Des acteurs préconisent le délit d’outrage à l’enseignant
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L’actualité a été dominée, ces derniers jours, par l’escalade de la violence dans l’espace scolaire et universitaire. Pour que l’irréparable ne se produise pas, des acteurs préconisent le "délit d’outrage à enseignant".
L’éducation, au demeurant l’école, peut être comprise comme le processus d’imprégnation et d’accommodation par lequel les générations les plus expérimentées prennent en charge les jeunes générations pour leur inculquer les valeurs qui participent de leur socialisation. Dans ce cadre, l’école, une institution sociale, est au cœur de cette entreprise de production et de perpétuation de ce que la société a de plus essentiel : la personne.
L’école est en elle-même porteuse d’un projet de société. Dans la mesure où toute société, compte tenu de ses orientations, de ses objectifs, de ses réalités sociopolitiques et économiques, détermine son école et lui assigne des finalités. Une société, en évoluant, doit nécessairement adapter son école, car elle doit pouvoir anticiper dans le futur, faire des projections afin de mieux répondre aux défis à venir.
Au Sénégal, force est de constater que tel n’est pas le cas. Depuis un certain temps, il est noté des violences exercées par des apprenants sur leurs maîtres. Suffisant pour que l’imam Babacar Ndiour de Thiès élève la voix et réclame des sanctions à l’encontre de ces fauteurs de trouble. Lors de son sermon de la Tabaski, l’ancien directeur d’école théorise le délit : ‘’Le délit d’outrage à enseignant et une loi pour le punir. Il y a outrage aux magistrats, outrage aux policiers, gendarmes, outrage au président. Et pourquoi pas outrage à enseignant ?’’,
Un avis partagé par Pape Djibril Guèye, Professeur d’histoire et de géographie au collège d’enseignement moyen Annexe LTAB de Diourbel. ‘’Si rien n’est fait, les gens pourraient s’entretuer. Aucun enseignant n’acceptera de se faire humilier par un élève. Il faut que les tenants du pouvoir règlent ce problème qui n’est pas une mince affaire’’.
Mais pour le docteur en géographie Mamadou Khouma, Inspecteur de vie scolaire et d’établissement à l’inspection d’Académie de Diourbel, il faut s’interroger sur l’escalade de ces violences et essayer d’en comprendre les causes. Pour lui, ‘’l’école et l’université ne sont plus des lieux sûrs pour assurer des enseignements en toute sérénité. Pour de nombreux jeunes, l’école n’est plus le lieu qui assure l’ascension sociale’’.
Il pense que ‘’dans le cadre des apprentissages, les contenus d’enseignement, d’une manière générale, sont en décalage par rapport aux réalités de l’élève. Notre école demeure encore prisonnière de savoirs scolaires qui ne sont pas transposables dans le champ social. Ces savoirs ne sont pas déclinés en compétences opérationnelles répondant aux enjeux et aux besoins de la société. La pédagogie traditionnelle, caractérisée par une relation d’autorité et le principe de l’enseignant qui dispense le savoir à un élève censé être prêt à le recevoir, apparaît aujourd’hui inadaptée à une école dont l’ambition est de former des acteurs de développement’’.
Et Mamadou Khouma de préconiser, pour remédier à ces dysfonctionnements, ‘’une meilleure articulation entre les enseignements et les apprentissages en privilégiant les apprentissages’’.
Une école prise en otage
Dans beaucoup d’établissements, on assiste à une situation où les soucis de compromis glissent vers la compromission, voire la capitulation de l’autorité. En effet, pense le Dr Khouma, ‘’certains chefs d’établissement évitent d’engager un bras de fer avec le corps professoral ou quelques-uns de ses membres fautifs, de peur de voir leur gestion douteuse dénoncée à haute voix par ces derniers. Dès lors, ils versent dans un grave laxisme’’.
L’école est ainsi prise en otage, tiraillée qu’elle est entre une administration frileuse et des enseignants peu scrupuleux qui ne doivent leur impunité qu'à la conspiration d’un silence coupable de l’administration. Très prolixe, Mamadou Khouma est d’avis que, ‘’des fois, la solidarité de fait du ‘collectif des professeurs’ sert de paravent à l’impunité. Ainsi, de nombreuses tâches pédagogiques ne sont pas accomplies dans les délais, encore moins avec le sérieux qui sied, au grand dam des élèves, des parents et au regret des professeurs consciencieux. A titre d’illustration, les conseils de classe, malgré leur importance, sont régulièrement snobés par les professeurs, si ce ne sont les notes des élèves qui ne sont pas rendues dans les délais qui bloquent la tenue de ces conseils’’.
Il dénonce aussi ce qu’il appelle l’’’illusion pédagogique’’, en ce sens que ‘’certaines pratiques, en cours dans l’espace, faussent la finalité et l’esprit des évaluations. Il s’agit des cours particuliers. Certes, l’accompagnement scolaire est un moyen d’aider des élèves en difficulté.
Mais aujourd’hui, ce recours aux ‘’cours payants’’ dans l’espace public scolaire est perverti. Ces cours sont présentés par ‘’les prestataires de services’’ en même temps professeurs des élèves comme indispensables pour ‘’réussir’’. Les mêmes exercices réalisés et corrigés durant ces cours particuliers sont proposés en classe. Ainsi, les notes de complaisance données aux élèves fréquentant ces cours particuliers ne permettent pas de juger du niveau réel de ces élèves. Pour ces derniers qui avaient l’habitude d’avoir de ‘’bonnes notes’’ en classe, les examens sonnent comme une désillusion. Les notes catastrophiques obtenues aux examens sont sans commune mesure avec les ‘’notes savamment dopées et taillées sur-mesure’’.
Boucar Aliou Diallo