Les victimes ne portent pas plainte
Le trafic sexuel des femmes emploie près de 25 000 personnes dans la région de Kédougou. Or, selon le président du Tribunal de Grande instance de Kédougou, les victimes dudit trafic ne portent pas plainte.
La traite des personnes (trafic sexuel) est un phénomène transnational très ancien. Au Sénégal, particulièrement dans la région aurifère de Kédougou, beaucoup de jeunes femmes s'adonnent à cette pratique. Une étude menée par le Centre de recherche et de sensibilisation sur la traite des personnes (CenHTRO) a indiqué que le recrutement pour le trafic sexuel utilise ou exploite les expériences de privation des survivantes et des victimes. Les résultats de l'enquête ont aussi révélé que 40% des victimes de la traite à des fins sexuelles ont estimé qu'on les a abusées ou qu'on leur a faussement promis des conditions de travail et de vie décentes.
L'étude a également montré que sur les 561 travailleuses du sexe interrogées à Kédougou et à Saraya, 56% ont entre 25 et 30 ans et 44% entre 18 et 24 ans. De même, 87% des travailleuses du sexe dans cette région sont célibataires ou divorcées et 72% ont au moins un enfant. Lors des échanges sur l’étude, le président du Tribunal de Grande instance de Kédougou a révélé que les victimes du trafic sexuel portent rarement plainte. "On n’a jamais vu une victime déposer une plainte pour dire qu'elle est victime de traite ou elle le fait par rapport à une autre infraction, pour vous dire que l'infraction ne se manifeste pas comme les autres", a-t-il révélé.
En effet, rappelle le président du Tribunal, lorsqu'il a été installé en 2018, en tant que président du tribunal de Grande instance de Saraya, le premier phénomène qui l'a marqué était celui portant sur l'exportation des femmes dans des sites d'orpaillage. Face à cette horreur, il s'est dit qu'il faut faire quelque chose. "Lorsqu'on a constaté le phénomène, on s'est rendu compte qu'en réalité, derrière les types d'infractions qu'on a l'habitude de voir : les infractions d'abus de confiance ou les infractions d'escroquerie, se cachait un autre phénomène. Lorsqu'on a creusé, on a constaté qu'en réalité la zone de Saraya était le domaine de prédilection de la traite des personnes. C'est ainsi que nous avons mis en place une équipe et nous avons effectué un travail qui nous a permis de constater que beaucoup de jeunes femmes qui étaient à Saraya, étaient victimes de trafic sexuel", a souligné le président du Tribunal de Grande instance de Kédougou.
Selon lui, les résultats de ce travail ont été assez conséquents, parce qu'aujourd'hui ce phénomène a connu un recul, grâce à la synergie de divers acteurs.
"Les textes que le Sénégal a adoptés sont en déphasage avec la réalité"
Le président du Tribunal de Grande instance de Kédougou souligne que ce phénomène n'est pas seulement l'apanage des juristes. Parce que, dit-il, "c'est vrai que le Sénégal a un dispositif juridique très étoffé, mais il ne suffit pas pour lutter contre cette pratique. C'est pourquoi, souligne-t-il, il faut faire appel à d'autres acteurs, à d'autres ONG qui sont dans le milieu, pour travailler ensemble et trouver une solution qui va éradiquer cette pratique. La descente sur le terrain m'a permis de savoir que les textes que le Sénégal a adoptés sont de très bons textes, mais ils sont actuellement en déphasage avec la réalité. En effet, ce phénomène de traite des personnes est en perpétuelle mutation et les textes qui sont en vigueur ne prennent pas en compte tous les problèmes qu’engendrent cette pratique. Car, il est complexe et transnational et met en cause des éléments d'extranéité, mais également complexe parce que, lorsqu'on n'a pas été formé, on a des difficultés pour appréhender, comprendre et lutter contre ce phénomène », a fait savoir le Président du Tribunal de Grande instance de Kédougou.
Pour sa part, le représentant du ministère des Mines et de la Géologie a informé qu'aujourd'hui le trafic sexuel des femmes emploie près de 25 000 personnes au niveau de la région de Kédougou, et ce n'est pas la seule région concernée. Il y a également, ajoute-t-il, la région de Tambacounda, avec le département de Bakel qui compte à peu près de 6 000 orpailleurs et souvent pour la main d'œuvre près de 50% sont constitués par les femmes. Mieux, dit-il, il y a une bonne proportion de jeunes femmes qui sont utilisées pour des tâches qui sont des formes d’exploitation pour cette cible fragile et particulièrement vulnérable.
"Il faudrait que les différents départements ministériels à travers les différents programmes et projets puissent contribuer et mettre en synergie différents mouvements qui devront permettre de trouver des solutions durables. Comme à chaque rencontre, j'insiste sur la nécessité de territorialiser davantage des actions. Il est souvent pertinent qu'on mène des actions de ce genre au niveau central pour assurer la coordination, l'impulsion et peut-être assurer le suivi d'une évaluation", a-t-il souligné.
FATIMA ZAHRA DIALLO (STAGIAIRE)