Le deux poids deux mesures de Pastef

Justice aux martyrs, reddition des comptes, silence sur les fillettes tuées dans le bus de Yarakh. Compte rendu d’une journée chargée de polémique.
Ce n’était pas l’ordre du jour de la session extraordinaire convoquée par le président de la République. Mais le sujet était au cœur des discussions, hier, à l’Assemblée nationale. Ils ont été nombreux, les députés de la majorité qui, comme à leur habitude, ont continué à faire pression sur la justice dirigée par un ministre que le président de la République, membre de la même mouvance, a porté à la tête de ce département stratégique.
“Comme les jeunes le disent, justice par force, justice par force, justice par force”, clamera Guy Marius Sagna. Pour lui, ce n'est pas de la pression, c’est surtout une invite à la célérité.
Connu pour sa proximité avec le Premier ministre Ousmane Sonko, le député Babacar Ndiaye a embouché la même trompette en appelant avec véhémence la justice à aller plus vite. “On nous a trop chanté que le temps de la justice n’est pas le temps des hommes… Il est temps que le temps de la justice soit le temps des hommes, parce que la justice est rendue par des hommes et pour les hommes”, peste le député de la banlieue.
Selon les députés de Pastef, la prudence et la sérénité seules ne sauraient justifier les lenteurs. Ils donnent en exemple le cas du n°9 ; ceux qui avaient pris un enfant pour en faire un bouclier ; entre autres exemples qui, pour eux, relèvent de la flagrance.
Guy Marius Sagna de fulminer : “Les Sénégalais commencent à s’inquiéter parce que ceux qui ont tué, ceux qui ont détourné les deniers publics viennent aujourd’hui nous dire que c’est du maintien de l’ordre. Nous n’allons pas l’accepter.”
Le garde des Sceaux tente de rassurer
Le ministre de la Justice a tenté de rassurer les partisans du pouvoir. Pour lui, le gouvernement est en train de faire le nécessaire pour faire juger les présumés coupables d’atrocités. “Le procureur général a été invité à bien vouloir ouvrir une enquête sur tous ces événements”, a-t-il martelé.
Selon le garde des Sceaux, s’il y a eu de la prudence dans le lancement des poursuites, c’était surtout à cause des incertitudes dues à la loi d’amnistie et aux initiatives pour la contourner. C’était, selon lui, une sage attitude pour éviter que des procédures soient frappées de nullité. “On ne pouvait pas initier des poursuites sans avoir cette visibilité. Dans les poursuites que nous avons fait déclencher, nous avons privilégié les cas de crimes contre l’humanité, de meurtre, d’assassinat, de torture et autres mauvais traitements dégradants. Nous faisons tout pour y aller de manière sûre, dans le but de mener des procédures qui aboutissent”, a justifié le garde des Sceaux.
Prudence pour éviter les vices de procédure
Selon lui, ce travail est loin d’être facile. Le ministre a estimé que c’est mieux que de prendre le risque d’y aller avec précipitation et de se heurter à des vices de procédure. “On ne peut pas se permettre de traiter des faits d’une telle gravité et que dans la précipitation qu’on puisse se permettre de commettre des erreurs susceptibles de mener vers des décisions défavorables. En dehors de cette nécessité de répondre à ce qui semble être une demande sociale et surtout au respect de la légalité, il faut faire en sorte que les dossiers aboutissent, c’est-à-dire que les coupables payent pour leurs actes”.
Tout comme pour les “martyrs”, les députés de la majorité ont aussi réclamé justice dans les affaires de présumés détournements de deniers publics.
Silence sur les manifestants arrêtés pour la mort des deux filles de Yarakh
Les grands oubliés dans cette demande pressante de justice, ce sont surtout les filles tuées dans le bus de Yarakh. Rarement, leur cause est défendue dans cette affaire de justice pour les victimes de la crise préélectorale.
Pourtant, si la plupart des dossiers nécessitent des enquêtes pour ne serait-ce que trouver des suspects, dans ce dossier, des suspects ont déjà été interpellés et envoyés en prison par la Section de recherches de Colobane, avant de bénéficier de l’amnistie. La question, c’est de savoir si ces derniers seront interpellés à nouveau pour que justice se fasse dans ce dossier ?
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OFNAC
Serigne Bassirou Guèye et le karma
Les lois sur la déclaration de patrimoine et la suppression de l’Ofnac sont passées hier sans grande difficulté. Les députés de l’opposition ont juste regretté la précipitation qui a poussé à faire passer ces textes en procédure d’urgence.
Pour Tafsir Thioye, il y a de lourds soupçons que tout cela soit motivé par la volonté de remplacer un homme. De l’avis du député libéral, il n’était point besoin de supprimer l’Ofnac pour parfaire la loi de 2024. À l’en croire, en optant pour cette voie, Pastef voulait juste régler ses comptes avec Serigne Bassirou Guèye nommé par l’ancien président pour un mandat de six ans.
En 2012, rappelle M. Thioye, Macky Sall avait fait la même chose pour remplacer ceux qui étaient au Conseil économique et social. “Aujourd’hui, on nous appelle en session extraordinaire pour faire partir le président actuel. Ironie de l’histoire, c’était le même Bassirou Guèye qui était conseiller de la ministre d’alors qui était venue défendre le projet”, déclare l’ancien porte-parole du PDS. Il souligne qu’une simple loi de modification aurait suffi pour corriger les failles.
Comme à son habitude, la présidente du groupe parlementaire de l’opposition, Aissata Tall Sall, n’a pas mâché ses mots pour accuser la majorité. Pour elle, il n’y a aucun doute que le régime veut juste changer un homme, qu’il a légiféré pour un homme. “L’urgence, ce n’est pas pour voter une nouvelle loi. C’est pour voter une nouvelle loi et dégager Serigne Bassirou Guèye. Voilà la vérité. Vous n’avez qu’à l’assumer”, peste la responsable politique de l’opposition.
Bassirou Guèye, renchérit-elle, a un mandat de six ans. Et on a voulu le dégager. Elle enchaîne : “On a voulu le dégager comme on veut dégager les institutions, comme on veut dégage la justice, comme on veut dégager le Conseil constitutionnel, comme on veut dégager les institutions, comme on veut dégager l’opposition. Alors dégagez, dégagez, dégagez, jusqu’au jour où le bon Dieu vous dégagera du Sénégal.”
Si beaucoup de députés de Pastef ont essayé de nier avoir voté ce texte pour des raisons personnelles, Guy Marius Sagna, lui, a tenu à assumer que l’une des raisons qui le poussent à voter ce texte, c’est bien parce qu’il estime que Bassirou Guèye n’aurait jamais dû être à la tête d’un organe chargé de lutter contre la corruption. Il peste : “Ce que je dis n’engage que moi. J’ai voté cette loi pour deux raisons. D’abord, parce qu’il y a des changements positifs importants. Ensuite, qui est Serigne Bassirou Guèye ? C’est lui qui avait produit du faux pour charger Ousmane Sonko. Quand il était procureur, l’ancien président l’utilisait pour bloquer des dossiers transmis par l’Ofnac. Celui-là, je ne vais pas lui laisser un organe en charge de lutter contre la corruption.
Brèves La justice aux caprices de Branco Lors du face-à-face avec le ministre de la Justice hier, le député Guy Marius Sagna est revenu sur le dossier Juan Branco. Le souverainiste s’est voulu avocat de l’avocat français. Il a lu son interpellation aux autorités judiciaires. “Cela fait un an que la justice espagnole demande aux autorités sénégalaises de leur transmettre des informations relatives à l’enlèvement de l’avocat Juan Branco en Mauritanie et son incarcération à Dakar. Est-ce vrai que malgré plusieurs relances, aucune information n’a été mise à la disposition de la justice espagnole ?”, a-t-il demandé. Le garde des Sceaux a confirmé avoir reçu une correspondance des autorités judiciaires espagnoles, mais contrairement à l’interpellation, la demande a été reçue en avril dernier. “Nous avons répondu le 19 mai pour leur dire deux choses. D’abord, le dossier n’est pas complet, parce qu’il n’y a pas de plainte. La plainte ne nous a pas été transmise. Ensuite, nous leur avons demandé de nous remettre la demande en version française, puisqu’ils nous ont donné une lettre en espagnol”, a-t-il réagi, soulignant que tout cela est fait dans le cadre de la coopération d’entraide judiciaire entre les deux pays. La question juridique, c’est pourquoi la justice sénégalaise aurait à se justifier devant les autorités espagnoles, pour des faits relevant de la justice pénale ayant eu lieu au Sénégal et susceptibles de concerner des autorités sénégalaises ? Cette démarche néocoloniale passe mal en travers la gorge de certains Sénégalais. Tafsir Thioye détruit Amadou Ba Le juriste de Pastef aimait bien mouiller les députés de l’opposition pour prétendre que s’il y a échec dans la censure de la loi portant règlement intérieur, ce n’était pas de la faute exclusive de Pastef. Car, soulignait-il, la loi était menée de manière collégiale avec toutes les obédiences composant le Parlement. Il aimait citer Aissata Tall Sall pour le compte de l’opposition, Tafsir Thioye pour les non-inscrits. Ce qu’Amadou Ba avait volontairement dissimulé, c’est que les dispositions qui ont le plus suscité la polémique, selon Tafsir Thioye, relevaient de son initiative. “Amadou Ba, il faut arrêter de faire cavalier seul. Ce n’est pas bien. Quand on a fait le règlement intérieur, vous avez été le premier à sortir pour dire que cette loi a été faite avec Tafsir Thioye et Aissata Tall Sall. Mais vous, quelle est votre responsabilité dans ce qui a été rejeté ? Pourtant, tout ce qui nous est arrivé, c’est à cause de vous. Et on vous avait averti. On vous avait dit que ce n’est pas bon, mais vous vous êtes entêté. Il faut arrêter de faire cavalier seul”, charge M. Thioye qui réagissait à des propos de son collègue. |
Mor AMAR