La webtélé PeopleTV fait ses débuts à Dakar
Grâce aux avancées constantes des technologies de l’information et des communications, l’Afrique est en train de refaire son retard dans le web 2.0. Dernier exemple en date, la chaîne PeopleTV, la première webtélé sénégalaise dont le lancement officiel aura lieu mardi 1er janvier 2013 à Dakar.
Ouakam, banlieue nord de Dakar. Après un trajet cahoteux à la vitesse de croisière de 30km/h dans les ruelles en terre du quartier, le taxi s’est enfin arrêté devant la bonne maison, près de la « mosquée verte », non sans avoir demandé son chemin une bonne dizaine de fois. C’est donc là, dans le garage d’une maison somme toute cossue pour la région, que PeopleTV a installé ses locaux. Après l’ère des « garages bands » du rock des 1970’s, voici donc venue l’ère des « garage TV » à la mode africaine !
Un banal téléviseur, un téléphone-fax, une caméra amateur, trois laptops fatigués, une rampe de néon convertie en projecteur, une bannière et un micro bardés du logo de la station, et c’est à peu près tout le matériel dont dispose pour le moment, sur à peine 20 m², celle qui sera bientôt la première webtélé de l’ouest africain. En réalité, la vraie richesse de toute cette entreprise réside dans le savoir-faire et l’ingéniosité de Pape Cissé, son fondateur, ainsi que dans l’énergie d’une jeune équipe, toute excitée à l’idée de vivre bientôt une aventure unique.
Formé à l’école MacDo
Pape Cissé, discours posé et nonchalance naturelle, est à la fois un bourlingueur et un entrepreneur. Pour payer ses études de gestion, d’informatique et d’audiovisuel en France, ce père de famille âgé aujourd’hui de 49 ans a d’abord travaillé à mi-temps chez McDonald’s pour finalement être embauché comme manager dans un McDo parisien, poste qu’il occupera durant sept ans, avant d’aller ouvrir lui-même son propre restaurant : la Teranga (forcément), à Nantes. On est alors très loin de la télé sur internet.
Ce n’est qu’en 2006 que, de retour au pays, le restaurateur se mue en homme d’affaires et monte une société spécialisée dans les contenus pour téléphones mobiles, l’un des secteurs les plus porteurs dans l’Afrique du XXIe siècle. En 2009, Pape fait ses premiers pas dans l’audiovisuel en créant Superstars, une émission de téléréalité façon Star Academy qu’il produit pour RTS, la chaîne publique sénégalaise. Ce succès, car c’en est un, va lui ouvrir des portes et faire naître une ambition : créer lui-même sa propre chaîne.
Il se tourne alors vers Futurs Médias, le groupe de presse créé en 2003 par le chanteur Youssou N’Dour, devenu depuis ministre de la Culture dans le Sénégal de l’après-Wade. Bien qu’il travaille déjà pour le groupe en tant que fournisseur de contenu pour la chaîne TFM, Pape essuie un refus poli pour son projet de webtélé. « A partir de là, explique-t-il, je me suis dit : 'j’ai les compétences, je connais un peu internet, alors pourquoi ne pas faire une télévision sur le net ?’ ». Un pari audacieux mais, finalement, sensé. « Il y a bien certaines télés africaines sur le web, se convainc-t-il alors, mais aucune qui produise ses propres programmes, conçus, filmés, scénarisés comme une télé. »
Bientôt la 4G à Dakar
Sa chance ? La rapidité avec laquelle internet et la téléphonie mobile se développent au Sénégal « On a déjà plus d’1,5 millions d’internautes qui se connectent (sur une population estimée à 13 millions d’habitants, NDLR). Et les réseaux sociaux sont en plein boom, Facebook, Twitter… car on a déjà le réseau 3G+ et on va bientôt avoir la 4G avec Orange en 2013. Et puis on a également le CDMA avec l’opérateur Expresso (1), qui est l’équivalent de la 3G ».
Ces deux dernières années, Pape les a passées à multiplier les contacts et à ficeler un montage financier qui lui permette de mener à bien son projet, tout en continuant ses activités dans la téléphonie mobile mais aussi dans le reportage télé en tant que producteur indépendant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une webtélé peut fonctionner sans avoir nécessairement recours à la technologie dernier cri.
« Le haut débit n’est pas mon principal problème. Pour moi, la difficulté, c’était de pouvoir émettre de la vidéo de bonne qualité », précise le directeur général de la chaîne en pianotant sur son ordinateur portable. Grâce à Livestream, un service américain par abonnement spécialisé dans la diffusion de contenus sur internet, PeopleTV est même visible par les Sénégalais équipés en low-tech. « Avec ce serveur, indique Pape, on peut regarder de la webtélé avec une connexion en bas débit 512k sans problème. Toute personne qui se connecte sur YouTube ou sur Facebook peut aussi nous voir » …sans même devoir passer par le site de la chaîne.
Des programmes payants
Une fois lancée pour de bon (une version prototype est déjà en ligne depuis près d’un an), la chaîne devrait capter un jeune public grâce à une quinzaine de programmes en français et en wolof dont certains - cours d’initiation musicale, découvertes de jeunes talents, spectacles en VOD (vidéo à la demande) - seront payants, par abonnement ou à l’unité, au moyen de numéros courts surtaxés ou bien par sms, un mode de paiement qui n’existe même pas encore en France. L’objectif : atteindre rapidement les 50 000 utilisateurs quotidiens, chiffre à partir duquel la chaîne, qui compte pour le moment une douzaine de collaborateurs, devrait être rentable.
Dès le premier trimestre 2013, PeopleTV aura également ses applications smartphones et tablettes afin de miser à fond sur ce qui devrait être l’atout clef de la chaîne : l’interactivité. Ce lien avec le public, on le trouve par exemple dans l’émission participative Kouma Niémé (en wolof : Tu oses m’attaquer), un jeu inspiré du fameux « ni oui, ni non » mais auquel l’animateur a ajouté une difficulté supplémentaire : ne prononcer aucun mot de français ! Eclats de rire garantis et succès assuré avec des gains pouvant aller jusqu’à 50 000 francs CFA (75 euros) pour les télénautes, de l'argent récolté grâce au mécénat. Sûr de la réussite de PeopleTV, Pape Cissé a déjà prévu d’en créer une version au Cameroun et une autre en Côte d’Ivoire en 2014.
RFI