Lever le voile sur l'avortement clandestin
L’association Sénégal action féministe (Senaf) a tenu, samedi dernier, un vernissage sur l'exposition "Trace et résonance de l'avortement clandestin". C’est la Maison des cultures urbaines de Dakar qui a accueilli cet événement qui s’inscrit dans le cadre de la Biennale de Dakar. L’exposition se positionne comme une réflexion collective et un espace de dialogue sur une question de santé publique et de droits des femmes énoncée à travers des œuvres artistiques fortes et des récits poignants.
Intitulé "Trace et résonance de l'avortement clandestin", le vernissage "Voix du silence" a captivé le public ce samedi 23 novembre. Tout part d’une salle où règne une atmosphère lourde de témoignages et d'espoir. Là, l'exposition "Voix du silence", organisée par Sénégal action féministe, se déploie comme un cri étouffé, mais puissant. Elle lève le voile sur l'ampleur et les conséquences des avortements clandestins, une réalité encore taboue qui affecte des milliers de femmes chaque année au Sénégal.
Sous le regard attentif d'un public jeune, mais engagé, cette initiative suscite des discussions profondes et favorise une prise de conscience collective. Une pièce de théâtre poignante, véritable cri d'alarme, est présentée à l'assistance. Elle illustre, avec une intensité bouleversante, les trois étapes périlleuses auxquelles s'exposent les femmes ayant recours à l'avortement clandestin. À travers des performances marquantes, les acteurs dénoncent les dangers brisent le silence et interpellent sur l'urgence d'agir. Le message est clair : sensibiliser, protéger et repenser les politiques liées à la santé des femmes.
Trois cabanes symboliques, établies pour l'occasion, plongent les visiteurs dans une immersion saisissante. Chacune incarne une facette de cette réalité tragique, exposant les risques sanitaires, la stigmatisation et la solitude. Des mots écrits en rouge, frappants et évocateurs, interpellent : "Sensibilisation, espoir, justice, religion, risque sanitaire, mort, volonté politique, etc."
En effet, ils forment une représentation triangulaire puissante, soulignant la complexité du sujet et les enjeux qu'il soulève.
La campagne "Xool Ko ci sa Boop"
Parmi les œuvres, une fresque poignante montre des silhouettes féminines entremêlées de fils rouges, symbolisant le lien entre la douleur, le silence et les conséquences de l'avortement clandestin. Dans cette atmosphère assez poignante, la présidente de Sénégal action féministe, Wasso Tounkara, revient sur l’essence même de cette pièce théâtrale et de cette exposition. "Quand on veut toucher, on doit rester dans la réalité et quand on reste dans la réalité, par force, on va choquer. Pour moi, quand on choque, on veut interpeller aussi les gens à réfléchir sur le pourquoi et aller au-delà de la pièce. L’exposition parle du triangle du feu et dans chaque partie, il y a des messages. Ainsi, chaque personne qui viendra voir l’exposition pourra réfléchir exactement sur le protocole de l'environnement au Sénégal, sur les conséquences sanitaires, sur les conséquences psychosociales et comment faire pour participer et tout faire pour que le gouvernement puisse respecter ses engagements", explique-t-elle.
Sur cette lancée, elle souligne que l'exposition "Voix du silence, trace et résonance de l'avortement clandestin au Sénégal" fait partie d'une campagne de sensibilisation qui s'appelle "Xool Ko ci sa Boop", contre les avortements clandestins au Sénégal.
"Il faut préciser qu’au Sénégal, l'avortement est interdit par le Code pénal en son article 305 et 305 bis. C'est ce qui fait que, dès qu'on parle d'avortement, on parle de clandestinité, parce que c'est interdit. (…) Dernièrement, une étude a montré que beaucoup de femmes qui sont en prison sont incarcérées pour infanticide, ce qui signifie que même si c'est interdit, il y en a qui prennent le risque de le pratiquer et qui mettent en danger leur vie, leur santé et qui finissent même par perdre la vie. C'est la raison pour laquelle nous avons jugé nécessaire de sensibiliser sur cette pratique qui impacte la vie des femmes", insiste-t-elle.
Plaidoyer pour une réflexion sur l'avortement clandestin au Sénégal
Cependant, l'exposition ne se limite pas à dénoncer. Elle en appelle également à un changement collectif, à travers un message d'espoir et de solidarité envers les femmes. "Voix du silence" n'est pas seulement un cri d'alerte, c'est une invitation à réfléchir, à agir et à transformer les tabous en dialogues constructifs.
Ainsi, un panel de discussion a été initié au cours de l’événement. Modéré par la directrice de publication du quotidien ‘’EnQuête’’ Bigue Bob, il était question pour les invités de tenir un plaidoyer sur la compréhension de l’impact de l’avortement clandestin, qui était également le thème de ce panel. "Dans l’absolu, l’avortement est interdit. Mais dans le cas où la santé de la mère ou de la jeune fille est à risque, l’avortement est permis", explique le docteur Babou, médecin en santé publique.
Autrement dit, selon le spécialiste, dans le cas où la vie de la mère serait en danger, il est possible de recourir à l’avortement médicalisé. Cependant, elle a souligné que les conditions mises en place pour ces situations exceptionnelles sont lourdes et procédurales.
Dans le même sens, la fondatrice et directrice exécutive de l’association Yeew, également panéliste, Aïcha Rassoul Sène, énumère les situations dans lesquelles la jeune fille ou la femme pourrait recourir à l’avortement légal. "Les raisons majeures qui poussent les jeunes filles à recourir à l’avortement peuvent être des grossesses non désirées issues de viols ou de violences sexuelles. On peut aussi parler d’inceste".
Elle est également revenue sur la pression sociale et familiale qui est souvent insupportable pour ces jeunes filles. Au fil des discussions, les deux panélistes ont soulevé la difficulté d'accès aux soins médicaux, le fait que les contraceptifs ne soient pas à 100 % fiables et aussi l'absence de sensibilisation sur l'éducation sexuelle pour les jeunes.
Dans cette démarche, elles n’ont pas omis de revenir sur les conséquences dévastatrices de ce fléau. "Les avortements clandestins se déroulent souvent dans des environnements insalubres, sans respect des normes d'hygiène ou de sécurité. Les risques d'infections, notamment les IST et même des hémorragies sont souvent évidentes", explique le Dr Babou.
Quant à Aïcha Rassoul Sène, elle explique qu’il y a des effets sur la santé mentale de la jeune fille. En effet, selon la panéliste, la douleur de le faire clandestinement est une véritable souffrance, et la santé mentale est affectée par les traumatismes liés à ces pratiques, laissant des séquelles profondes. "Il y a aussi le risque d’encourir une peine de prison", ajoute-t-elle.
Le Dr Babou rebondit : "La conséquence la plus redoutable est le décès de la femme, car le taux de décès le plus élevé lié à l’avortement est en Afrique noire." Elle précise que ce n’est pas le fait d’avorter qui entraîne la mort de la femme ou de la jeune fille, mais plutôt les circonstances dans lesquelles cet avortement a eu lieu.
Ainsi, cette exposition, qui s’inscrit comme un espace pour comprendre l’ampleur de ce fléau, invite le public sénégalais à le découvrir tout au long de ce mois de novembre.
THECIA P. NYOMBA EKOMIE