, la question migratoire… Sans oublier la controverse sur le rapatriement des biens africains pris pendant la colonisation.
Après les présidents turc, français et chinois, la Chancelière allemande est annoncée à Dakar à la fin de ce mois. Dites-nous le contexte et le prétexte de cette visite officielle.
L’arrivée, au Sénégal, de notre chancelière, s’inscrit dans le cadre d’une série de visites en Afrique de l’Ouest. Après le Sénégal, elle se rendra au Ghana, puis au Nigeria. Elle a choisi le Sénégal pour envoyer un signal politique fort, pour dire que l’Allemagne apprécie le rôle joué par le Sénégal sur la scène internationale. Le Sénégal et l’Allemagne partagent des valeurs communes, notamment la question des droits de l’homme. Nous apprécions le rôle joué par le Sénégal à la Cour pénale internationale (Cpi), ses efforts de stabilisation en Gambie et dans toute la sous-région. Au Mali, par exemple, on est des partenaires, car tous les deux pays sont membres de la Munisma. C’est bien normal qu’il y ait un échange sur ces sujets de la sous-région entre la chancelière et le président de la République Macky Sall.
Si vous devriez qualifier cette visite de la chancelière au Sénégal, quelle est l’expression qui sied le plus dans le jargon des diplomates dont vous en êtes un : une visite d’Etat, officielle ou historique ?
(Sourires) Bien sûr, il y a des définitions protocolaires et politiques. Ce n’est pas une visite historique. Il faut éviter l’inflation des visites historiques. C’est une visite officielle très importante, mais pas d’Etat, parce la chancelière est chef du gouvernement et non le chef de l’Etat. Le plus important, c’est la substance des questions abordées. Je n’ai pas vérifié les archives, mais il faut dire que c’est la première visite d’un chancelier de la République fédérale d’Allemagne au Sénégal.
Mais l’autre raison qui motive cette visite, c’est la présence économique un peu faible. On est plus présent dans les pays anglophones de la région. Mais, avec cette visite, on espère un peu inverser la tendance, dans la mesure où la chancelière sera accompagnée par des hommes d’affaires allemands pour voir les possibilités d’intensifier les échanges commerciaux entre les deux pays.
Justement, peut-on s’attendre, à cet effet, à la signature d’accords économiques, voire de défense au cours de cette visite ?
Peut-être il y a des accords économiques, mais c’est souvent dans les derniers jours que les entreprises et ministères concernés finalisent et signent des accords. Le plus important, c’est l’échange sur la politique extérieure, l’économie et la migration, bien sûr.
Quels sont les axes sur lesquels reposent la coopération allemande au Sénégal ?
La coopération au développement qui est mise en œuvre par le gouvernement allemand se concentre sur le secteur de l’énergie : l’efficacité et les énergies renouvelables et à leur accès. Ce qui se réalise par la Kfw et le Ztz. Depuis deux ans, on a aussi un deuxième volet pour créer de l’emploi en sensibilisant les jeunes sur les opportunités économiques ici au Sénégal.
La présence allemande au Sénégal se remarque aussi à travers ses fondations et l’Institut Goethe. Quelle est la pertinence et l’apport de ces structures germaniques au Sénégal ?
Je suis très heureux qu’il y ait une forte présence des fondations politiques allemandes ici. Mais il faudrait l’expliquer parce que le concept des fondations politiques n’est pas connu dans beaucoup de pays. L’essentiel du travail de ces fondations, aussi bien en Allemagne qu’à l’extérieur, concerne l’éducation civique. Ces fondations, il convient de le rappeler, sont affiliées à des partis politiques allemands. La Fondation Konrad Adenauer est liée à l’Union chrétienne démocrate (Cdu), la Fondation Friedrich Ebert (social-démocratie), la Fondation Rosa Luxemburg (socialisme), la Fondation Friedrich Naumann (libéralisme) et la Fondation Heinich Böll (pour les verts). Et chaque fondation a sa particularité par rapport aux partis politiques allemands auxquels elle est affiliée, non pas de manière structurelle, mais idéologique.
Ce que je trouve intéressant dans la démarche de ces fondations, c’est que leurs programmes sont indépendants. Moi, je représente le gouvernement et, par conséquent, je ne suis pas impliqué dans la mise en ouvre de ces programmes. Elles les mettent en œuvre de manière indépendante avec leurs partenaires sénégalais. Et toutes ces fondations ont la tâche de travailler sur des questions importantes telles que le développement durable, la bonne gouvernance, le dialogue interreligieux. Toute chose qui est très importante, dans la mesure où nous voyons de plus en plus, sur la scène internationale, l’émergence de régimes autocrates. Mais l’Allemagne et le Sénégal pensent qu’une démocratie vivante a besoin d’être nourrie et accompagnée de débats, de discussions et de dialogue. Moi, par exemple, je ne suis toujours pas d’accord avec telle ou telle fondation parce qu’elles ont des opinions très fortes. Mais je pense qu’il est toujours important d’écouter les arguments de l’autre et de savoir ce qu’il pense pour trouver un chemin. Ce qui est le fondement même du système démocratique. Et, à la fin, je crois qu’un système démocratique aura toujours de meilleurs résultats qu’un système autocrate.
Que répondez-vous à ceux qui perçoivent ces fondations et l’Institut Goethe comme étant des outils de domination culturelle et idéologique, voire des relais impérialistes ?
Si vous prenez le programme de notre institut culturel, c’est toujours un programme élaboré avec les partenaires et acteurs culturels sénégalais. C’est une rencontre entre deux cultures : allemande et sénégalaise. Ce n’est pas l’idée de dominer quelqu’un où une société. Cela est révolu. C’est un échange d’idées, une rencontre des cultures et c’est en quelque sorte le ciment même de notre idéologie qui veut une société ouverte où on peut librement discuter des idées et opinions différentes. Dans une atmosphère de confiance, on peut aussi discuter des questions difficiles. Par exemple, le président Emmanuel Macron, qui a ouvert le débat sur le rapatriement des biens culturels de la colonisation en France. C’est un sujet qui fait l’objet aussi de beaucoup de débats en Allemagne. Au centre de Berlin, on va bâtir l’ancien château qui va accueillir les collections des différents musées. On discute et dans les mois qui viennent, on va voir, avec les partenaires africains, la meilleure façon d’exploiter les biens pris pendant l’époque coloniale. C’est une question très délicate autour de laquelle il y a des opinions très diverses. Mais, dans un cadre de confiance, je suis sûr qu’on va trouver la meilleure formule.
Ces dernières années, le débat sur la migration refait surface en Europe. Quelle est la politique migratoire de l’Allemagne en matière de lutte contre l’émigration clandestine ?
Nous essayons de définir une politique commune en Europe. Mais c’est difficile parce qu’il y a des notions différentes et des débats très vifs. Dans chaque pays européen, la question migratoire est d’actualité. Notre position, c’est d’accueillir les demandeurs d’asile. Mais les personnes qui ne sont pas persécutées, qui ne sont pas des réfugiées n’ont pas le droit de rester sur le territoire allemand. Il faut tout faire pour éviter une émigration irrégulière et dangereuse. Pour cela, nous avons opté de travailler avec le gouvernement du Sénégal, en faisant comprendre aux jeunes qu’il est possible de réussir ici aussi. La réussite économique ne se fait pas qu’en Europe ou en Amérique du Nord.
De plus en plus, l’Afrique est convoitée par des puissances étrangères, non pas seulement pour ses ressources naturelles, mais pour son influence sur la scène internationale. Sur le plan diplomatique, beaucoup de pays n’hésitent pas à demander publiquement le soutien politique des pays africains lors des votes dans les instances internationales. L’Allemagne serait-elle dans une telle posture ?
Bien sûr ! Je trouve normal de chercher des partenaires pour défendre une conviction politique. En ce moment, nous constatons, sur le plan international, un danger pour le système multilatéraliste et le système des Nations Unies. Chez nous, en Allemagne, on est convaincu que le système international doit s’appuyer sur la force du droit et non sur le droit du plus fort. Pour cela, nous sommes prêts à défendre le système multilatéraliste en ayant plus de partenaires en Afrique. Il est vrai et normal que chaque pays défend ses intérêts nationaux, mais nous pensons que la défense des intérêts nationaux serait plus efficace dans un système et un cadre plus global. Nous avons un peu peur que les événements de ces dernières années aient ébranlé ce système multilatéral. Mais nous sommes en train de chercher des partenaires pour que demeure un système multilatéral et efficace.
Ça fait un an depuis que vous êtes en poste au Sénégal. Comment appréciez-vous ce pays ?
Je pense que j’ai eu de la chance d’être nommé ambassadeur au Sénégal, parce que la ‘’Téranga’’ de ce pays (l’hospitalité) facilite beaucoup la vie. Auparavant, j’ai été ambassadeur à Cotonou (Bénin). Mais pour un Européen, le climat est plus agréable ici que dans certains pays.
Ne fait-il pas un peu chaud au Sénégal ?
C’est juste un petit temps. C’est éphémère. Le reste de l’année est agréable. Dans le cadre du travail, nous avons d’excellents rapports avec les Sénégalais et des relations étroites. Pour les autres pays, à savoir le Cap-Vert, la Gambie et la Guinée-Bissau, il est important de les visiter. Je suis très content d’être en poste dans un charmant pays comme le Sénégal.
PAR MAMADOU YAYA BALDE