Retrouvailles Libérales ?
L’appel de Maître Wade à l’unification des factions libérales avec pour finalité un gouvernement libéral du pays est une autre manière, pour le plus éminent avocat de notre pays, d’enfreindre ce principe universel du Droit qui dit que nul ne doit se prévaloir de sa propre turpitude. Après avoir été le plus grand diviseur commun de son parti originel, il veut le reconstituer à son avantage au constat que son successeur Macky Sall n’a pas opéré réellement une rupture idéologique ni politique depuis son avènement. Mais sa lettre au président de la République est à double détente. C’est d’abord une offre de capitulation qu’il veut honorable en l’assortissant de la demande de reconnaître qu’il n’y a pas de milliards volés et cachés à l’étranger. C’est aussi pour l’ex-président l’occasion de prendre de la hauteur pour se réinstaller à la tête de sa famille politique dispersée après avoir passé la main à Oumar Sarr pour gérer un Parti démocratique sénégalais (PDS) qui entamait son émiettement.
Le premier terme de cette alternative invoque le temps de la splendeur au mitan de l’alternance quand le président Abdoulaye Wade n’avait trouvé parmi les jeunes turcs de son parti plus ferme soutien de son projet politique que Macky Sall. Puis comme d’autres avant lui, de Serigne Diop à Idrissa Seck en passant par Ousmane Ngom, il l’avait jeté aux orties. Mais le sort des urnes avait décidé que le proscrit de 2008 serait l’élu de 2012, l’héritier inattendu. Toute honte bue du manque de tact et de la brutalité par laquelle il l’avait défenestré, Maître Abdoulaye Wade vient, à rebrousse-temps, rejouer la parabole du retour de l’enfant prodigue pour parachever avec lui son œuvre par l’union sacrée de tous les libéraux éparpillés. Cette offre politique est néanmoins de moindre risque pour l’actuel président puisqu’il pourrait, adossé au pouvoir, s’imposer dans le rôle du leader hégémonique, pouvant même concéder à son ancien mentor la fonction de chef du parti peu ou prou réunifié pour satisfaire certaine exigence des Assises nationales.
L’intérêt évident de cette union, pour tous les libéraux, serait une victoire très possible aux élections locales à venir, laquelle reste très hypothétique pour le parti présidentiel dans la mesure où ses alliés ne vont pas accepter de reconduire le rapport des forces issu de l'élection présidentielle. Surtout que la plus probable logique pour toutes les formations politiques significatives est de se peser les unes les autres. Entre deux incertitudes, les militants de l’Alliance pour la République (APR) devront balancer dans leur choix de celle qui leur confère l’hégémonie de la gouvernance locale et celle qui prolonge l’entente gouvernementale au prix des mêmes concessions dirimantes qu’ils pensent avoir subies aux législatives. L’autre avantage tactique serait, s’il est bien négocié, de poser avec leurs anciens camarades libéraux la question d’une alliance électorale qui garantirait un second mandat à Macky Sall. Alors qu’il est évident que ses alliés actuels devenus compétiteurs ou soutiens d’autres plus jeunes, pourraient tirer un avantage électoral de leur position dans l’appareil de l’État sans subir les aléas d’un bilan qui seul incombe à Macky Sall.
Le deuxième terme de l’alternative, qui s’imposerait en cas de fin de non recevoir des libéraux de la mouvance présidentielle à l’appel de Maître Wade, serait certainement un raidissement du PDS sur ses positions actuelles et assurément la quête d’une candidature libérale unique sinon celle à même de rassembler le maximum de l’électorat libéral. Le nombre des partis politiques et l’implosion continue des grandes formations originelles ont rendu aléatoires et instables les hégémonies politiques d’antan. La rémunération excessivement élevée des fonctions politiques et administratives a rendu la candidature à la magistrature suprême seulement accessible aux citoyens les plus prédateurs qui auront mis la loi de leur côté. Aussi les prochaines élections devraient être remportées par les prédateurs les mieux organisés et sans doute les plus unis dans leur sollicitation du pouvoir. C’est cette partition de l’organisation et de l’unité que joue Maître Wade entre les diverses factions libérales.
Plus récente que l’implosion du bloc social démocrate, qui a conduit à la défaite en 2000 du Parti socialiste (PS), l’éparpillement des libéraux a été provoqué, il est vrai, par leur leader historique. Mais son avantage sur les divers résidus rivaux de la social-démocratie, est que Me Wade reste dans l’espace politique le probable plus grand rassembleur possible. Certes, la partie est devenue plus fine pour cet homme nuancé aux humeurs changeantes qui devra se rappeler qu’il ne détient plus l’autorité suprême d’État et que somme toute, ses fautes politiques l’acculent à la modestie et l’humilité dans son rapport non seulement à Macky Sall et mais aussi aux autres cadres dissidents ou fidèles. Le tact n’ayant jamais été sa principale qualité, le choix de bons émissaires lui est nécessaire pour la réussite de son entreprise de pacification de l’espace libéral. C’est là que l’évocation de l’exemple d’Houphouët-Boigny n’est pas fortuite pour peu qu’elle le mène à solliciter les bons offices d’Alassane Dramane Ouattara, son camarade de l’Internationale libérale auquel se pose comme à lui un enjeu supérieur de réconciliation et d’unification à l’échelle nationale et après une guerre civile.
Sinon rien de nouveau sous le ciel sénégalais s’il se réconciliait avec le président Macky Sall, l’histoire politique sénégalaise étant un processus ininterrompu d’alliances, de scissions et de retrouvailles à travers des flots de sang et sur la cendre des incendies. Les exemples sont de règle : Senghor et le duo d’extrême gauche Abdoulaye Guèye Cabri et Thierno Ba en 1956, avec Cheikh Ahmed Tidiane Sy en 1960, avec Doudou Guèye en 1968, avec le trio Abdoulaye Ly, Assane Seck et Ahmadou Makhtar Mbow en 1966 qui ont à cette occasion manqué d’emmener avec eux leurs alliés clandestins du Parti. Moins dure dans l’antagonisme entre partis et au sein des partis, la période d’Abdou Diouf a vu l’irréductible Professeur Cheikh Anta Diop ménager son adversaire. Au demeurant, le principal facteur qui milite en faveur de l’initiative de l’ex-président est qu’en réalité, la logique de rupture est mal assumée par son successeur parce qu’elle n’est pas sortie des urnes mais de la volonté de ses compagnons de courte randonnée.
Personne ne peut empêcher Maître Abdoulaye Wade de bloquer sur un premier tour où ses suffrages ajoutés à ceux de Macky Sall auront donné une confortable majorité aux libéraux. Ni le président Macky Sall de supputer ses chances de réélection en jaugeant l’apport de ses nouveaux alliés comparativement à celui de ses anciens camarades ainsi que les voix qui viendraient à lui manquer à terme si son mandat s’enlisait dans le bilan foireux des inquisitions bredouilles, des commissions, des agences et autres structures budgétivores qui doublent sans pertinence avérée les institutions républicaines compétentes sur toutes les matières à financement publique. L’entente entre les deux protagonistes sera difficile compte tenu de l’incapacité de la nouvelle classe politique sénégalaise à jouer une partie fine de négociation loin des invectives de seconds couteaux. Mais surtout les uns et les autres seront-ils capables de prendre les mesures hardies que requiert un consensus politique majeur qu’aura parachevé l’unification libérale ? A savoir un gouvernement d’union nationale austère, restreint et vertueux, appelé à administrer sans opposition et composé de technocrates payés comme des fonctionnaires.