Publié le 10 Apr 2013 - 08:05
EN PRIVÉE AVEC… VIEUX MAC FAYE, ARTISTE-MUSICIEN

«On n'a pas besoin de forcer le sourire pour plaire»

Voici plusieurs décennies que Vieux Mac Faye est partagé entre le tribunal où il est un greffier, et la musique, sa première passion. Issu d’une fratrie de musiciens notoires, sa dextérité de guitariste a introduit des tubes classiques tels que Ataaya, Jele bi, Diawar (Ismael Lo) ou Takander (Mapenda Seck). Aux mélomanes avertis, il renvoie au blues de Jones Lee Hooker et au rock & roll de Mark Knopfler... Pour Enquête, il a ouvert les portes de son domicile de Yoff.

 

A quand remonte votre passion pour la musique ?

 

Pour parler de la musique de façon générale, c’est une question d’environnement. Étant issu d’une famille de musiciens et ayant eu des frères qui œuvraient dans le cadre de la musique, je la pratique depuis mon jeune âge en donnant le meilleur de moi-même

 

Comment cette passion s’est-elle manifestée en vous ?

 

Je disais tantôt que mes frères et moi avions grandi dans un environnement musical. La famille a eu à faire un petit passage à Hann, mais c’est de la Sicap rue 10 que tout est parti. De grands noms de la musique sénégalaise comme Oumar Sow, Hamidou Ly, Bassirou Diagne, Oumar Pène, Lapa Diagne et les frères Faye sont passés par là. La Sicap rue 10 était ce creuset musical incontournable.

 

Y a-t-il une hérédité musicale dans la famille Faye ?

 

L’hérédité existe dans la musique. C’est une grosse marmite dans laquelle nous sommes tombés. Nous avons été élevés à la sauce musicale ! Ensuite, nous avons continué dans cette ambiance avec un père qui ne nous encourageait pas car il craignait l’aspect négatif de la musique qui faisait que les musiciens d’avant s’adonnaient à la drogue, à l’alcool et aux plaisirs de la vie. Quand il a compris que la musique était notre passion, il nous a laissés faire avec ses propres conditions. Il nous a dit : «Ne vous adonnez pas à la drogue, aux boissons alcoolisées et aux plaisirs de la vie. Mais surtout, ne vous réunissez pas pour jouer.»

 

Pourquoi refusait-il que vous jouiez ensemble ?

 

Lui seul savait ! J’ai essayé de percer ce mystère plusieurs fois, en vain. Toujours est-il qu’à chaque fois que nous avons essayé, ça ne marchait jamais. Il était professeur de français, de musique, d’histoire et d’instruction civique. Il a passé trente cinq ans dans l’enseignement en cumulant toutes ces matières. Je me rappelle qu’il possédait beaucoup de livres de musique quand on habitait à Hann.

 

Il vous dispensait des cours de musique ?

 

Jamais ! Il rangeait sa guitare dans un coin de la chambre et n’aimait pas qu’on le voit en train de jouer. Un jour, il avait éteint la lumière pour jouer dans l’obscurité. On s’est approché pour écouter et quand il a senti notre présence, il a rangé sa guitare.

 

Comment avez-vous appris à faire de la musique alors ?

 

On a appris individuellement. Chacun a pris son chemin et moi, je me suis désolidarisé tout de suite. C'est-à-dire que j’avais l’habitude de prendre le chemin inverse de mes frères.

 

Il y a Lamine qui était avec Adama Faye.

 

Lamine était le Baay Fall d’Adama (rires). C’est lui qui nettoyait sa guitare. Adama était l’aîné qui choyait beaucoup Lamine. Par contre, il était dur avec moi. On se retrouvait dans sa chambre pour jouer et c’est moi qui tenais la basse. Toutes les chansons que vous entendez aujourd’hui, ont été composées sur place avant d’être reprises par le Diamono et le Super Diamono. C’était un grand compositeur avec une rigueur extraordinaire. Avec Adama, un accord majeur n’est pas un accord mineur. Celui qui se trompait là dessus subissait ses foudres. Après, on s’est rendu compte que c’était la bonne école. On a grandi et chacun a travaillé dur de son coté. Je suis même devenu son chef d’orchestre. Pour couper court, disons que Adama Faye était simplement un génie.

 

N’est-ce pas Lamine son héritier ?

 

Lamine est doué. Habib, c’est la même chose. Moi, je suis le moins doué.

 

Qu’est-ce qui explique le fait que vous ne soyez pas connu plus tôt ?

 

Il y a mon père qui était exigeant pour les études à l’université, ce qui créait une ligne de démarcation. J’ai toujours accordé une importance capitale au droit et à la musique. Un bon jour, j’ai décidé de ne plus aller à l’université car mon professeur de droit constitutionnel m’a donné 1 comme note. Ça m’a fait tellement mal que je me suis emmuré dans ma chambre pour jouer avec ma guitare durant douze heures d’horloge. Pendant des années, c’était la même routine chez moi. Comme mon père ne voulait pas que je laisse tomber les études si tôt, il a fait les démarches nécessaires pour que je puisse passer le concours de l’Enam. Deux ou trois mois plus tard, il vient m’annoncer que j’ai été reçu au concours. Mais au lieu d’exulter, je me disais intérieurement qu’il a compromis ma carrière de musicien. A cette époque, j’avais déjà commencé à jouer au Méridien tous les soirs, cumulant la musique et les études universitaires durant deux ans. Même étant affecté au tribunal régional de Dakar, je continuais à faire ma musique. C’est ainsi qu’Ismaël Lo m’a contacté pour l’album Xalaat en 1984.

 

Quels rapports avec lui ?

 

On avait de bons rapports. Et comme on partageait souvent la même chambre, on pouvait passer la nuit à travailler sur diverses compositions. Il arrivait que l’on discute longtemps pour faire passer certaines parties musicales. C’est pourquoi Xalaat a fait un boum à sa sortie.

 

Et vous avez repris les notes de guitare de Lamine Faye ?

 

Lamine n’est pas seulement un musicien. C’est un architecte de la musique. Il sait construire des ponts et des phrases. Quand c’est bien fait, j’apprécie. Je n’avais pas besoin de changer ses notes mélodieuses.

 

Comment êtes-vous passé à la chanson ?

 

En faisant de la variété, je me heurtais aux sensibilités des chanteurs. D’autre part, je n’en pouvais plus d’exécuter des ordres en supportant leurs caprices. C’est ce qui fait que j’ai beaucoup de connaissances mais pas d’amis dans le milieu. Il y a beaucoup d’hypocrites dans le monde de la musique. Je le dis tout haut. Ce que ces gens montrent à la télévision est différent de ce qu’ils sont en réalité. On n’a pas besoin de forcer le sourire pour plaire. Personne n’est obligé de faire son cinéma.

 

Comment évolue votre carrière aujourd’hui ?

 

Après toutes ces années, c’est maintenant que j’ai réussi à peaufiner mon propre style qui est l’Afro-blues. Jusque là, on ne connaissait que Vieux Mac Faye dans le Jazz. Avec mon groupe le Mac show band, nous allons bientôt sortir un single du genre.

 

Y a-t-il encore des musiciens de Jazz au Sénégal ?

 

Il y en a peu. On les compte sur le bout des doigts. Comment peut-on organiser un festival de Jazz au Sénégal alors que ce genre musical ne bénéficie d’aucune émission de promotion à la radio et à la télévision comme les autres styles musicaux ? Khalil Guèye a essayé parce qu’il a compris que c’est la presse qui fabrique les grandes célébrités de la musique. C’était un pari osé qui n’a pas abouti car c’est un incompris, comme moi. Je ne veux pas m’ériger en censeur mais il faut faire la part belle à tous les musiciens. Celui qui croit qu’il peut porter seul la musique sénégalaise, il se trompe. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice.

 

PAR ALMAMI CAMARA

 

 

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