Troisième âge de galère
La vieillesse est un poids au Sénégal. Les papys et mamys, estimés à plus de 400 000 au Sénégal, bénéficient de moins en moins d’attention et de soutien de la part de la famille. Un tel phénomène crée des situations de vulnérabilité difficilement vécues. Les autorités étatiques sont interpellées. Les personnes du troisième âge attendent d’elles la mise en place de systèmes de prise en charge adéquats de leurs soucis. EnQuête propose une plongée dans les méandres de leurs souffrances.
Les résultats du dernier recensement de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) effectué en 2014, ont montré que le Sénégal compte actuellement plus de 12 873 601 habitants dont les 3,5% ont plus de 65 ans. Soit 400 000 âmes qui peuvent être rangées dans la catégorie des personnes du troisième âge. Il a été prouvé aussi qu’au Sénégal, parmi les personnes âgées de plus de 60 ans, seules 30% bénéficient d’une « couverture sociale ». Elles sont réparties entre l’Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et le Fonds National de Retraite (FNR). Les 70% restants n’ont pas de pension de retraite, donc pas de couverture sociale.
Aujourd’hui, il est établi que les personnes du troisième âge sont confrontées à des soucis sanitaires, surtout du fait du poids de l’âge. Entre les pathologies telles que les rhumatismes, le diabète, la tension, les handicaps visuels et la paralysie, et l’absence d’infrastructures sanitaires pour les prendre en charge, elles vivent difficilement leur vieillesse. A cela s’ajoutent des fils indélicats qui souvent, sous l’emprise de la drogue, ne cessent de leur mener la vie difficile.
Les enfants ou l’Etat, qui pour prendre en charge les vieux ?
Et pourtant la situation des personnes du troisième âge est différemment appréciée par la population. Les uns considèrent que les enfants ont l’obligation de les prendre en charge. Les autres estiment qu’il revient à l’Etat de s’organiser pour mettre les personnes du troisième âge dans de bonnes conditions de vie, vu qu’elles ne sont pas aussi nombreuses que cela.
Ainsi, de l’avis de Pape Bamba Seck, un habitant des Almadies, chaque enfant a l’obligation de prendre en charge son parent. ‘’Nous ne sommes pas des européens. Nos parents ont tout fait pour nous. Donc, une fois qu’ils sont vieux, on n’est obligé, pour ne pas dire forcé de les prendre en charge. Moi, c’est ce que je compte faire, lorsque mes parents seront vieux’’, déclare le jeune Seck tout sourire. Un sentiment que partage Ndiouga Dia, un étudiant de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). En tant que musulman, il ne saurait faire autrement que bien prendre en charge ses parents.
‘’Je le souhaite et je vais vivre pour cela. Si jamais j’envisage de ne pas entretenir mes parents, que le Bon Dieu me tue simplement. Aujourd’hui, ils sont certes vieux, mais ils ont tout fait pour nous quand nous étions jeunes’’, déclare un maçon de 52 ans qui vit avec son père de plus de 80 berges. D’autres personnes rencontrées soutiennent sans ambages que les autorités étatiques ont l’obligation de mettre en place des mécanismes pouvant faciliter la prise en charge de la question des personnes du troisième âge. ‘’C’est vrai que les enfants doivent s’occuper de leurs parents, mais malheureusement les moyens font souvent défaut. D’où l’urgence de créer des maisons de personnes du troisième âge. Souvent, on voit qu’elles se rencontrent au sein des grands-places pour discuter des questions qui les intéressent’’, fait remarquer Soukeyna Diop.
Dr David Guèye, médecin dans une structure sanitaire de la place, est du même avis. ‘’La question de la prise en charge des personnes du troisième âge étant tellement sérieuse, car intéressant un groupe très vulnérable, à mon avis, seuls des spécialistes avec des moyens adéquats peuvent le faire. Et pour y arriver, la main du gouvernement y serait prépondérante pour ne pas dire obligatoire. L’Etat doit créer beaucoup de centres adaptés aux normes internationales où nos grands-parents pourront vivre jusqu’à la mort’’. A en croire le toubib, c’est triste de le dire, mais force est de constater que les structures sanitaires spécialisées et dédiées aux personnes du troisième âge, au Sénégal, se comptent sur le bout des doigts.
LA PENSION DE RETRAIRE Faut-il s’en contenter ? En ce jour du début du mois de décembre, l’agence de l’institut de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES) de Pikine ne grouille pas de monde. Ici, ce sont des milliers de retraités qui viennent y percevoir leur pension de retraite. Trouvé, à côté de l’agence, Abdoulaye Sall, marchant à pas de caméléon, ne rate pas l’occasion d’asséner ses quatre vérités. ‘’Les autorités doivent être reconnaissants envers nous. On a tout donné à ce pays. Nos enfants ne sont pas encore matures pour pouvoir prendre le relais. C’est difficile de vivre avec une pension qu’on perçoit par trimestre’’, tonne le vieux de plus de 70 ans. Une autre grand-mère se veut plus optimiste. ‘’Le président Macky Sall a dit qu’on aura sous peu droit à une pension mensuelle. Nous avons hâte de voir cette promesse se concrétiser. On n’en peut plus. C’est dur, alors que nous sommes des veuves, la plupart avec des enfants, soit qui chôment soit qui sont toujours à l’université pour continuer leurs études’’, déclare Mme Rokhaya Diaw, une habitante de Keur Massar en banlieue dakaroise. Savoir préparer sa retraite Pour d’autres, l’avenir se prépare dans la force de l’âge, bien avant la retraite. C’est le cas de Bassirou Faye, trouvé aux abords du rond-point Sandaga. L’ancien cadre de banque n’envie en rien ceux qui sont toujours dans les bureaux. ‘’Quand je travaillais, explique-t-il, je ne me limitais pas uniquement à mon job. J’avais d’autres activités qui m’apportaient des revenus parallèles. Ce qui fait qu'aujourd’hui, je n’ai pas de gros soucis financiers pour entretenir ma famille’’. Et Fatou Seck de renchérir : ’’Les retraités n’ont pas grand-chose en Afrique, à cause d’un système qui est pourri. Moi, je dis aux jeunes qui travaillent de tout faire pour pouvoir finir leurs vieux jours calmement. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir une retraite dorée. Au Sénégal, la vie est non seulement chère, mais c’est une seule personne qui travaille pour plus de 20. Ce qui fait que c’est difficile d’épargner, encore moins de faire des économies pour vivre tranquillement une fois à la retraite’’. Mme Seck se targue d’avoir dix ans d’expérience comme fonctionnaire des Nations unies. Les retraités du secteur informel mieux lotis Dans le secteur informel, les gens travaillent jusqu’après 65 ans. Conséquence, plusieurs personnes de cette catégorie rencontrées soulignent qu’à ce stade, souvent la relève est assurée. Qu’il s’agisse des maçons, des tailleurs, des commerçants, etc., ils rencontrent moins de soucis. Non seulement ils font beaucoup de bénéfices à travers leurs activités, mais lorsqu’ils vont à la retraite, leurs enfants sont déjà fonctionnels et ont repris le flambeau. D’autres citoyens n’ont pas souhaité se prononcer sur la question, car, leur quotidien se résume uniquement à surveiller leurs vieux parents qui souffrent de démence. |
PAR CHEIKH THIAM