Vers une Tabaski noire à la cité sones du Plateau!
Pendant que presque tous les Sénégalais s’affairent autour des préparatifs de la Tabaski, une tragédie est en train de se jouer à quelques encablures de la Présidence de la République sénégalaise et des autres grandes Institutions nationales (Parlement, CESE, Primature). Les pouvoirs publics s’apprêtent en effet à expulser les habitants de la cité SONES ou cité Madeleine, adossée à l’hôpital Aristide Le Dantec.
Abou Diouguel Bâ, délégué de quartier de la cité SONES, qui est le porte-voix d’une communauté composée d’une vingtaine de familles est inconsolable. “Que vont devenir ma bananeraie et mon troupeau de moutons ? ” marmonne-il !
Et pourtant, les habitants de cette cité, descendants d’anciens ouvriers de la société d’approvisionnement des eaux de l’Afrique, comptent parmi les plus anciens résidents de la ville de Dakar, compte non tenu des autochtones lébous ! Que d’épreuves pour ces pionniers de l’hydraulique urbaine, obligés de loger avec leurs familles dans des chambrettes exiguës, car soumis à l’obligation d’effectuer des astreintes contraignantes ! Combien d’accidents de travail et de maladies professionnelles pour ces malheureux employés chargés de fournir de l’eau potable aux populations dakaroises ?
Le travail était tellement exténuant que beaucoup de jeunes indigènes africains de l’époque préféraient s’adonner aux travaux champêtres qui s’apparentaient à des promenades de plaisir par rapport aux tâches pénibles qui étaient assignées aux ouvriers de la société des eaux de l'époque. C’est ainsi que pour contrer une éventuelle pénurie de main-d’œuvre, les employés de ce service étaient obligés de faire appel à leurs proches. Plusieurs de ces travailleurs surexploités décédaient prématurément, laissant des veuves et des orphelins, qui ne parvenaient donc pas à s’extraire de ce milieu défavorisé qui se muait peu à peu en ghetto.
Ce rappel historique était nécessaire pour comprendre que les habitants de la cité SONES, issus pour la plupart de la communauté halpulaar, sont bien des citoyens de plein droit de la commune de Dakar-Plateau, en vertu du droit du sol, en vigueur dans toutes les démocraties avancées du monde. C’est ce qu’ont compris deux personnalités du Plateau, dont l’un ancien directeur de la SONES et ancien maire de Dakar-Plateau qui y a construit un logement pour l’imam Dia et une mosquée et l’autre actuel maire de cette commune a usé de son entregent pour plaider en faveur d’une indemnisation substantielle des habitants de la cité SONES.
La vie suivait son cours dans cette paisible cité jusqu’au jour où les techniciens ont décidé de construire un nouveau château d’eau, qui devait remplacer l’ancien devenu vétuste, mais cela ne devait en rien perturber la quiétude de cette communauté. Malheureusement, c’est dès la fin de ce chantier qu’avertissements, sommations et injonctions vont commencer !
Il y a quelques mois, une des grandes chaînes nationales de télévision s’était même fait l’écho de ce drame dans son émission intitulée “sama gox” (mon quartier). Une dizaine correspondances, qui auraient été adressées aux plus hautes autorités de notre pays sont restées sans suite, selon les représentants des habitants de la cité SONES.
Alea jacta est ! Oui, le sort en est jeté ! Après plusieurs mois de luttes, de manifestations mais aussi de plaidoyers, négociations et de recours, la dernière réunion tenue avec les autorités le 18 septembre a arrêté les dispositions pratiques d’évacuation des lieux, en cette sainte période de l’Aïd-el Kébir, où Dakar vidée de la grande majorité de ses « provinciaux » semble devoir être plus propice aux opérations de déguerpissement !
L’épreuve imposée à ces braves gens de la cité SONES est d’autant plus injuste que les différents acteurs politiques n’ont jamais considéré leurs votes comme quantité négligeable, et plusieurs meetings politiques se sont tenus dans cette cité quasi-centenaire !
En fin de compte, des indemnités ridicules, qui ne pourront servir qu’à payer quelques mois de loyer, variant entre 500.000F et un million de francs ont été alloués à des pères de famille ayant en charge des jeunes gens, pour la plupart sans emploi et auxquels on avait pourtant promis le recrutement à la SONES. A titre de comparaison, les anciens travailleurs de la Présidence de la République et de l’hôpital principal, qui logeaient dans des habitations précaires à la Corniche Est (cité militaire), auraient, en son temps, bénéficié, chacun, d’une villa à la cité Jaxaay et d’une enveloppe de cinq cent mille francs.
Il est temps que nos décideurs fassent preuve de davantage de sollicitude envers les victimes des innombrables crises sociales qui agitent notre pays (non-respect d’accords syndicaux, déguerpissement d’honnêtes travailleurs, retard de paiement de salaires, victimes d’inondations…) qu’on a tendance à accabler en épargnant des décideurs mal inspirés ou des bourreaux avérés que sont les spéculateurs fonciers. La réussite des grandes initiatives dans le domaine social (bourses de sécurité familiale, CMU et initiatives de gratuité dans le domaine de la santé publique) exige des pouvoirs publics un haut niveau d’engagement pour la justice et l’équité envers les plus vulnérables. C’est cela et non la répression aveugle qui seront les plus sûrs garants d’une baisse de la criminalité et d’un climat social apaisé.
NIOXOR TINE