Publié le 23 May 2018 - 21:56
TROISIEME JOURNEE DE PLAIDOIRIE DANS L’AFFFAIRE IMAM NDAO

Les conditions d’arrestations et d’incarcérations au cœur des débats

 

Les plaidoiries se poursuivent dans le cadre du procès d’Imam Alioune Ndao et ses 28 co-accusés. Hier, les avocats d’Ibrahima Hann, Amy Sall et Alioune Badara Sall ont tenté de convaincre de l’innocence de leurs clients. Ils ont beaucoup dénoncé les conditions d’arrestations et d’incarcérations de leurs clients.

 

Pour la troisième journée de plaidoiries dans l’affaire Alioune Ndao, l’audience a démarré, hier, avec la poursuite de la défense du troisième avocat de l’accusé Ibrahima Hann. A la suite de ses confrères Mes Mbaye Sène et Abdoul Gningue qui ont plaidé vendredi dernier, Me Mame Gningue a sollicité l’acquittement, conformément au réquisitoire du Parquet. Lui aussi s’est attaqué à la procédure. Il estime que ‘’le dossier a été géré avec un certain amateurisme pour des infractions très graves’’. C’est pourquoi Me Gningue soutient que ‘’les accusés ne devraient pas servir de cobayes pour une législation très nouvelle (la loi 2007 qui modifie le Code pénal)’’. Et de poursuivre : ‘’Nous ne sommes pas le seul pays qui a des problèmes avec les menaces terroristes. C’est un phénomène qui est là. Il faut chercher à comprendre le phénomène et je ne pense pas que la solution soit toujours judiciaire.’’

Embouchant la même trompette, Me Bamba Cissé, un des conseils d’Amy Sall, a laissé entendre ‘’qu’on ne peut pas arrêter quelqu’un pour sa dangerosité éventuelle au nom des principes du droit pénal’’. Il a fait savoir qu’en France, les accusés, surtout ceux qui étaient aux fiefs de Boko Haram et d’Aqmi, seraient fichés. Mais au Sénégal, a-t-il regretté, ‘’notre seul recours, c’est la prison’’. Ceci, s’est-il plaint, ‘’est une certaine faiblesse de nos institutions, car on ne veut pas travailler pour les surveiller. ‘’Je suis indigné, je suis abattu car notre système judiciaire pénal ne croit qu’à la condamnation, qu’à la prison’’, a-t-il fulminé.

Le pire dans cette affaire est que les accusés ont subi, selon Me Borso Pouye, beaucoup d’horreurs. Comme pour la conforter, Me Ahmed Sall a soutenu que ‘’tout a été violé de bout en bout dans cette traque aux présumés terroristes. Et comme à l’époque des croisades, on vous demande de couper des têtes sans même regarder dans les intentions’’. Aussi, lui et son confrère Samba Bitèye sont-ils revenus sur l’arrestation et les dures conditions carcérales d’Alioune Badara Sall. A en croire Me Sall, le calvaire de ce dernier a commencé à la Section de recherche où on leur a littéralement empêché d’assister leurs clients. La situation s’est empirée durant l’incarcération avec plusieurs restrictions. ‘’Ils n’avaient que 30 mm de cour. Les visites des proches étaient filtrées. Même les avocats ont subi des injustices. Il nous a fallu nous battre pour que cela cesse’’, a relaté la robe noire qui, pour étayer ses propos, a révélé qu’au début, lorsque qu’ils s’entretenaient avec leurs clients, un garde se mettait à écouter. ‘’Il nous a fallu batailler ferme pour y mettre un terme’’, a-t-il ajouté, peiné également par le fait qu’à un moment, les accusés aient été transférés à Saint-Louis.

Outre les conditions de détention, Me Sall a aussi dénoncé l’instruction. Pour lui, ‘’l’on n’aurait jamais dû arriver à cette instance (procès), si un travail avait été effectué à l’enquête et l’instruction. La procédure d’instruction est faite pour que les insuffisances de l’enquête préliminaire puissent être comblées’’.

‘’Amy Sall arrêtée par près de 300 personnes encagoulées’’

Le cas d’Amy Sall, première épouse de Makhtar Diokhané, n’est pas enviable. Selon Me Ndoumbé Wane, cette dernière a été arrêtée par près de 300 personnes encagoulées. ‘’Il y avait dans le groupe 6 officiers de l’armée et un détachement de la BIP pour arrêter une jeune fille qui pèse moins de 40 kilos’’, s’est-elle plainte. Elle a indiqué que sa cliente a fait cinq jours à la Section de recherches dans des conditions qui frisent l’intolérance. ‘’Pendant 5 jours, elle n’a pas changé ses habits, elle n’a vu aucun membre de sa famille. A la cave, elle a commencé à avoir des boutons. Elle me les présentait en me disant : « Maître, ça ne va pas », a-t-elle appuyé. Et d’ajouter que ‘’les droits humains sont sacrés. Déplacer l’armée pour une personne ! Vous l’arrêtez mais vous traumatisez plusieurs personnes. Revoyons nos méthodes de travail’’.

Par rapport aux arguments de droit, les différents avocats ont démonté les différentes infractions retenues contre leurs clients respectifs. Conseil d’Ibrahima Hann, Me Gningue a relevé que son client n’a commis aucun acte terroriste et n’a pas fait d’apologie. Pour le financement du terroriste, cela suppose, a-t-il argué, ‘’qu’on ait détenu des fonds, collecté ou donné des conseils de gestion de fonds destinés au terroriste’’. Or, concernant Ibrahim Hann, il n’en a jamais détenus et en aucun moment, on a trouvé chez lui des fonds destinés à des activités terroristes. Il reste persuadé que l’accusé est victime de son amitié avec Imam Ndao et Saliou Ndiaye or, ceci ne constitue pas pour autant un délit.

Si Ibrahima Hann est victime ‘’du délit d’amitié’’, Me Ndoumbé Wane est convaincue que la première épouse de Makhtar Diokhané est une victime du mariage. ‘’Je pense qu’Amy Sall est une victime du mariage. Mais encore une fois, ce mariage, c’est son choix. Ce n’est pas parce que Makhtar Diokhané comparaît devant votre juridiction que ses épouses doivent être là. On ne peut pas poursuivre et condamner l’épouse, parce que le mari est arrêté. C’est injuste, c’est arbitraire’’, a fulminé l’avocate. Prenant exemple sur elle-même, l’avocate de déclarer que ce n’est pas parce que son mari magistrat a pris une décision qu’ils en ont discuté la veille.

 Outre le délit d’amitié, elle a évoqué le destin qui a envoyé sa cliente en prison. Toutefois, dira-t-elle, ‘’au bout du malheur, il y a toujours une fenêtre qui s’ouvre. Appliquez le droit et vous allez l’acquitter’’. Etant donné que le mariage est régi par le Code de la famille, elle estime que c’est ce même code qui va acquitter sa cliente contre qui le substitut Aly Ciré Ndiaye a requis 5 ans ferme pour blanchiment de capitaux.

Son confrère Me Bamba Cissé a abondé dans le même sens. Auparavant, le conseil a revisité l’histoire de l’islam et particulièrement l’origine du mouvement ‘’ibadourahmane’’, du djihad, en partant de l’Arabie Saoudite pour atterrir au Sénégal. Ainsi, il a abouti à la conclusion selon laquelle, ‘’penser que le djihad est mené par des ibadous, c’est ne pas connaître l’histoire avec notamment Alboury Ndiaye, Maba Diakhou, Thierno Souleymane Baal, El Hadj Oumar Foutihou Tall qui sont tous des Tidianes, mais ont mené la guerre sainte pour l’implantation de l’islam au Sénégal’’.

Au regard de ces arguments, Me Cissé estime que ‘’ce n’est pas parce qu’Amy Sall est voilée ou qu’elle a une liberté de culte qui fait d’elle une terroriste’’. Et même si elle avait quitté le Sénégal, ça ne fait pas d’elle une terroriste, puisque le fait de quitter le territoire sénégalais et d’aller en Arabie Saoudite ou au Nigeria pour vivre la Charia ne constitue pas une infraction. ‘’Pourquoi devons-nous avoir le complexe de notre religion ? Ce complexe nous a été imposé par les Occidentaux’’, a martelé Me Cissé. Il a expliqué que la loi sur le terrorisme parle de violences et de voies de fait, alors que dans ce dossier, il n’existe pas de preuve d’un citoyen sénégalais mort ou enlevé, ni de preuve de destruction ou de dégradation. ‘’Il n’y a même pas un acte préparatoire’’, a déploré le conseil qui a balayé d’un revers de main le délit de blanchiment, surtout que rien n’a été saisi sur l’accusée comme le prévoit la loi. Il s’y ajoute qu’il n’a pas été prouvé que l’argent confié à Coumba Niang par Makhtar Diokhané a une origine illicite. Encore que si tel était le cas, Amy Sall, qui a reçu 500 Euros de cet argent, l’ignorait. Pour finir, Me Cissé a avancé que leur cliente était dans la souffrance absolue et est même le dindon de la farce.

Alioune Badara Sall victime de sa barbe

Les huit avocats d’Alioune Badara Sall sont convaincus que leur client ne mérite pas les cinq ans d’emprisonnement requis contre lui par le ministère public. Selon Me Aly Fall, les faits pour lesquels tous les accusés sont poursuivis sont ‘’squelettiques’’. Surtout pour leur client qui, d’après Me Abdoulaye Seck, ne serait pas dans la procédure s’il n’avait pas de contrat de construction avec Makhtar Diokhané. Les avocats sont d’avis que ce contrat ne saurait suffire pour asseoir le délit de blanchiment contre l’ingénieur en travaux publics et enseignant au Cefam de Louga. Car, d’après Me Sall, Diokhané a confié le chantier à leur client compte tenu de sa probité morale, mais il n’y a aucune dissimulation, puisque c’est un contrat en bonne et due forme. Il n’y a pas non plus d’élément objectif, étant donné que le remettant a clairement indiqué à la barre que les 12 millions, montant du contrat, ont une origine licite. Selon toujours son argumentaire, l’existence du contrat, du terrain bien identifié et du reçu attestant de la réception de l’argent écartent toute dissimulation. La robe noire a également avancé comme argument le fait que la loi prévoit la connaissance de l’origine illicite du patrimoine par l’auteur du blanchiment or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Sans compter, dit-il, ‘’qu’en tant qu’entrepreneur, il n’y a aucune disposition légale qui astreint l’accusé à une déclaration de soupçon’’.

‘’Quel est l’entrepreneur qui demande à un magistrat, un avocat ou greffier l’origine de l’argent qu’il lui paie pour la construction de sa maison ?’’ s’est-il interrogé. Son confrère Me Ababacar Cissé de renchérir : ‘’Est-ce qu’un avocat demande à son client d’où vient l’argent qu’il lui paie en guise d’honoraires ?’’ Pour lui, l’existence du blanchiment suppose une infraction en amont, or celle-ci fait défaut. Me Baba Diop considère que ce délit aurait pu exister, si dans le contrat, l’accusé avait tenté de faire de la dissimulation. ‘’S’il avait des choses à se reprocher, il l’aurait fait, car il a fait l’objet d’une enquête, durant un mois, par la police avant d’être arrêté par la gendarmerie. Le commissaire Assane Seck l’avait déjà informé des soupçons de terrorisme qui pesaient sur Makhtar Diokhané’’, a appuyé Me Diop.

Me Samba Bitèye subodore, lui, qu’Alioune Badara Sall est victime de sa barbe. ‘’Selon la longueur de ta barbe, tu ne peux pas encaisser l’argent de Diokhané’’, a-t-il raillé. A son avis, ‘’les seuls voyous de ce dossier, ce sont les personnes qui ont vendu le terrain litigieux à Diokhané’’. Il a ajouté que l’argent reçu par Sall a une origine licite, car c’est insensé que Diokhané soit un terroriste. ‘’C’est la première fois que je vois un terroriste qui va dans la ville qu’il va bombarder pour y construire une maison’’, a fulminé Me Bitèye. Abondant dans le même sens, Me Borso Pouye a laissé entendre que les associés de Sall devaient être aussi installés dans la cause, puisqu’Actif est une société de droit commercial. ‘’On ne devait pas se limiter à lui, mais il est là parce qu’étant le seul barbu de la société’’, a-t-elle lancé avec désolation.

D’ailleurs, à propos de la barbe, Me Pouye a soutenu que ‘’nous devons refuser cette psychose qui hante les Occidentaux et qu’ils veulent transposer et que ce triptyque de barbe égale « ibadou », « ibadou » égale djihadiste ne repose sur rien du tout’’. Pour convaincre de ses propos, l’avocate de souligner : ‘’La barbe la plus longue que je connais, c’est celle de Thierno Seydou Nourou Tall. La seconde barbe, c’est celle de Oustaz Alioune Sall qui passe tous les jours à la télé. Tous les deux sont de la confrérie tidiane’’.  

Me Adama Fall de fustiger, pour sa part, le fait que l’accusation ait affublé le sobriquet d’imam Aly à l’accusé. ’’On lui a attribué ce titre pour davantage le diaboliser et mettre du relent dans l’accusation. Je pense que l’on fait un mauvais procès à Alioune Badara Sall, en disant qu’il a pris une part active dans les opérations de blanchiment de capitaux’’, a déclaré Me Fall. Fort de tous ces arguments avancés, Me Sall a lancé au juge Samba Sall et à ses quatre assesseurs : ‘’En l’acquittant, vous rendrez justice à une famille, à ses enfants et vous rétablirez une injustice.’’

FATOU SY

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