Le Fardeau de Macky Sall
Le camp de la seconde alternance se fissure. Les ennemis d’avant-hier devenus amis hier se livrent à une dispute publique inopportune pour justifier une rupture prochaine. La formation politique de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck est sans doute le maillon le plus faible de la chaîne du pouvoir compte tenu du fait que les inimitiés de proximité sont les plus inexorables dans le landerneau politiques sénégalais. Or Macky Sall et Idrissa Seck furent amis sinon alliés sous la férule alors ferme de leur commun mentor Me Abdoulaye Wade.
L’argument favori des membres de la société civile contre l’indécence de la politique, qui leur a servi à se positionner comme les rivaux irréprochables des politiciens du cru, est en train de se confirmer pour toutes les entités du champ social et tous les secteurs de la nation. L’absence de vertu et de règles qui doivent moduler la vie politique de la nation en est la cause.
L’homo senegalensis qu’interpellait aussi doctement en latin le premier président de la République dans ses actes fondateurs d’une République moderne est toujours en cause après quelques chansons de rappeurs engagés qui, avec leur satyre sociale rythmée et des cailloux mal ajustés, ont cru avoir changé le Sénégal et les Sénégalais de la nature de l’un et de la condition humaine des autres. Ceux-ci vont continuer à dire et à se dédire, à faire et à défaire jusqu’à l’extinction du soleil, la formule générique de leur ex-futur 4e président qui se remet tant bien que mal d’avoir été coiffé au poteau par l’actuel chef de l’État.
Ils étaient tous les héritiers probables d’une dynastie politique qui ne se dit vraiment républicaine que dans ses rêves. Mais, nous enseignait un de nos professeurs, personne sauf le Pandit Nehru, Premier ministre de l’Inde, un prodige de l’assimilation anglaise, ne pouvait rêver dans une langue étrangère. Nous pensions que Senghor aussi pouvait rêver en français.
Ce que nous découvrons aujourd’hui, c’est certaine génération de politiciens qui parle mal le Français et peut-être plus mal encore l’Anglais imposé par la prééminence des États-Unis dans les affaires du monde. Parce que ces langues décrivent un univers rationnel alors qu’ici, une fois le débat emballé, ce sont les ''anthropophages'' qui s’y invitent, de Me Mamadou Sall, ancien ministre de la Justice, à Macky Sall l’actuel président de la République.
Ou bien ce sont ''les sorciers'' dans le règlement de comptes sans fin entre l’ancien Premier ministre Seck et l’ancien président de la République Wade que la presse n’a pas souci de mettre à la ''Une'' malgré un réel déphasage dans le temps et le lieu. Dans la cosmogonie où nous plonge cette presse somme toute sympathique, le combat politique a recours à de singuliers expédients : ''J’ai subi une agression mystique, avec un cortège de sorciers mobilisés par l’ancien régime…''
Il était pris dans le tournis vertigineux d’une guerre pour la succession d’un hiérarque vieillissant auquel ses militants du Parti démocratique sénégalais (PDS) et certains des alliés, pressés d’en hériter, n’auraient parié un sou sur sa longévité. Et mettant la charrue de leur ambition avant le bœuf qu’ils auraient voulu immoler pour ses funérailles, ils ont dévasté le pays de leur fureur de vaincre par tous les moyens, alors que seule la victoire des urnes était valablement requise.
Ils ont sans doute estimé que les dix années de Wade était l’extrême limite de la réalisation de leurs ambitions croisées. La propagande de disqualification épousait leur préoccupation première, la succession plutôt que l’alternance, la dévolution du pouvoir étant depuis des lustres concentrée dans les limites d’un cercle de caciques du Parti socialiste historique dont le PDS n’aura été qu’une scission politique non assumée.
L’avènement de Macky Sall, que son âge et son pragmatisme naturel prédisposaient à la rupture d’avec l’ancien système de vases communicantes entre le PS et le PDS, lui a donné un second souffle. Sans s’être tenu loin des petites et grandes querelles jusqu’à celle de sa rupture, il s’était épargné pour pouvoir, l’occasion venue, apparaître comme l’incarnation d’un nouveau cours politique. Un nouveau type de président était plus réalisable qu’un Nouveau Type de Sénégalais. Le premier ne requiert qu’un comportement tandis que le second devrait être le produit d’une révolution peut-être pas politique - la classe dirigeante n’en a pas la générosité - mais culturelle. Voilà pourquoi le fardeau de Macky Sall est devenu si lourd. Le peuple attend tout de lui au moment où il semble se défausser d’une partie de son pouvoir, de ses prérogatives et de sa puissance sur la cohorte des vaincus des élections de 2012.
Ceux-là ne sont pas jugés dangereux à cause de leur grand âge. Cependant, aucune certitude ne niche en attente dans les urnes et tout devra préalablement se jouer dans les partis de gouvernement passés et leurs différents démembrements à cause de la stabilisation des forces permise par la trêve instaurée par le premier mandat du président de la seconde alternance. Outre Idrissa Seck qui a trop tôt dévoilé ses ambitions alors que les toutes prochaines échéances, les élections locales, sont pour lui d’enjeu mineur, des candidats de sa génération pourraient lui ravir l’avantage de l’âge et lui causer la surprise du candidat improvisé par le destin qu’il a été.
Et ce destin comme son prédécesseur, c’est lui-même qui est en train de le forger par sa tenure du pays et de son parti, ses choix d’alliances intérieures et extérieures et son style de gouvernement. Quelque part, cet héritier inattendu du 3e président de la République du Sénégal, est aussi l’héritier du second, le président Abdou Diouf, pour les écueils qu’il devra surmonter pour s’imposer autant à ses ennemis qu’à ses amis. Autant aux autres partis, alliés ou pas, qu’à son propre parti. Et le temps lui est plus compté qu’aux deux autres.