Publié le 6 May 2014 - 21:27
UNE JOURNÉE D’AUDIENCES AU TRIBUNAL

Le mur des lamentations de tous les angoissés

 

Cris de détresse, de joie ou de soulagement, voilà ce qui rythme le quotidien des salles d'audience du Palais de Justice de Dakar. Les audiences, ouvertes à 9h, voient défiler toutes les couches de la société sénégalaise. Prévenus  comme victimes et leurs proches venus les soutenir ne peuvent  s’empêcher d'exprimer leur sentiment à l'heure du verdict.

 

Il est 9h, au Palais de Justice de Dakar. Dans le couloir central, l’air frais du bord de mer se faufilant en même temps que les badauds qui, sans fin apparente, se pressent à l’intérieur. Si une double porte, de chaque côté, élague quelque peu la foule, l’essentiel des gens converge néanmoins vers le cœur de ce temple de Thémis, un atrium à ciel ouvert qui donne, un peu plus loin, sur les salles d’audience.

Là, quelques jeunes filles à la mise correcte font le pied de grue depuis les premières heures de la matinée. La justice a beau être proverbialement aveugle, il est évident que faire bonne image, en ces lieux, est crucial dans le déroulement d’un procès.

Ou, tout simplement, pour plaider sa cause (ou celle d’un parent). Personne n’ira dire le contraire, encore moins les avocats qui, sous leurs robes noires génériques, portent presque toujours des costumes de bonne facture ou des boubous de basin riche. Car c’est aussi cela, le tribunal : chaque personne présente sur les lieux prie pour que ses proches ou elle-même puisse sortir d’ici soit avec gain de cause, soit en ayant échappé le plus possible au couperet de la loi. Alors on négocie, on cajole, on nie ou on se perd en invectives, selon la stratégie qui s’impose comme la plus valide sur le moment. 

‘’Je suis venue pour que vous aidiez mon frère. Il est au commissariat parce qu’il a refusé de présenter ses papiers à un agent. Faites quelque chose pour le sortir de là, s’il vous plaît!’’, s’exclame une jeune fille, au détour d’un couloir, courant derrière un homme de justice malgré l’entrave de sa jupe ‘’taille basse’’.

‘’Outrage à agent ?! Ah non, il n’a pas encore goûté à la prison, votre frère ! Moi-même je m’oppose à ce qu’on le sorte de là avant la semaine prochaine !’’, tonne immédiatement son interlocuteur (qui se révèle être un procureur de la République) avant de demander à la dame de ‘’revenir un autre jour’’, faisant sourde oreille aux supplications estomaquées de cette dernière.

Salle d'audience bondée de monde

Un couple de gendarmes passe par là au même moment. Une montagne de documents sous chacun de leurs bras musclés, les deux pandores vêtus d’uniformes kaki et coiffés de bérets en feutre de couleur noire n'ont d'yeux que pour la pauvre fille et ricanent en se dirigeant vers l’une des salles où les audiences du jour vont débuter d’une minute à l’autre.

Sans surprise, ils pénètrent, par une porte cochère, dans la salle située à l’extrémité gauche du hall central circulaire, celle qu’on appelle familièrement ‘’les affaires de flag’’. Portant le numéro ‘’2’’, elle est ce matin bondée de monde,  au point que certains, dans l’impossibilité d’entrer, attendent dehors qu’arrive le moment si anxiogène du procès leur ayant valu le déplacement.

Ce stand-by forcé réussi, à l’évidence, plus à certaines personnes qu’à d’autres : une vieille grand-mère, enfouie sous une montagne de châles vaporeux venus de La Mecque, est stoïquement assise à même le sol, près de l’entrée, en train d’égrener son chapelet, alors qu’à un jet de pierre de là, un homme grand et fort, apparemment entre deux âges, hurle dans  son téléphone portable.

En l’écoutant brièvement, on l’entend jurer, dans un wolof très saccadé, que ‘’toute’’ cette affaire avait ‘’fait monter sa tension’’ et qu’un certain ‘’Pape Mor’’ allait ‘’finir par le tuer’’. Le Pape Mor en question sera retrouvé un peu plus tard, tranquillement assis dans le box des accusés, attendant qu’on le juge pour escroquerie portant sur la vente d’un terrain…

Si certains accusés ou victimes se présentent seuls à la barre, d’autres sont soutenus ou accompagnés d’une véritable délégation. Une dame de la banlieue de Dakar, par exemple, est soutenue par une véritable foule de ses semblables. Celle qui se présente au juge comme une écailleuse de poisson obtient finalement gain de cause et, à peine la décision rendue, une véritable explosion de cris de joie se fait entendre à l’extérieur de la salle, les plus jeunes de ses ‘’supportrices’’ allant même jusqu’à esquisser un pas de danse.

Mais, foule de fans ou pas, toutes les parties n’obtiennent pas forcément gain de cause. Cinq jeunes filles jugées pour consommation de chanvre indien tombent toutes sous le coup d’une peine d’un mois de prison ferme, malgré leurs dénégations véhémentes à la barre… Aussitôt ce verdict rendu, de nombreux cris de stupeur raisonnement dans la salle et le président de la Cour demande sur un ton sec à certaines demoiselles de vider la salle d’audience.

Expulsée de la salle, une fille s'évanouit dans le hall

Le calme revient un court instant avant que de nouveaux éclats de voix, plus stridents encore, ne se fassent entendre… Le magistrat demande d’un mouvement de tête à un des matons de service d’aller voir ce qui se passe et la nouvelle arrive très vite: une des filles qui venaient d'être expulsées de la salle s’est évanouie dans le hall.

Curieux, plusieurs journalistes quittent la banquette qui leur est réservée, dans un coin de la salle près des juges, pour aller voir ce qui se passe de leurs propres yeux.  Sans surprise, ils retrouvent la demoiselle en détresse étendue de tout son long par terre. Une de ses amies essaie de lui redonner des couleurs en l’éventant tandis qu’une autre fille tente, à bout de bras, de la redresser.

Plus de peur que de mal, au final, puisque la jeune fille retrouve ses esprits une fois qu’un gobelet de café chaud est mis dans sa main tremblante. Requinquée, elle va même jusqu’à mettre sa défaillance soudaine sur le compte d’une ‘’hypoglycémie’’, expliquant qu’elle s’était levée très tôt le matin et n’avait donc pas eu le temps de déjeuner.

Le calme revenu, l'audience pouvait reprendre jusqu'à 14h30, heure à laquelle une suspension d’audience permet aux juges d’aller se restaurer. Confinés dans leur box, les accusés n’ont pas la même chance et observent une diète forcée. Sauf ceux d’entre eux qui ont dans la salle des proches susceptibles de leur offrir de quoi manger. Toutefois, la solidarité est de mise entre  codétenus.

Après la pause qui dure environ une heure de temps, c’est la reprise de l’audience, avec son cortège de déceptions, pleurs et éructations de joie. Certains membres du public, rendus indolents par la succession constante des dossiers, se font surprendre par la main d’un huissier sur leur épaule alors qu’endormis, ils avaient dodeliné de la tête ou laissé échapper un ronflement.

En début de soirée, le président déclare l’audience levée une fois que la dernière affaire inscrite au rôle est bouclée… Encore une journée de remplie !

Sophiane Bengeloun

 

 

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