Le Remède du siècle
La commémoration du Gamou de Tivaouane, établie par El Hadj Malick Sy, est une innovation, instituée trois siècles après la disparition d’un homme d’abord, ensuite prophète d’Allah, ''Abduhu wa rassuluhu'', ainsi que le rappellent les exégètes. Le thème de la célébration dans laquelle ses fils et petits-fils ont persévéré est cette fois-ci : ''L’Islam, Le Remède du siècle.'' Au moment d’envoyer les éléments précurseurs de la force sénégalaise devant participer à la reconquête des régions septentrionales du Mali occupées par des ''djihadistes'', le président Macky Sall, par ailleurs président de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), est venu accorder ses violons avec les autorités religieuses de l’une des grandes confréries religieuses du pays. Car l’intervention militaire de la France qui a provoqué une réaction en chaîne de prises de positions favorables ou non dans le monde musulman pourrait aussi subir un désaveu interne majeur si elle se pervertissait.
Une falsification de l’histoire veut que le vécu religieux sénégalais fût convivial sous la domination française. Ce qui est vrai entre les adeptes des religions révélées ne l’est pas de la relation au pouvoir colonial, qui eut à réprimer le soulèvement des marabouts du pays. Et les actuelles confréries du pays ont presque toutes été fondées par des enfants de la Djihad : Mame Alassane Thiaw, père de Seydina Limamou Laye, était des volontaires du Cap-Vert partis soutenir le djihad d’Ahmadou Mahdiou Ba, celui du Cheikh Ahmadou Bamba était un proche de Maba Diakhou Ba, comme le Cheikh Abdoulaye Niasse et le marabout de Thiénaba, Amary Ndack Seck. Selon le témoignage de Cheikh Moussa Kamara, El Hadj Malick Sy, dans sa prime jeunesse, s’est concerté avec lui pour trouver les moyens de mener la lutte contre la puissance coloniale. Il rapporte qu’il l’en a dissuadé, la Khadrya combattante avait déjà donné ainsi que la Tidjania qui avait pris le relais de la résistance.
Certains novateurs, faute de nous convaincre que le djihad n’a jamais eu lieu sous nos latitudes, veulent nous persuader qu’il est une prescription dépassée sans nous en préciser l’abrogation. La vérité reste que nous sommes divisés dans nos pays et entre nations. Et ce qui en ressort se trouve avoir été écrit par le Cheikh Ahmadou Bamba : ''Pendant ce temps une puissante main étrangère douée d’une habileté supérieure les surprit après qu’ils se furent divisés en factions, que la longue peine et les dissensions eurent détruit leur constance et qu’ils eurent demandé la protection de l’étranger. Vaillant guerrier, celui-ci s’avança alors et gouverna fermement en ordonnant tout…'' Ce constat du début du colonialisme n’a pas pris une ride. Les solutions africaines préconisées par le Burkina Faso ont été torpillées par les partisans de la solution de force dont les motivations sont divergentes quant à la conduite d’une guerre de libération qui mue en une répression des populations du nord.
Les pays occidentaux ont largement profité de la division du monde arabo-islamique en chiites et sunnites lors des crises majeures en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Iran. La complexité du cas malien requiert plus de prudence car elle se situe aux confluents de l’Islam noir et de l’Islam arabe où les frontières sont poreuses si elles existent. Mais surtout parce que, après la défaite du communisme et du tiers-mondisme, l’Islam est la seule force de contestation de l’hégémonie occidentale qui sécrète des projets de lois douteuses et permissives comme le mariage homosexuel, la suprême abomination pour toutes les religions. Et ce sont ces valeurs que véhiculent aujourd’hui la France dans son engagement ambigu contre les ''djihadistes'' du Mali. Les excès sont à compter des deux côtés, entre l’Occident laïcisant et les islamistes combattants. Et le contentieux ainsi éclairci, quelle famille religieuse s’engagerait-elle dans le soutien de la logique française de guerre malienne ?
Le président du Haut conseil islamique malien vient de surseoir au dialogue qu’il entretenait avec les insurgés d’Ansar-El-Din, s’estimant trahi par leur poussée offensive vers le sud. Et il est évident que la défaite des islamistes ne maintiendra dans leur sillage que les combattants les plus résolus. Seront-ils assez nombreux pour entretenir un foyer de résistance qui leur apportera, avec des soutiens accrus, l’espoir d’une victoire à long terme ? Ce que tout le monde craignait pourrait alors arriver : la dévastation de l’économie de toute la sous-région ouest-africaine et la guerre partout, du nord au sud, de l’est à l’ouest du continent. L’économie d’une France déjà en crise, dans une Europe tout aussi éprouvée, lui permettrait-elle de soutenir une économie de guerre dans l’immensité torride du Mali septentrional ? Le ressac du péril intérieur, déjà présent dans son engagement dans la lointaine guerre afghane, ne la mènera-t-il pas dans les affres d’une insécurité intérieure rappelant les sombres jours de la guerre d’indépendance de l’Algérie ?
''Les peuples se meurent de ne point obéir au décalogue'', disait l’évêque d’Orléans, Monseigneur Félix Dupanloup. C’était en 1850 quand les pays d’Europe, n’ayant pas fini de s’entre-déchirer, ébauchaient leurs plans de partage colonial. Rien n’a changé depuis, sauf que cette foi-ci les protagonistes condensent, dans leurs projets de guerre, toute l’hypocrisie de la terre. Les islamistes seraient de vulgaires narcotrafiquants, les Français n’en voudraient qu’au riche sous-sol de l’Azawad uni ou pas au Mali. Les Burkinabès ne croient pas à la guerre mais ils y iront. Les autorités ivoiriennes, après avoir joué la carte musulmane pour prendre le pouvoir, montrent les limites de leur croyance et leur disponibilité : sous embargo des Nations-Unies, leurs forces armées ne peuvent se déployer hors de leur pays. L’Algérie et la Mauritanie, intéressées au premier chef, ont décidé de fermer leurs frontières alors que le Tchad, sauvé in extremis par la France il n’y a guère longtemps, pavoise avec ses 2000 combattants et sa flotte aérienne. Dire que le remède à cette folie collective serait l’Islam. Mais quel Islam ?