Publié le 30 Aug 2021 - 18:38
TÉMOIGNAGES GLAÇANTS DU NAUFRAGE AU LARGE DE SAINT-LOUIS

‘’C'était la panique totale dans la pirogue’’

 

Trois jours après le drame en haute mer, les familles des victimes sont toujours sous le choc, dans la langue de Barbarie. De Guet-Ndar à Goxu Mbacc, en passant par Santhiaba, le voyage clandestin raté de jeunes Sénégalais et son lot de catastrophes est sur toutes les lèvres. D'ailleurs, un tour effectué dans certaines familles de victimes a permis à ‘’EnQuête’’ de recueillir de poignants témoignages. 

 

Combien de jeunes Saint-Louisiens étaient en partance clandestinement vers l'Europe, dans la nuit du jeudi au vendredi derniers ? Difficile de répondre avec exactitude à cette interrogation. Cependant, pour le moment, ce qui est sûr et vérifiable, c'est que la langue de Barbarie a payé le plus lourd tribut de victimes. 

Entouré de quelques membres de la famille, l'air absent, un des rescapés de la tragédie cherche les mots pour raconter l'enfer auquel il vient d'échapper. Le jeune Bilal Seck mesure sa chance d’être encore en vie.

Selon son témoignage, si un passager a pu survivre au naufrage, c'est uniquement grâce à l'aide de Dieu.  "Après plusieurs heures de navigation, l'équipage a constaté des ennuis techniques. L'eau entrait par différents endroits de la pirogue. Affolés, les gens criaient, car l'embarcation commençait à tanguer. C'était la panique totale dans la pirogue. Comme tout le monde avait perdu son sang-froid, la pirogue a commencé à couler, avant de disparaitre complètement. Et c'était le sauve-qui-peut. Chacun essayait de se débrouiller pour rester en vie. On s'est accroché à tout objet flottant. Certains ont survécu, tandis que d'autres ont péri. C'était très dur de voir des amis mourir et de ne pouvoir rien faire. On a vécu des moments d'apocalypse", raconte Bilal.

Pourtant, le jeune tailleur a déclaré n'avoir jamais été intéressé par un voyage clandestin. "C'est à la veille du départ qu'un ami, qui est malheureusement resté dans l'océan, m'a convaincu de venir avec eux. C'est ainsi que j'ai pris une somme de 200 000 F CFA que j'ai versée au passeur. Lui, également, est porté disparu", ajoute le jeune Seck.

Après quelques minutes de marche à travers les ruelles de Santhiaba, la famille Diaw nous accueille. Sur les lieux, le chef de famille, très affecté par la tournure des évènements, dit ne rien comprendre du voyage de son fils, Petit Diaw. "Il pouvait rester à Saint-Louis et gagner dignement sa vie. Déjà, il travaillait bien dans une entreprise de la place comme superviseur. Donc, j'ignore vraiment ce qui l'a motivé pour braver la mer. Ce voyage risqué, il l'a préparé en cachette. Dommage pour un jeune qui n'a laissé ni femme ni enfant de partir de cette façon. Il laisse derrière lui une famille complètement meurtrie. Le plus pénible dans cette affaire, c'est qu'il fait partie des portés disparus. On ne sait quoi faire. La famille vit dans l'angoisse en permanence, car on n’a plus d'espoir", se désole le vieux Laye Diaw très bien connu dans le milieu de la lutte de Saint-Louis.

La désolation du mari d’Oumy Ndiaye, seule femme du groupe de migrants 

Autre quartier, même triste ambiance. A Goxu Mbacc, Pape Demba Fall dit ‘’Vieux’’ n'en revient pas toujours que son épouse ait été du voyage et soit restée dans l’océan. Ses yeux rougis, ses gestes désarticulés, son lent débit sont autant de signes de fatigue due aux longues nuits qu'il vient de passer. A l'en croire, rien ne peut justifier les risques pris par sa femme qui voulait se rendre en Europe par pirogue. "Je ne parviens pas à expliquer pourquoi Oumy a laissé derrière elle ses petites filles dont l'aînée n'a que 8 ans et l'autre 4 ans seulement. Pourquoi émigrer clandestinement, alors qu'elle ne manquait de rien ? J'ai toujours fait de mon mieux pour la satisfaire. Pour ce voyage, elle a trompé la vigilance de toute la famille. Oumy Ndiaye ne devait pas faire cela à ses petits enfants", lance Pape Demba Fall au bord des larmes.

C'est avec désolation également que la maman de la victime a témoigné et regretté le geste de sa fille. "Oumy m’a dit qu’elle se rendait à Dakar pour chercher de la marchandise. Malheureusement, c'était pour nous endormir. Si j’avais été au courant de son voyage risqué, je m'y serais opposé, parce qu'elle gagne bien sa vie", a regretté Astou Diouf.

A côté, la famille de Bassirou Guèye pleure la perte d'un jeune et soutien de famille. Pour sa sœur Soda Guèye qui a porté la parole de la famille, en aucun moment son frère avait manifesté son souhait d'émigrer clandestinement. "Malgré son jeune âge, il venait en aide à la famille. Tout ce qu'il gagnait en tant que menuisier, il le partageait avec nous. Comme on ne connaissait rien de son projet de voyage, on n’a pas pu le dissuader. Maintenant, il est porté disparu, avec aucune chance de le retrouver en vie. Nous allons organiser les funérailles. Pour le moment, aucune autorité locale ou administrative n'a fait le déplacement pour réconforter les familles endeuillées. C'est dur, mais en bon croyant, on se remet à Dieu.  Je profite de l'occasion pour appeler à la jeunesse d’être plus patiente dans la vie. Parce que rien ne vaut la vie", déclare Soda Guèye. 

Ibrahima Bocar SENE (SAINT-LOUIS